Dossier Les lieux de l’événementiel
Les événements de grande ampleur sont de nouveau autorisés depuis le 9 juin, de quoi éclaircir l’horizon des lieux du secteur de l'événement, longtemps fermés au public. Tous se préparent pour la reprise, malgré les incertitudes qui demeurent.

En lisant Emmanuel Macron énoncer fin avril dans la presse régionale le calendrier d’un déconfinement progressif, Delphine Bouclon-Rodet, présidente de La Clé, association née de la crise fédérant aujourd’hui 250 lieux événementiels, a certainement poussé un ouf de soulagement. La reprise, initialement espérée en juin 2020, puis en septembre, en janvier 2021, se profile de façon concrète et balisée. Si la prudence reste de mise, les voyants pourraient repasser peu à peu au vert, pour une profession - les gestionnaires de lieux - au plus mal depuis mars 2020. « Les lieux ont enregistré -70 % de chiffre d’affaires sur l’année 2020 malgré des mois de janvier, février et mars exceptionnels », confie celle qui est aussi responsable de l’expérience Event des sites Châteauform'.

Reports et annulations en cascade, absence de visibilité, manifestations qui n’ont pas pu être programmées du tout… Malgré une timide embellie en septembre pour certains, la situation pour les lieux a été d’autant plus périlleuse que, contrairement à d’autres acteurs du secteur, ils ont des frais fixes, et donc incompressibles. « Le loyer représente un tiers de leurs coûts », avance Lionel Malard, fondateur de la société Arthémuse, consultant pour les professionnels de la filière. Si l’on considère que les lieux de moins de 80 personnes organisent 150 événements en moyenne par an et ceux au-dessus de cette jauge, 110, le manque à gagner a été terrible pour tous. « Côté humain, c’est comme ailleurs, il y a trois cas de figure : ceux qui ont hâte que cela reparte, ceux qui auront du mal à s’en remettre et ceux qui ont changé de vie », complète Delphine Bouclon-Rodet.

Année présidentielle

La bonne nouvelle est que l’horizon semble vraiment s’éclaircir depuis l’annonce du déconfinement progressif. Dernière étape en date : depuis le 9 juin, les foires et salons sont de nouveau autorisés et un pass sanitaire a été instauré pour les événements de plus de 1 000 personnes. « Nous avons constaté un retour de la demande pour les événements de petite taille sur des formats courts et, pour le dernier trimestre 2021, on a déjà plus de 400 demandes », développe la présidente de La Clé. Ce n'est pas encore au niveau d’avant-crise en raison du télétravail et d’une certaine frilosité des entreprises, mais c'est un sursaut tout de même, qui serait lié notamment au besoin de recréer du lien.

« La reprise s’annonce plutôt pour septembre, mais avec 50 % à 60 % de demandes vs septembre 2019, et toutes ne sont pas encore signées », tempère Lionel Malard. Les lieux accueillant des groupes en comité restreint semblent pour le moment davantage séduire. Tant que le virus circulera, même faiblement, les entreprises seront toujours freinées dans l’organisation d’événements. Sans compter que beaucoup de cadres ont encore l’interdiction de voyager. Autre facteur entrant en ligne de compte, « les années d’élection présidentielle, on constate traditionnellement à partir de janvier une baisse des événements de 30 % car les entreprises jouent la prudence : leurs stratégies dépendront des politiques et des hommes émergents », ajoute le fondateur d'Arthémuse.

Autant de données voire d’incertitudes qui font que le niveau d’avant-crise ne se retrouvera peut-être pas de sitôt, voire pas du tout. « Avant la crise, les entreprises se réunissaient de plus en plus dans leurs locaux, rapporte Perrine Edelman, directrice associée de Coach Omnium, société de stratégie et d'études notamment spécialisée sur le tourisme d’affaires. Elles étaient 40 % à le faire en 2018. Cette tendance risque de se renforcer. » Les événements organisés à l’extérieur accueilleront davantage de participants ou seront à haute valeur ajoutée. « Pour les lieux, le marché va être plus petit et plus qualifié. Ceux qui pourraient mieux s’en sortir sont ceux accueillant beaucoup de participants ou présentant une typicité, comme les châteaux, les sites d’exception ou originaux », complète la spécialiste. Par exemple, à Monaco, le Grimaldi Forum, centre de congrès, a inauguré fin 2020 une terrasse de près de 600 m2 avec vue imprenable sur la mer.

Portique désinfectant

Secoués par cette crise sans précédent, les salons, eux, pourraient perdre structurellement une partie de leurs visiteurs et exposants. De quoi remettre en cause leur modèle économique, en particulier celui des grands rendez-vous internationaux. Les participants réfléchiront peut-être à deux fois avant de se déplacer loin pour quelques jours seulement. D’où la nécessité pour les lieux de se réinventer. Certains feront le pari de produire leurs propres événements, d'autres se diversifieront vers le B to C, ce qui pourrait leur permettre de rentabiliser leurs espaces sur d’autres créneaux, comme le week-end ou les vacances scolaires. « Certains s’en sont mieux sortis en 2020 quand le Mice [meetings, incentives, conventions, events] fait partie d’une de leurs activités, comme les hôtels ou les sites de loisirs », estime Perrine Edelman.

