Quelques jours après l'annonce de la prolongation de son mandat à la présidence du directoire de Publicis Groupe, Maurice Lévy revient sur sa succession et s'exprime sur France Télévisions, la rémunération des patrons, la crise... 

 

 

La prolongation de votre mandat, qui a certes rassuré tant en interne qu'à l'externe, ne renforce-t-elle pas aussi les inquiétudes quant à la capacité du groupe à assurer votre succession?

Maurice Lévy. J'étais décidé à partir le 31 décembre 2011 et il y avait un plan avec des hypothèses de succession intéressantes. Mais, avec la crise, la présidente du conseil de surveillance, Élisabeth Badinter, et quelques autres membres du conseil m'ont demandé de rester plus longtemps afin de tenir la barre pendant cette période difficile. Je n'y tenais pas tellement, mais j'ai finalement accepté. Quant à ma succession, je ne suis pas inquiet.

 

De fait, les prétendants ne manquent pas…

M.L. Certains se sont présentés comme des «dauphins», des personnes pour lesquelles je n'ai même pas imaginé une seule seconde qu'ils pouvaient aller bien au-delà de ce qu'ils ont fait. Ils se sont eux-mêmes brûlé les ailes. Mais il y en a d'autres, en revanche, qui ont la capacité de briguer ce poste. 

 

La démission de David Kenny, «managing partner» de Vivaki, vous a-t-elle surpris?

M.L. Début 2009, en vue de l'échéance de son contrat en fin d'année, nous avons eu une conversation sur son avenir. Je lui ai dit qu'il avait le potentiel pour faire beaucoup plus et qu'il avait toutes les chances, si ce n'est pour le «top job» au moins pour faire partie de l'équipe dirigeante. Je lui ai organisé des rendez-vous avec des membres du conseil de surveillance tout en lui disant que ce serait bien qu'il envisage de s'installer à Paris. Dès lors, il s'est clairement positionné pour cela. Mais deux problèmes familiaux, l'un prévisible et l'autre malheureusement inattendu, ne lui ont pas permis d'envisager une installation en France. Or, si le futur dirigeant de Publicis peut très bien être étranger, le centre de décision du groupe, qui est français, doit rester à Paris.

 

Diriez-vous toujours, comme en octobre dernier, que votre successeur sera choisi au sein de l'entreprise?

M.L. Oui. Mais soyons clair, je sais où est ma place. Je ne suis ni le fondateur ni l'actionnaire principal de Publicis. Je ferai bien sûr une recommandation, mais c'est au conseil de surveillance de décider. Quant à l'échéance, si j'ai clairement une date en tête – à moins de cinq ans – je ne la communiquerai pas.

 

Compte tenu de sa récente nomination au poste de «Chief Operating Officer» devenant ainsi le n°2 du groupe, Jean-Yves Naouri semble être en pole position pour la succession…

M.L. Il fait clairement partie de ceux qui ont une chance réelle d'assurer la succession. Mais il y a au moins trois candidats très sérieux au sein du groupe, et dont je tairai évidemment les noms.

 

Le récent rachat par Publicis d'une partie des actions détenues par Dentsu annonce-t-il un changement de stratégie de votre partenaire japonais, qui semble accélérer son développement international? Peut-être n'a-t-il pas trouvé autant d'avantages que Publicis dans ce partenariat?

M.L. La stratégie de Dentsu d'être plus présent à l'international est bonne. Quant à sa décision sur la suite des accords qui nous lient, je n'en sais rien. S'il souhaite rester, nous serons contents de poursuivre avec lui, mais s'il veut sortir progressivement du capital de Publicis, nous avons déjà montré comment cette sortie se fera.

 

Compte tenu des atermoiements du gouvernement autour de l'arrêt de la publicité sur France Télévisions, êtes-vous toujours candidat au rachat de la régie et à quelles conditions?

M.L. Le conseil d'administration de France Télévisions a souhaité prolonger l'accord avec Lov-Publicis jusqu'au 31 décembre 2010 de manière à voir quelles seraient les décisions finalement prises autour de la publicité afin soit d'appliquer l'accord tel qu'il a été négocié, soit d'en négocier un nouveau.

 

Ce dossier n'a-t-il pas été une mauvaise opération pour l'image de Publicis?

