Technologie
Êtes- vous de ceux qui consultent leur smartphone toutes les dix minutes, jusque dans les toilettes ? Vous avez du mal à vous passer de votre écran une demi journée? Il est urgent de prendre conscience de la relation de dépendance que nous entretenons avec les écrans.

Il nous accompagne du réveil au coucher. Jamais très loin de nous, nous le traînons absolument partout : le smartphone est bel et bien devenu le nouveau « e-doudou » de chacun, rassurant à souhait et calmant en permanence nos angoisses ontologiques. Le smartphone est devenu cet objet transitionnel que l’on chérit, comme la peluche contre laquelle on se blottissait jadis. Précieusement gardé entre nos mains, on le porte au plus près de soi. Véritable confident, le smartphone nous donne la sensation illusoire de ne plus être seul. Nous entretenons une relation quasi-fusionnelle avec lui.  Appeler, communiquer, s’orienter, écrire, écouter, acheter, géolocaliser, dessiner, mémoriser, photographier, éclairer, lire, traduire, rencontrer, jouer. Que peut-on lui demander de plus ? Il sait satisfaire chacune de nos demandes. Combien se sentent désorientés, perdus sans leur smartphone ? Il semble aujourd’hui difficile de couper ce cordon ombilical numérique.  

 

Dépendance insconciente

 

D’après une étude menée par l’Institut Elabe en 2019, une majorité de Français juge entretenir une relation parfaitement choisie, contrôlée et saine avec tout type d’écrans. En effet, 66% ont le sentiment d’en être maîtres, 85% se jugent « zen » face aux notifications, mails, messages, et appels qui les sur-sollicitent en permanence.  Pourtant, ce sentiment d’entretenir une relation contrôlée est illusoire. En effet, les résultats de cette étude montrent à quel point l’hyperconnexion innerve notre vie quotidienne.  Les chiffres permettent de déceler des contradictions dans les déclarations des répondants. En effet, 60% des Français admettent que se passer de leur smartphone plus d’une journée est « totalement impossible », 61% consultent leur mobile ou leur tablette dès le réveil, 48% consultent leur smartphone toutes les dix minutes, jusqu’à la fin de la journée. Les résultats démontrent bien une dépendance inconsciente et pernicieuse. En effet, les écrans reconfigurent insidieusement notre perception du monde, notre manière de vivre, nos pensées, nous dépossèdent chaque jour un peu plus lorsque nous n’en faisons pas bon usage.  

 

«Pensée zapping»

 

Nous sommes entrés dans l’ère de la « pensée zapping ». Nous pouvons aujourd’hui concilier simultanément plusieurs écrans et activités en même temps. Il nous est possible d’écouter la radio tout en envoyant un sms, acheter en ligne tout en surfant alternativement sur plusieurs réseaux sociaux… tout cela entrecoupé de notifications que nous dévorons. Sur-sollicités par cette diversité d’informations, il devient inconcevable de perdre notre temps. L’ennui est devenu notre pire angoisse, nous ne devons rater aucune opportunité. Cela conduit notamment à être touchés à des degrés divers de la nomophobie, contraction de « no mobile phobia » (ou syndrome de FOMO) : la peur excessive d’être séparé de son téléphone mobile.

 

Disque dur externe

 

Le docteur Laurent Karila, psychiatre, addictologue et porte-parole de l’association SOS Addictions a décrypté ce phénomène de dépendance au smartphone et aux écrans en général. Il explique que l’état d’hyperconnexion qu’induit l’usage excessif du smartphone endommage, dès le plus jeune âge, notre santé (altération du sommeil, troubles de la vision, troubles musculosquelettiques…) et nos capacités cognitives, à savoir notre aptitude à fixer notre attention, à nous concentrer, et même notre mémoire. Mots de passe, dates d’anniversaire, liste de courses… nous attribuons désormais au smartphone ce rôle de disque dur externe, sorte d’extension de notre cerveau, sans cesse en vue de nous décharger de données. Pierre-Marc de Biasi, directeur de recherche au CNRS, surnomme en ce sens notre smartphone de « troisième cerveau ». Lorsque certains le définissent comme un instrument indirect d’asservissement, d’autres affirment qu’en nous libérant de toutes les pesanteurs de la vie quotidienne, le smartphone serait vecteur d’affranchissement et de libération. Ce délestage mémoriel nous permettrait, en effet, de consacrer davantage d'énergie à d'autres tâches que nous considérons plus essentielles…  

Il ne faut pas pour autant diaboliser les écrans. C’est une évidence de dire que le smartphone est une formidable source d’ouverture sur le monde et qu’il joue un rôle essentiel dans notre relation aux autres. Il offre un champ infini d’informations à portée de main et de formidables opportunités en tout genre. Mais il doit s’accompagner d’un usage régulé et raisonné. C’est là toute l’ambivalence de cet outil. Tout dépend de l’usage que nous en faisons. Il est essentiel aujourd'hui de savoir comment l’utiliser, quels en sont les excès et les risques, le plus inquiétant d’entre eux étant l’hyperconnexion et la dépendance. Comme toute nouveauté, il faut un temps d’appropriation où coexistent excès et rejets, mais avec l’expérience et la connaissance, une autorégulation finit toujours par s’imposer. Alors plutôt que de sombrer petit à petit dans l’hyperconnexion, tentons simplement de nous reconnecter à nous-même.  

3 questions à… Laurent Karila, psychiatre, addictologue

« Hyperconnecté ne veut pas dire addict »

Peut-on dire que les Français sont addicts aux écrans ? Il est certain que nous sommes tous hyperconnectés, c’est une situation basale de la population. Mais pour autant, nous ne sommes pas forcément tous addicts. Il faut avant tout s’entendre sur la définition de l’addiction et nous pouvons justement utiliser ce moyen mémotechnique des 5C qui impliquent 5 critères hyperpathologiques : une perte de contrôle, une activité compulsive, un craving (l’envie irrésistible et irrépressible de consommer), un usage continu et des conséquences sur la santé.  

Quels sont les signaux d’une hyperconnexion, à partir quel moment doit-on s’inquiéter ? D’une manière générale, il faut présenter les symptômes des 5C sur une période d’au moins 12 mois pour parler d’addiction.

Est-ce que l’homme va réussir à réguler sa consommation des écrans et cela peut-il se faire naturellement selon vous ? Naturellement non. Il va falloir œuvrer pour apprendre à réguler notre consommation. Les écrans sont devenus partie intégrante de notre vie pour tout et n’importe quoi. Il faut moduler nos usages, se fixer un cadre, des règles souples. Il ne s’agit pas de se déconnecter totalement mais de mieux se connecter. Cela commence par des réflexes simples, comme ne pas répondre systématiquement quand le téléphone sonne, désactiver les notifications. La régulation à la consommation des écrans, c’est comme une préparation de marathon, cela se fait sur la longueur, c’est une sorte d’endurance virtuelle. 

 

 

Chiffres clés

221 fois par jour, en moyenne, un adulte consulte son smartphone

70 % des Français utilisent leur smartphone en conduisant

25 % des Français envoient ou écrivent des SMS en conduisant

Source : Baromètre 2019 du comportement des Français sur la route, Axa Prévention et agence Tecmark.

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