Quoi qu’il en soit, les gestionnaires de lieux n’ont pas attendu juin pour préparer la reprise si longtemps espérée, en premier lieu dans le but de respecter les normes sanitaires et les jauges imposées par la loi. Mise en place de distributeurs de gel hydroalcoolique, redimensionnement et réattribution des espaces comme les zones d’accueil et formation du personnel ont été autant d’étapes indispensables pour être autorisés à accueillir de nouveau du public. Le parc des expositions de Quimper s'est par exemple doté d’un système de comptage automatique à l'entrée de chaque hall pour connaître en temps réel le nombre de visiteurs. Le Centre Expo Congrès de Mandelieu-La Napoule, près de Cannes, s’est équipé lui d’un portique de désinfection assurant également d’autres fonctions, comme distribuer du gel hydroalcoolique ou contrôler le port du masque. Des dispositions qui nécessitent, à chaque fois, un coût d’équipement et de fonctionnement.

Studios de tournage

De façon plus profonde, c’est une vraie réorganisation à laquelle les lieux ont dû se livrer ces derniers mois, en intégrant la brique du digital, « dans bien des cas sur un modèle de coproduction avec des partenaires », relate Delphine Bouclon-Rodet. « Ceux qui ont installé des studios sont très minoritaires, peut-être 70 sur 1 500 lieux événementiels à Paris », retrace Lionel Malard. C'est une manière d'éviter une activité à zéro sans pour autant compenser toutes les pertes. Autre bémol, la concurrence des studios internes mis en place par les entreprises et celle des plateformes et nouveaux outils dédiés, à commencer par Zoom, qui s’est positionné sur ce créneau avec un service dédié aux organisateurs. « Cela pose une question stratégique : faut-il continuer à occuper l’espace par des studios techniques ou le réaffecter à des événements traditionnels ? », analyse Lionel Malard.

Reste que les lieux se sont largement mobilisés sur le sujet. C’est le cas des hôtels du groupe Barrière : une dizaine d’entre eux ainsi que 14 casinos intègrent désormais des studios de tournage de TF1. Cette nouveauté s'inscrit dans le cadre d’une offre commune imaginée avec TF1 Factory, agence de production B to B du groupe audiovisuel, dévoilée en février. Châteauform', qui disposait déjà dans ses lieux de trois studios fixes et un mobile, vient de son côté d’inaugurer au Palais des Congrès Paris-Saclay un studio consacré à la réalité mixte, mêlant réalité virtuelle et augmentée. Autres exemples, à Troyes, le Centre de congrès de l'Aube a lancé début 2021 une offre dédiée aux événements digitaux et hybrides, tandis qu'à Lyon, le Loft 4.40, dédié à l’événementiel, la vidéo et l’art contemporain, a fait de même pour le digital. Enfin, à Paris, Keys Venue, société spécialisée dans la location de lieux, a mis en place des studios connectés pour enregistrer ou orchestrer des live webconférences entre autres.

Rattacher l'événement au contexte local

La reprise pour les lieux de l'événementiel passera également par la communication, en particulier pour rassurer les clients et prospects sur la sécurité. « Il y a une volonté chez les gestionnaires de lieux d’être davantage partie prenante des événements qu’ils accueillent », observe Lionel Malard. Pour donner envie aux gens de venir chez eux, ils ont tout intérêt à « événementialiser leur événement » en le rattachant au contexte local, en faisant appel à des partenaires locaux. Pourquoi se déplacer à Cannes, Biarritz ou Barcelone si c’est pour voir les mêmes halls et salons de réception sans pouvoir profiter de l’environnement ? « Cela se passait déjà comme ça avant mais le rôle du gestionnaire de lieux va être amplifié quant à la promotion du local », anticipe encore le fondateur d'Arthémuse.

Cette communication se fera également de manière concertée. La Clé devait mettre en ligne « courant juin » des vidéos témoignages de membres pour soutenir la reprise et a lancé un appel pour savoir qui serait d’accord pour organiser des portes ouvertes afin d’encourager les clients à revenir sur le terrain. À son initiative, l’ensemble des acteurs du secteur, agences, traiteurs et freelances, ont aussi entamé depuis un peu plus de deux mois un travail de fond sur la façon de mieux collaborer pour assurer la transparence des commissions et redevances. Voilà d’ailleurs, sur l’aspect financier, une ultime carte que peuvent jouer les lieux : proposer des clauses contractuelles garantissant des annulations sans frais. Un argument supplémentaire vis-à-vis des clients pour ne pas dire une condition sine qua non pour attirer de nouveau les professionnels.

