Marché
Alors que le mobile s'installe chaque jour dans les usages et les pratiques, les investissements publicitaires ne suivent pas. Pour combien de temps ?

Le marché publicitaire serait-il obstinément sourd aux signaux lancés par les consommateurs ? C'est en tout cas ce que semblent pointer la plupart des analyses, qui s'accordent une fois de plus à décrire un important fossé entre la frilosité persistante des investissements publicitaires et l'explosion des usages mobiles. Car c'est désormais acquis : le mobile s'installe chaque jour davantage dans les foyers et les pratiques. Entre janvier et juin 2014, la demande mondiale de smartphones a augmenté de 26% par rapport à la même période de l'année précédente, nous apprend GFK. Au total, le marché mondial des mobiles a gagné 8% en volume au premier semestre 2014. Le segment des smartphones représente à lui seul les deux tiers des ventes totales.

En Europe occidentale, l’équipement a encore progressé de 11 %. Une dynamique qui caractérise également la France. Comme en témoigne la septième édition du baromètre trimestriel du marketing mobile publiée en septembre 2014 par la Mobile Marketing Association (MMA) France, en partenariat avec Com­score, GfK et Médiamétrie. Au deuxième semestre 2014, près de 54% des Français possèdent un smartphone (soit 29,4 millions de Français), et plus d’un foyer sur quatre est équipé d’au moins une tablette (soit 12,5 millions de foyers). Par ailleurs, trois mobiles sur quatre écoulés en 2014 seront des smartphones (soit 17,6 millions d’unités).
Cette « bascule » côté équipement trouve un écho direct dans la croissance du m-commerce, qui tire littéralement le marché du commerce en ligne. D'après une étude réalisée par le Center for Retail Research pour RetailMeNot, alors que les ventes via l'internet fixe ne devraient croître que de 9% en 2014, celles réalisées sur les terminaux mobiles devraient plus que doubler (+105% sur smartphones et +109% sur tablettes). « En 2020, le m-commerce devrait peser autant que l'e-commerce sur terminaux fixes au niveau mondial. Entre 25 et 30% des clients d'Amazon n'achètent d'ores et déjà que sur mobile», affirme Renaud Ménérat, président de UserAdgents et président de la MMA. Le m-commerce n'en est sans doute qu'à ses balbutiements. Les perspectives ouvertes par la géolocalisation outdoor et surtout indoor – comme en témoigne le développement des beacons, ces balises de détection permettant d'envoyer des offres aux chalands –, devraient très rapidement permettre aux départements marketing de boucler le processus de suivi, de mesure et d'activation du consommateur, en maximisant la transformation commerciale sur le point de vente.

Et pourtant, si l'équipement est là, si les pratiques sont installées, les annonceurs, eux, rechignent. Certes, leurs dépenses sur mobile augmentent sensiblement en poids relatif. Selon l'Observatoire de l'e-pub, animé par le SRI (Syndicat des régies internet), l'Udecam (Union des entreprises de conseil et d'achat médias) et PwC, les investissements publicitaires mobiles au premier semestre 2014 étaient en croissance de 61% sur un an. « On estime que le mobile représente un tiers de l'audience et 9,4% des investissements digitaux. Le décalage entre les usages et le marché publicitaire n'est pas spécifiquement français », note Hélène Chartier, directrice générale du SRI. Prêtresse incontestée du digital depuis plus de vingt ans, Mary Meeker, associée chez Kleiner Perkins, a récemment pointé le sous-investissement publicitaire du mobile aux Etats-Unis en 2013 : alors qu'il absorbe 20% du temps consacré aux médias des Américains, le mobile ne capte que 4% des dépenses publicitaires. Pour le print, l'asymétrie est tout à fait inverse : 5% du temps média, 19% des budgets pub. Les équilibres s'avèrent davantage respectés pour la radio (12% et 10%), la télé (38% et 45%) et le web (25% et 22%).


Hausse du mobile-to-store
Pourquoi un tel décalage entre les usages et les investissements publicitaires ? Les raisons du retard sont connues. Le mobile est plus complexe, plus fragmenté. Il pose un vrai challenge technique car il fonctionne sans cookies. Bref, son environnement appelle de nouveaux acteurs et outils spécialisés. « Côté annonceurs, il a également fallu du temps pour mettre en place une présence mobile (sites mobiles, responsive ou applications) vers laquelle renvoyer les utilisateurs et pour intégrer le mobile dans les stratégies de marque », commente Vincent Tessier, responsable de l'offre mobile chez LaPlaceMedia. Enfin, côté consommateurs, la publicité sur mobile, a fortiori sur smartphones, peut, à défaut de formats adaptés, être vécue comme très intrusive et donc être rejetée.

