Branding
Quelques jours après le Megxit, la presse anglaise dévoilait les projets du couple rebelle de la Couronne britannique, qui entend lancer sa propre marque, Sussex Royal. Celle-ci pourrait rapporter 400 millions de livres par an. Mais pour vendre quoi ?

La liste, étourdissante, n’est pas dénuée de poésie : livres, magazines, brochures, calendriers, cartes postales, tasses, chaussures, vestes, T-shirts, cravates, bandanas, chaussettes et articles de sport, mais aussi journal, newsletter, sociétés de conseil et de parrainage… Un inventaire à la Pérec ou à la Prévert, qui évoque le fonds de commerce d’un bazar. Façon Foir’Fouille.

Halte-là ! L’énumération, certes mercantile, provient de noble extraction. Meghan et Harry, duchesse et duc de Sussex, ont minutieusement, depuis juin 2019, imprimé une centaine d’articles de leur sceau : la marque Sussex Royal, copié-collé du titre attribué par la reine Élisabeth lors de leur mariage en 2018. Une assurance sur l’avenir, dont les jalons ont été posés plusieurs mois avant le fracassant Megxit, le 8 janvier dernier, où le couple annonçait sa décision de « prendre du recul en tant que membres “supérieurs” de la famille royale » ? Le projet de marque a en tout cas surexcité, au-delà de la presse people ou spécialisée dans le gotha, les experts du marketing, aussi bien outre-Manche qu’outre-Atlantique. Le très sérieux Adweek, qu’on ne trouve pourtant guère sur les tables basses des dentistes et dans les salons de coiffure, faisait sonner, fin janvier, tambours et trompettes : « Could Prince Harry and Meghan Markle Build the World’s Most Valuable Brand? » [Le Prince Harry et Meghan vont-ils bâtir la marque la plus profitable du monde ?]. Seriously ?

Indeed : 400 millions de livres sterling par an, soit plus de 480 millions d’euros, voilà ce que l’on appelle, chez nos voisins britanniques, « to bring home the bacon » [mettre du beurre dans les épinards]. Une fois franchie la Manche, chez les experts français, on se montre néanmoins plus circonspect. Tout d’abord sur la nature des produits qui pourraient être mis en vente. « Ce n’est pas parce qu’on dépose une marque que l’on va s’en servir. On dépose sa marque en ratissant le plus large possible, afin que des petits entrepreneurs malins n’en profitent pas à votre place », note Thomas Zylberman, designer et tendanceur au sein de Carlin Creative Trend Bureau. « Elle a été déposée très largement pour préserver la propriété intellectuelle, mais ne peut évidemment couvrir un spectre aussi large que la centaine de produits inventoriée, approuve Virgile Brodziak, directeur général de Wunderman Thompson Paris. La question, ce n’est pas le marketing autour de la famille royale aujourd’hui. La question, c’est plutôt : est-ce qu’on construit la prochaine licence Kardashian ? »

Mix entre pop culture et grande institution

Devant ce cas marketing, posons-nous cette immémoriale interrogation, éculée mais non dénuée d’utilité : quel est l’ADN de la marque de Meghan et Harry ? « Ce couple me fait penser au clip de Jay Z et Beyoncé devant la Joconde au Louvre, on se trouve dans la même énergie : le mix entre pop culture et grande institution prestigieuse », résume Thomas Zylberman. « L’ADN est compris dans son nom, Sussex Royal, ajoute Jérôme Carron, journaliste à Point de vue. C’est l’association de la maîtrise hollywoodienne et du storytelling européen. Avec un événement fondateur qui a été vu par 3 milliards de téléspectateurs : l’union de Meghan et Harry, un mariage à 30 millions de livres. »

On n’est pas chez les gueux. Dans cette affaire, tout se compte en millions, voire en milliards. Le compte Instagram du couple, baptisé lui aussi Sussex Royal, dénombre plus de 11 millions d’abonnés, un chiffre qui a bondi après le Megxit. Il a rejoint à égalité le compte du grand frère William et de son épouse Kate, Kensington Royal. « La marque a un énorme potentiel, en premier lieu, évidemment, du fait de sa notoriété de base, estime Manon Le Roy-Oclin, planneuse stratégique chez BETC. Celle-ci a été boostée par leur décision récente de quitter la famille royale, qui les rapproche du couple mythique formé par le roi Edward et Wallis Simpson [qui avaient quitté la Couronne britannique pour vivre leur amour, Wallis Simpson, américaine comme Meghan, étant divorcée], et entérine leur image glamour et rebelle. »

Des pistes de reconversion

Mais cette identité chic et charme a-t-elle vraiment sa place sur des paires de chaussettes, des cravates en polyester ou des tasses tachées de thé ? « On ose espérer qu’ils vont faire mieux que ça, lâche Françoise Barthélémy, directrice communication de Carlin Creative Trend Bureau. Si un jour ils vendent des mugs, on peut subodorer que ce sera pour une cause à forte valeur sociétale. » Meghan et Harry, simples commerçants ? Good gracious ! « La presse anglaise a très peur que Meghan se retrouve à faire de la pub pour Kentucky Fried Chicken, ce qui a peu de chances d’arriver », s’amuse Jérôme Carron.