Sept nouveaux lieux à connaître



Paris. Après pratiquement trois ans de chantier, entre 2017 et 2020, et une ouverture plusieurs fois reportée à cause du covid, la Bourse de Commerce - Pinault Collection fait partie des « nouveaux » lieux les plus emblématiques de la capitale, avec la Samaritaine dont la réouverture est fixée au 23 juin et le Grand Palais éphémère, qui vient de prendre ses quartiers sur le Champ-de-Mars jusqu’en 2024. Lieu dédié à l’art, accueillant une collection riche de plus de 10 000 œuvres, peintures, sculptures et vidéos, de 1960 à nos jours, la Bourse de Commerce est également dotée d’un auditorium pouvant accueillir des conférences, des rencontres ou des projections ainsi que d’un restaurant, la Halle aux Grains, ouvert aux prestations extérieures. Situé au troisième étage, celui-ci peut accueillir une vingtaine de personnes dans un salon privé, jusqu’à 100 convives pour un repas assis et 150 en format cocktail dans sa grande salle.

 

Lyon. Au restaurant Ephemera, ouvert en juin sur le rooftop de la Part-Dieu pour une durée de six mois, c’est toute une ambiance onirique qui a été imaginée pour séduire les convives : plats en rapport avec un thème - en l’occurrence inspiré du film Avatar - projection d’images et de vidéos en 4K, animation olfactive, plantes luminescentes, effets visuels... Ce restaurant qui promet de faire voyager et de surprendre est privatisable pour les entreprises. Il a séduit jusqu’à Kima Ventures, le fonds de Xavier Niel, qui a mis des fonds dans le projet. Ses créateurs, passés par l’Institut Paul Bocuse, souhaitent le décliner avec l’ouverture d’un restaurant pérenne toujours à Lyon à l’automne et à un autre à Paris.

 

Marseille. Imaginé par Pernod Ricard, le Mx - comme mix et « x »-périence - est également annoncé pour ce mois de juin aux Docks Village. L’idée de ce projet était de construire un lieu multiple, à la fois concept store, bar, restaurant et lieu événementiel, autour de l’anis. Ainsi, on se promènera dans un « musée 4.0 », un espace basé sur le digital et l’interactivité pour faire découvrir Marseille et l’épice à l’honneur et on participera à des ateliers (accords mets-spiritueux, cocktails…). Côté événementiel, le lieu est doté de deux cours intérieures pouvant accueillir chacune jusqu’à un millier de personnes, y compris pour des activités comme la pétanque, le baby-foot ou un karaoké. L’espace est privatisable pour des lancements de produits, expositions, concerts, team buildings...

 

Bordeaux. Quais de la Garonne, Cité du Vin, Bassins de Lumières : Bordeaux ne manque pas d’atouts pour attirer les voyageurs d’affaires. Ouvert en juin 2021, l’hôtel Renaissance (groupe Marriott) se propose de les héberger. Au-delà des chambres, l'établissement quatre étoiles dispose de plus de 300 m2 d’espaces événementiels et de quatre salles de réunion. Son espace le plus grand peut accueillir 240 personnes. Autres arguments : un rooftop, une piscine perchée ainsi qu'une vue sur la ville et sur deux immenses silos à grains, héritages de l’histoire du bâtiment où il est installé.

 

Marseille. Les modes de travail changent, inspirant de nouvelles pratiques. C’est le cas à L’Équateur. Ouvert en mars dans le 2e arrondissement, cet espace de coworking de 44 postes se veut inclusif et solidaire, de par son implantation géographique et la variété des profils accueillis - entreprises, indépendants, salariés, associations. Au-delà de sa fonction première, le lieu accueille des réunions dans des salles dédiées pouvant rassembler de 8 à 45 personnes, hors période covid.

 

Seissan. L’argument du plein air aura peut-être de quoi séduire alors que le virus est encore là. Ouvert dans le Gers, à moins d’une heure et demie de Toulouse en voiture, le Whaka Lodge peut se décrire comme un hôtel de pleine nature ou un camping de luxe déployé sur 12 hectares de forêts et de lacs. Conçu pour le grand public, il propose aussi des salles de séminaires, peut accueillir des événements B to B (lancement de produit, cocktail, réception…) ou servir de cadre à un team building, le tout en hébergeant tout le monde sur place. Il faut imaginer « un workshop dans une clairière créative en bord du lac ou une sous-commission sur des gros coussins aménagés sur le ponton au milieu des eaux ». Dépaysement garanti.

 

Paris. Ouverte en mars boulevard Haussmann, Ôhm - La Maison du Dirigeant ne rentre pas vraiment dans les cases. Son concept ? Accueillir, à travers des espaces de travail partagés, des experts au service des dirigeants d’entreprise, des cabinets de conseil ou d’avocats, des banques d’affaires, des entreprises de communication ou de lobbyings, des spécialistes RH... Un écosystème où les événements peuvent aussi trouver leur place au sein notamment d'un auditorium et d’un studio de tournage.

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