M.L. Publicis a été assez préservé dans cette affaire. Un combat politique s'est engagé notamment autour des liens entre Stéphane Courbit et Alain Minc avec, derrière cela, un supposé soutien du président de la République. Il faut tout de même rappeler que ce dossier est parti de France Télévisions et non de Bercy ou de l'Élysée. Pour l'heure, nous sommes l'offre la mieux disante industriellement, socialement et financièrement. Quant au débat parlementaire sur le sujet, je n'ai jamais cru que le pouvoir politique allait changer de stratégie sur les recettes publicitaires à la télévision.

 

Finalement, quel est l'intérêt de Publicis?

M.L. Mon raisonnement pour que Publicis participe à France Télévisions Publicité est simple: il y a d'un côté une équipe connaissant très bien le secteur de la télévision qui va voir se développer de nouvelles manières de s'exprimer autour du sponsoring. Et, d'un autre côté, il y a tout un pan d'activité à développer autour du numérique, sur lequel nous avons des compétences indiscutables. Il y a donc une opportunité à saisir, d'autant plus que nous sommes minoritaires et que nous ne briguons pas le contrôle. Pour l'investissement consenti, cela vaut la peine de tenter l'expérience. 

 

Publicis est également régisseur du Monde et de Libération. Que répondez-vous au débat récurrent sur les conflits d'intérêts qu'induiraient ces partenariats?

M.L. Arrêtons! On n'a jamais vu Publicis franchir la ligne jaune. Alors c'est vrai, il s'agit là d'une situation typiquement française, comme on le voit également avec le groupe Bolloré qui va même plus loin en produisant du contenu. Financièrement, pour Publicis, c'est finalement plus un poids qu'un avantage. Nous y restons par devoir de soutien à la presse.

 

Cela a tout de même permis de tisser un réseau d'influence pour Publicis et vous-même?

M.L. Méfions-nous du mot influence. Mais s'il y a influence, dans les faits, mon réseau comme celui de Publicis sont éloignés du Monde, car les journalistes ont naturellement tendance à prendre plus de distance vis-à-vis de Publicis du fait de ses liens avec le journal. Ce qui me paraît normal.

 

Depuis février dernier, vous présidez l'Association française des sociétés privées (Afep). Quelles sont vos priorités?

M.L. D'abord, il est intéressant de noter que c'est un homme de communication qui préside aujourd'hui l'Afep, une institution dirigée jusqu'ici par de très grands industriels, d'Ambroise Roux à Jean-Martin Folz. C'est une reconnaissance pour notre secteur longtemps marginalisé. Ma priorité, c'est la compétitivité des entreprises françaises. Un autre sujet me tient aussi à cœur: le déficit d'image des entreprises et des dirigeants français. Le colloque de l'Afep à l'Assemblée nationale le 16 juin participe de cet effort de reconstruction de cette image. 

 

À ce propos, que vous inspirent les polémiques sur la rémunération des patrons? On évoque à votre sujet des indemnités de départ de 15 à 25 millions d'euros…

M.L. On peut comprendre que les sommes absolues puissent susciter parfois l'interrogation. En tout cas moins que celles des footballeurs avec leurs performances actuelles! Il faut noter que lorsque les rémunérations sont directement liées à la performance, et même si elles sont très élevées, elles sont bien acceptées des actionnaires. Pour ma part, les choses sont simples: lorsque le conseil de surveillance a décidé de ma rémunération en 2003 pour la suite de mes mandats, il m'a été proposé qu'une partie de ma rémunération acquise sur performance serait payée en différé, à la fin de mon mandat, comme moyen de rétention. J'ai accepté cette modalité. Fin 2009, le montant accumulé et provisionné dans les comptes de Publicis Groupe est de 11,8 millions d'euros, tel que publié dans le document de référence.

 

Estimez-vous que le marché publicitaire est aujourd'hui sorti de la crise?

M.L. Il y a deux crises: celle de l'économie et celle de la communication. On va encore connaître des soubresauts et des difficultés tant que l'économie ne sera pas stabilisée à la hausse. Et il y a cette crise plus profonde, plus longue, de la mutation de notre secteur sous l'influence du numérique. Ici, on touche à quelque chose de très souterrain et qui va avoir des conséquences que l'on ne mesurera que dans quelques années: le changement du paysage médiatique, l'influence des bases de données, le comportement des consommateurs, la cogénération des contenus... On peut donc s'attendre à quelques années exaltantes mais qui vont nous demander de gros efforts d'évolution.

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