Le mobile a trop longtemps été considéré comme une surcouche du digital, alors qu'il est beaucoup plus que cela : il se révèle comme un nouveau point de contact, un nouveau canal de vente, de relation client, d'expérience consommateur. « Le mobile est multidimensionnel et l'on peut entendre la difficulté pour les annonceurs à l'appréhender. Pour autant, il faudrait être aveugle pour ne pas comprendre les signaux d'une vraie prise de conscience envoyée par tous les acteurs du marché », remarque Amine Melouk, en charge du mobile à l'IAB (Interactive Advertising Bureau) France, association fédérant éditeurs, régies et agences.
Une étude Harris Interactive-Azetone sur les enjeux du marketing mobile (224 professionnels du marketing interrogés entre avril et mai 2014) montre des investissements publicitaires, mais aussi de développement de dispositifs mobiles (applications, QR codes…), en augmentation pour les deux tiers des annonceurs. Plus d’un quart d’entre eux affichent même des taux de croissance supérieurs à 30 % ou 50 %. Les campagnes de mobile-to-store pourraient bénéficier d’une hausse très nette des investissements (+ 200 %) en 2014. D’autres progressions significatives sont attendues d’ici à la fin de l’année : sur le segment des coupons de réductions sur mobile (+ 78 %) ou sur le second écran (+ 70 %) notamment.
Pour le cabinet d'études Xerfi, il convient toutefois de tempérer les effets d'annonce. La croissance de l'audience vers le mobile pose un problème, celui de la monétisation de l'audience. Smartphone et tablette sont avant tout des espaces propices aux applications. Or, affirme-t-on chez Xerfi, il sera difficile d'exploiter, sur le plan de la publicité, les applications aussi intensivement que les pages web, sans prendre le risque de nuire à l'expérience de navigation. Solutions préconisées : des prix de publicité plus élevés ou le recours à d'autres modèles de monétisation.

 

Un marché mal adressé
Il faudra également surveiller les ad-blockers (systèmes de blocage de la publicité sur les écrans). La société Eyeo, qui possède Adblock plus, le bloqueur de publicité le plus téléchargé, cherche par exemple à s'étendre sur le mobile. Les ad-blockers sont d'ailleurs dans la ligne de mire de l'IAB, qui n'exclut pas d'engager une procédure judiciaire, pointant notamment deux infractions : l'extorsion et l'entrave au fonctionnement d'un système de traitement automatisé de données.« La sous-exploitation de l'offre publicitaire mobile génère une sous-valorisation des offres. Mais, au second semestre 2015, les prix des formats mobiles devrait atteindre ceux du display, aujourd'hui trois fois plus élevés », avance Frédéric Lefebvre, cofondateur de ZeBestOf. Cette hausse des prix, si elle avait lieu, signerait bien sûr l'intérêt d'annonceurs pionniers sur ce marché de la publicité sur mobile. Mais elle pourrait aussi freiner la conversion d'acheteurs plus timides. « Le marché du mobile est là, il est juste mal adressé », note Vincent Tessier.

Les observateurs sont unanimes. Le marché devrait mécaniquement connaître un déclic sous la pression conjuguée de plusieurs facteurs : développement de formats innovants permettant de valoriser les fonctionnalités du mobile, usages sociaux mobiles de plus en plus largement monétisés, explosion de la vidéo mobile et forte croissance du RTB, multiplication des dispositifs drive to store et de géolocalisation de l'audience. Autre levier probable : le m-paiement, qui pourrait connaître un essor rapide à la faveur des nouvelles fonctionnalités de l'Iphone 6. Selon Deloitte (« Etude sur les usages mobiles », 2014), 35% des mobinautes n'ayant jamais utilisé le paiement mobile en magasin sont prêts à le faire si leur terminal le leur permet. Et si l'Europe se montre encore hésitante, nul doute que la mondialisation en aura vite raison. Les pays émergents ne s'encombrent pas de blocages techniques ou culturels. A la différence des Américains et des Européens, les Chinois, les Indiens, ainsi que beaucoup de consommateurs africains ont souvent découvert Internet directement sur mobile. « Les pays en voie de développement sont en train de sauter la révolution de l'internet fixe pour passer directement vers l'internet mobile », observe Renaud Ménérat.

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