De même, selon le journaliste, « les outfits [tenues] estampillés Meghan Markle, ce n’est pas pour tout de suite ». La piste eût pourtant été pertinente pour la comédienne, bête de mode assumée. « Le marque de mode, je ne le pressens pas, car je ne vois pas d’opportunité de marché. Il y a saturation et je pense que Meghan est plus visionnaire que cela », prédit Emmanuelle de Mazières, planneuse stratégique à Peclers Paris. Manon Le Roy-Oclin, de BETC, a une « reco » pour notre couple : « Si j’étais leur conseillère en communication, je leur dirais d’éviter à tout prix le kistch, le côté “carrosse”, et de se concentrer sur la création d’une marque à “purpose” : que ce soit dans l’entertainment, en termes de production de contenus ou dans le milieu associatif. »

Tant pis pour les torchons Meghan et Harry. Ce qui semble plutôt se profiler, ce sont « des interviews à la télé américaine, avec Oprah Winfrey ou Ellen DeGeneres, auxquelles on n’imagine pas le couple se prêter à titre gratuit », envisage le journaliste Jérôme Carron. Tout comme on ne voit pas le couple se rendre uniquement pour les petits fours à la convention de la banque d’affaires JPMorgan Chase, début février à Miami, où ils étaient tous deux « keynote speakers ». C’est au sein d’une autre banque d’affaires, Goldman Sachs, que le Prince Harry envisagerait une reconversion, sans doute en tant qu’ambassadeur. Soit « des poignées de main à un milliard de livres », commentait récemment dans les colonnes du Daily Mirror Mark Borkowski, expert consultant en relations publiques.

Plus Obama que Kardashian

Meghan et Harry princes du marketing ? Peut-être pas. Mais rois de la com, sans aucun doute. En mars dernier, le couple s’adjoignait les services de Sara Latham, senior advisor d’Hillary Clinton, qui a également œuvré pour Bill Clinton et Joe Biden. Pas un perdreau de l’année, donc. Mais l’imprévisible couple viendrait de se passer des services de la spécialiste des RP pour rejoindre Sunshine Sachs, firme de RP basée à New York et qui compte parmi ses clients Leonardo DiCaprio, Barbra Streisand et Jennifer Lopez. Comme le note Jérôme Carron, « on sent, de la part du couple, un désir de remettre à plat toute leur communication ». Pour autant, il paraît étonnant de se séparer de Latham, qui a aussi travaillé pour ceux qui constituent le modèle plus ou moins assumé du couple : les Obama, plutôt que les Kardashian.

« Au moment où les sociétés se rechallengent sur le rôle des femmes, Meghan pourrait bien sortir un livre pour parler de son engagement féministe, de son côté “ma vie de femme d’abord”, avec Harry dans le rôle du “woke husband” [mari éveillé], comme l'avait fait Michelle Obama, juge Emmanuelle de Mazières. Avant de vendre des T-shirts, Meghan et Harry ont toute une stratégie de ”soft power” à engager à l’international. »

Une démarche qui respecterait celle de la grande absente : la princesse Diana, dont on dit qu’Harry fut celui qui eut le plus de mal à se remettre de la disparition. « Souvenez-vous, Lady Di était la première personne de la famille royale à serrer la main d’un malade du sida, en 1987, rappelle Jérôme Carron. La famille royale, ce sont des personnes qui permettent d’apporter des millions de livres à des centaines d’organismes de charité, des rhinocéros en péril aux orphelins de la police, ce qui, quand on connaît le service social anglais, est tout sauf négligeable. Tout cela représente un circuit économique qui n’est pas très coûteux, un “soft power” qui revient à 1,50 euro par Anglais et par an. Les aristocrates ont toujours cultivé ce rôle de compensation sociale. »

Fort bien, mais les têtes couronnées fascinent-elles toujours autant les foules ? « Mine de rien, ces sujets de royauté, ce sont des sujets de vieux, explique Virigile Brodziak. Ce n’est pas parce que Meghan et Harry sont jeunes qu’ils passionnent la génération Z, qui a ses propres icônes. » Shocking ! « Lorsqu’on voit le succès de The Crown sur Netflix, on se dit que l’appétence du public n’a pas fléchi », nuance quant à lui Jérôme Carron. Il se murmure d’ailleurs que Meghan pourrait reprendre du service pour Disney, en doublant des dessins animés. Et renouer ainsi avec ses activités d’actrice, de saltimbanque, pour une somme que l’on imagine rondelette. Honni soit qui mal y pense !

Sussex Royal : une marque en péril

 

Énième coup de théâtre du Megxit, il se pourrait bien que Meghan et Harry ne puissent pas utiliser à leur guise l’appellation de « Sussex Royal », qui leur fut pourtant attribuée par la reine lors de leur mariage. Étrange affaire : Benjamin Worcester, médecin australien de Victoria, en Australie, s’oppose à l’utilisation de la marque, « pour raisons confidentielles », ce qui pourrait retarder le lancement des activités du couple. Pendant ce temps, le père d’Harry continue à exploiter tranquillement sa propre marque : Duchy Originals, spécialisée dans l'alimentaire bio, qui fut lancée en 1990 par le prince Charles, écolo de la première heure.

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