Numérique
Les technologies reposant sur la blockchain dépoussièrent le cadre traditionnel du marketing sportif. Mais si les opportunités existent, agences et annonceurs spécialisés dans le sport doivent s'en emparer intelligemment.

Verser une partie du salaire d’un footballeur professionnel du championnat français en actifs numériques ? Le club du Paris Saint-Germain l’a fait en août dernier avec sa star Lionel Messi, grâce à l’application mobile Socios.com qui a développé le «$PSG Fan Token». Et derrière cet exemple, de nombreux cas d'usage existent. Créée par Alexandre Dreyfus, cofondateur de Winamax, Socios.com émet sa propre cryptomonnaie, le Chiliz. Le joueur peut acheter un fan token de son club sportif favori ou aller plus loin en le transformant en un droit de vote contre un jeton Chiliz. Le fan peut alors participer aux prises de décisions d’un club sportif. «Sur chaque token acheté, Socios.com prélève une commission de 50%», précise Alexandre Dreyfus.

En France, l’entreprise n’a signé un partenariat qu’avec le club de la capitale en 2019, premier club français le plus suivi sur les réseaux avec plus de 100 millions d’abonnés (Instagram, Facebook, Twitter et YouTube). «Notre enjeu est de proposer un produit qui aide les clubs sportifs à monétiser leurs fans étrangers, car nous ne visons pas les supporters présents dans les stades. Il y a aussi un cycle d’éducation assez long autour de notre technologie auprès des médias, des clubs et des marques», explique Alexandre Dreyfus.

En France, le secteur du divertissement sportif alimenté par la blockchain est aussi porté par Sorare. La start-up a signé la plus grosse levée de fonds de l’histoire de la French Tech avec 680 millions de dollars, sans communiquer en publicité. Ce jeu de fantasy football propose aux fans d'acquérir des cartes numériques représentant un joueur de football sous la forme de «non fungible token» (jeton non fongible). Chaque carte est unique et authentifiée sur la blockchain Ethereum et peut être négociée sur les places de marché proposant des NFT. «Nous nous rémunérons lors de la vente de cartes sous forme de NFT. Nous ne prélevons pas de commission», indique Nicolas Julia, cofondateur de Sorare avec Adrien Montfort. En France, la licorne a signé onze partenariats avec des clubs de football, dont le PSG et l’Olympique de Marseille. Début octobre, plus de 40 000 joueurs avaient acheté au moins une carte enregistrée dans la blockchain.

Quid des annonceurs ?

Pour Stanislas Barthélémi, consultant en cryptomonnaie et blockchain chez KPMG France, «signer un contrat de licence avec Sorare présente un double avantage pour un club sportif, celui de pouvoir sur le long-terme diversifier ses sources de revenus et celui d’engager ses fans». Pour l’heure, la stratégie partenariale de Socios.com et de Sorare est centrée sur les ayants droit, mais pourrait s’étendre aux annonceurs. Récemment, Sorare a signé un partenariat avec L'Équipe permettant au média de produire du contenu autour de la start-up. «L’implication du fan dans la vie du club sportif est une arme très puissante pour les ayants droit en termes d’engagement du fan, mais pour les annonceurs, nous n’avons pas totalement craqué l’utilité finale, avance Nicolas Macé, brand director au sein de l'agence Havas Sports & Entertainment. L’outil ne doit pas juste être considéré comme un gadget, il doit servir à la stratégie marketing de l’annonceur. Nous devons être rigoureux dans l’utilisation des insights des fans et de la data, pour raconter avec pertinence l’histoire de l’annonceur, tout en protégeant nos clients sur les plans juridique et technique», prévient-il. La cible ici étant les spéculateurs et les 25-34 ans très affinitaires à la tech et au digital.

«Nous sommes encore dans une phase de pédagogie et d’éducation du marché auprès des ayants droit que nous accompagnons dans le football, la Formule 1 et le rugby», complète Christophe Rousseau, special projects director France chez Sportfive France, agence internationale de marketing sportif, qui accompagne depuis 2019 Sorare sur l’acquisition des droits de licence. À l’annonceur et son agence de filtrer les sports et les athlètes les plus pertinents en France à monétiser. «Le football, le rugby à l’approche de la Coupe du monde 2023 en France...», liste Christophe Rousseau. Des sports engageant d’importantes communautés de fans, car les jetons numériques permettent principalement aux opérateurs de constituer une importante base de données CRM. Vient ensuite la stratégie pour en déterminer la valeur d’usage et donc le produit.

Christophe Rousseau en est persuadé, «ceux qui s’en sortiront sont ceux qui créeront un produit pouvant perdurer au-delà de la collection». Pour Stanislas Barthélémi, «les coups marketing ne sont ni mauvais ni antinomiques», mais il recommande à ses clients «de se concentrer sur des projets ayant une utilité et qui perdurent. Nike pourrait par exemple faire gagner des produits ou des bons de réductions aux joueurs ayant acheté des NFT sur Sorare.» Pour sa première opération intégrant un volet NFT, Uber Eats, partenaire de la Ligue 1 de football, a par exemple lancé une collection de NFT avec l’OM. Ces derniers ont demandé à un artiste marseillais, Raphaël Bonan, de créer des œuvres d’arts numériques uniques et hébergées dans la blockchain à l’effigie de cinq joueurs du club. Tout est à concevoir autour des actifs numériques et des jetons non fongibles, à condition de trouver une valeur d'usage. Dans le marketing comme dans le sport, sans projet de jeu, il n’y a pas d’équipe et donc pas de résultats.

Verbatim 

« La convention collective doit s'adapter »

Olivier Géral, avocat droit du sport, droit des affaires

«Il faut bien distinguer les acteurs sérieux, dont l’activité est basée sur les NFT et les Fan Tokens, qui proposent un outil marketing nouveau dans le monde du sport, des petites structures qui s’affranchissent des règles juridiques. Sorare et Socios.com par exemple ne sont pas des plateformes de pronostics sportifs, ni des opérateurs de paris sportifs, ils ne sont donc pas agréés à l’Autorité nationale des jeux. Pour ce qui est du droit à l’image du joueur, si l’opérateur dont l’activité est basée sur la technologie de la blockchain a signé un partenariat avec chacun des clubs sportifs, la convention collective du club en question est applicable “au regard de la notion d’image associée”. Toutefois, la convention collective du sport et la charte du football professionnel doivent s’adapter à ces nouvelles technologies, notamment, mais pas seulement sur la durée de l’exploitation de l’image. Plus largement, les États ne sont pas assez puissants pour réguler le marché de la cryptomonnaie. Cette dernière est aujourd’hui un outil de spéculation, mais ne doit pas devenir une forme de monnaie officielle pour les échanges, qui est jusqu’ici maîtrisée par les banques centrales.»

 

 

Chiffres clés 

150 millions d’euros. Chiffre affaires de Socios.com.

1,2 millions. Nombre d’utilisateurs âgés entre 25-34 ans de Socios.com

2,5 millions d’euros. Retombées du partenariat par année entre le PSG et Socios.com signé en 2019 pour une durée de cinq ans, selon L’Équipe.

170 000. Nombre d'utilisateurs actifs sur Sorare en septembre 2021.

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