Profession
Laurent Habib, président de l'agence Babel, a été élu le 12 juin à la présidence de l'AACC, succédant à Vincent Leclabart (Australie). Il détaille pour Stratégies son plan d'action et annonce le lancement le 29 juin d'une grande enquête sur la profession.

Sur quelle vision et quel projet vous êtes-vous fait élire à la présidence de l'AACC?

Laurent Habib. Mon parti-pris de base est qu'il faut arrêter de se plaindre. On n'arrive jamais à séduire ou convaincre qui que ce soit en se plaignant. Nous avons certes toutes les raisons de le faire mais comme tout le monde. Le fait d'avoir une nouvelle concurrence venue du consulting ou de nouveaux acteurs qui désintermédient totalement la relation avec les annonceurs, sans parler de la concurrence venant même des rangs de nos agences sœurs, les agences médias, nous donnent des raisons de nous plaindre. Mais ça ne sert à rien. C'est le meilleur moyen de ne pas être dans le camp des positifs, ceux qui sont au cœur de la transformation et du mouvement. Nous nous retrouvons dans une situation paradoxale: alors que les sociétés de technologie bénéficient déjà du soutien appuyé des pouvoirs publics, le principal acteur de notre métier, Publicis, via Viva Tech, se met aujourd'hui en avant sur les enjeux technologiques plutôt que sur notre métier.

 

Même si je comprends bien la démarche et la stratégie, je pense qu’en tant que publicitaires, nous ne pourrons jamais incarner mieux la technologie que les technologues eux-mêmes. Que nous montrions que nous avons intégré ces enjeux, c'est indispensable mais les placer au cœur de nos métiers, c'est passer à côté de ce qui fait notre désirabilité, à savoir notre capacité à industrialiser la créativité et à gérer celle-ci qui est le coeur de l'immatériel. Mais ça, nous n'avons pas su bien le faire comprendre et partager.

 

Pouvez-vous expliquer l'importance de cette capacité à industrialiser la créativité ?

L.H. Qui sait industrialiser la créativité aujourd'hui? Qui sait construire des sociétés de 200, 500 ou 1000 personnes autour de la création? Ce sont les grosses agences de notre secteur. Et cela vaut de l'or! Accenture, McKinsey et BCG ne savent pas intégrer de la sorte la création. Or, aujourd'hui, l'effet de levier de la créativité est supérieur à tout ce que l'on a connu auparavant. La transformation de l'économie vers l'immatériel a rendu les éléments gazeux du modèle beaucoup plus décisifs que par le passé. Désormais, l'enjeu n'est pas de produire ni de distribuer mais d'exister à travers une idée forte et une identité singulière pour rencontrer des publics. Qui fait ce métier? Les publicitaires et les communicants. Malheureusement, ce n'est pas perçu comme tel. Nous n’avons pas su démontrer notre rôle dans l’économie et la société. Il faut donc urgemment transmettre un nouvel enthousiasme autour de notre profession, auprès de nos salariés, des jeunes talents et de nos clients. 

 

D'où votre idée de présenter les agences comme les «premiers alliés des annonceurs» ?

L.H. Nous avons bien sûr des points d'opposition avec nos clients: sous estimation de notre rôle, difficulté à établir une juste rémunération, éparpillement des budgets... Mais nous devons aussi faire plus de pédagogie à ce sujet. Il nous faut pour cela renouveler notre mode de relation avec l'UDA [Union des annonceurs], mais aussi avec Entreprises et Médias, Communication & Entreprise ou encore le Club des Annonceurs.

 

Comment sortir de ce climat parfois de défiance entre agences et annonceurs?

L.H. Il faut repenser notre relation. On ne peut pas fonctionner dans un système où la valeur ne va plus quasiment que vers deux acteurs digitaux, Google et Facebook, et où les médias traditionnels sont sacrifiés sur l'autel des nouvelles stratégies des annonceurs, à tort d'ailleurs car les médias traditionnels offrent encore une réponse souvent meilleure du point de vue qualitatif. Ce système est fatal. Il faut arriver à trouver un équilibre des rôles.



Mais les Gafa ont-ils intérêt à changer les choses?

L.H. Commençons par aborder avec eux cinq questions: l'objectivation de la performance réelle du digital, la qualité du contexte rédactionnel, la transparence sur le financement des contenus de marque, la confidentialité sur la gestion des datas et enfin l'effet de bulle, un univers qui enferme l’internaute uniquement dans ce qui l’intéresse. Ces sujets doivent être posés pour construire un véritable contrat de confiance entre notre profession et la société. Là-dessus, c’est dans l’intérêt des Gafa de se mettre autour de la table parce qu'ils sont très soucieux de leur image et qu’ils savent que leur point faible aujourd'hui est là.

 

Mais ont-ils besoin des agences pour traiter ce sujet?

L.H. Soit ils vont continuer à publier des pages de publicité pour nier le problème, soit ils contribuent à élaborer un système d'autorégulation et montrent qu'ils sont en position d'agir positivement en proposant des solutions. Bref, soit ils jouent le jeu avec nous, soit

tout cela se terminera par une nouvelle réglementation étatique. Quant aux annonceurs, il serait dangereux de tout miser sur Facebook ou Google sinon à terme, ils se couperont des agences. Alors que les agences sont des alliées de poids, à la fois par leur capacité à accompagner les entreprises dans leurs transformations et à créer de la valeur par les marques. Mais aussi parce que la force des agences, c’est leur neutralité économique dans la conception de plan d’actions et media; c’est leur indépendance financière par rapport aux Gafa. Notre mode de rémunération est déjà marginal dans le système. 

Les agences-conseil en création voient passer l'argent qui va dans les maisons de production, dans les agences médias, dans les médias et chez les Gafa. Notre métier est déjà largement sorti des échanges monétaires. Pourtant, nos stratégies et nos créations drivent ces investissements. Nous pesons donc énormément dans le système et sommes déterminants dans la répartition de la richesse.

 

Quels seraient les contours de cette autorégulation?

L.H. Il y a d'abord un aspect de pure régulation. Est-ce que les règles de l'ARPP, qui sont excellentes, sont applicables à des blogueurs? Comment contrôler les nouveaux modèles économiques des médias? En somme comment transposer les règles de l'ancien système dans le nouveau? Deuxième sujet: la mesure. Il faut inventer le Médiamétrie de demain. Autre thème sensible: la tentation des acteurs du web à investir la création en direct et à concurrencer directement les agences. L'intérêt de tous est de respecter le rôle de chacun. Il ne faut pas oublier au final que tout le système est dépendant de l'investissement des annonceurs. Et les agences sont leur bras armé.

 

Comment justement valoriser ce rôle central des agences?

L.H. Je propose d'organiser avant l'été 2018 un événement de référence sur la création de valeur par la créativité avec les grands patrons français autour de la table pour montrer que la gestion de leur marque est au cœur de leur stratégie. Nous devons réussir à rassembler l'économie française autour de ce sujet. Deuxième initiative: lancer une cité de la créativité digitale avec un partenaire média. L'idée avec les créatifs est d'organiser un Ted X de la créativité pour montrer le meilleur des réalisations en France au travers d'un «creative wall» où toute la profession pourra venir témoigner de sa créativité sur des sujets de technologie, d'expression publicitaire, d'innovation en RP, de design ou encore de technologie… Concernant les relations avec les pouvoirs publics et dans la continuité de ce qui a été mené jusqu'à présent notamment avec le formidable travail de Mercedes Erra sur la création d'une filière Communication, je souhaite que notre profession change de tutelle pour ne plus dépendre du ministère de la Culture et de la Communication mais de Bercy, en tant qu’acteur économique majeur. Après les Lions de Cannes et dans la lignée du travail engagé par Vincent Leclabart, nous avons rendez-vous avec Matignon notamment sur ce sujet. 

 

Comptez-vous aussi changer le mode de fonctionnement de l'AACC?

L.H. Oui et je souhaite pour cela créer une AACC Jeunes réunissant une vingtaine de personnes de moins de 30 ans avec un budget et une stratégie de communication. Ils auront notamment à gérer l’événement AACC dédié aux étudiants, les Journées Agences Ouvertes, mais ils auront aussi la possibilité de proposer d'autres moyens pour établir un lien avec les jeunes dans la profession. Plus globalement, je veux que l'AACC porte le projet de toute la profession. C'est pourquoi j'ai décidé de lancer une grande consultation auprès de l'ensemble des salariés du secteur.

 

Quelle est la finalité de ce questionnaire?

L.H. L'idée est de consulter tous les salariés et pas seulement les patrons d'agences. L'objectif est d'incarner la profession dans son ensemble, de mieux comprendre ses préoccupations, et de renforcer notre représentativité. Cette étude menée avec l'Ifop sera le premier baromètre de la profession afin d'identifier les leviers de confiance, d’enthousiasme et de fragilité en agence, les priorités de la profession et les moyens d'engager davantage les jeunes.

Une grande consultation de la profession

 

Initiative inaugurale de sa présidence, le questionnaire sur «Le travail en agence de communication», disponible sur les sites de l'AACC et de Stratégies à partir du 29 juin, est l'occasion pour Laurent Habib de retisser un lien entre l'association et l'ensemble des salariés de la profession et notamment les jeunes. Parmi la trentaine de questions établies conjointement par l'AACC et l'institut d'étude Ifop, on trouvera: «Quelles sont les principales raisons qui vous ont fait choisir ce métier?», «En quoi votre métier a-t-il changé au cours des dernières années?», « Avez-vous confiance dans l’avenir de votre métier? », «Connaissez-vous l’AACC? Ses missions?», « Selon vous, y a-t-il un manque important dans les missions de l’AACC?», «Pensez-vous que l’AACC a le bon nom?»…

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