Jean-Yves Naouri vient de se voir confier la présidence exécutive de Publicis Worldwide. Portrait d'un boulimique tout terrain qui œuvre dans l'ombre de Maurice Lévy, dont il fait figure à la fois de fils spirituel et de dauphin.

«Il a une force de travail impressionnante, s'engage totalement pour Publicis et sait prendre des risques.» Un portrait de Maurice Lévy? Non, de Jean-Yves Naouri brossé justement par le patron de Publicis. Un adoubement pour le nouveau président exécutif du réseau Publicis Worldwide, nommé au printemps dernier, et déjà membre du directoire de Publicis Groupe, directeur général opérationnel de ce dernier et patron de Publicis Healthcare.

 

À 52 ans, cet X-Mines, qui a déjà passé dix-huit ans au sein du 3e groupe publicitaire mondial, est plus que jamais le favori de Maurice Lévy, 69 ans, dont le mandat sera prolongé en décembre prochain. «En ce moment, Jean-Yves est dans une pente ascendante à Publicis, explique le président du directoire de Publicis. Il a toutes ses chances et plus que beaucoup d'autres... mais il y a d'autres alternatives», se reprend-il aussitôt.

 

Depuis leur première rencontre en 1992, Jean-Yves Naouri n'a plus quitté celui qui est devenu son mentor. À l'époque, le jeune conseiller du ministre de l'Industrie Dominique Strauss-Kahn est chargé de lancer le Cercle de l'industrie, une idée du patron de Publicis et de Raymond Lévy, ex-président de Renault, pour promouvoir l'industrie française.

 

Un long parcours initiatique

Suite aux législatives de 1993, Jean-Yves Naouri vient demander conseil à Maurice Lévy sur des propositions d'emploi de grands groupes industriels. «Nous nous sommes vus un jeudi soir. Le mardi suivant, je lui donnais mon accord pour rejoindre Publicis et créer ce qui est devenu Publicis Consultants», se rappelle Jean-Yves Naouri qui est tombé sous le charme: «C'est pour l'homme que j'ai dit oui. Je voulais partager une aventure professionnelle avec lui.»

 

Vingt ans après, Jean-Yves Naouri est sans doute l'une des personnes qui ont passé le plus de temps avec le patron de Publicis. «Il existe entre eux une profonde entente et un profond respect», estime Gilles Masson, vice-président de Publicis Conseil de 2002 à 2004, aujourd'hui coprésident de M&C Saatchi GAD.

 

Certains en interne décrivent en revanche une relation moins évidente avec les actionnaires familiaux du groupe et notamment Élisabeth Badinter, fille du fondateur Marcel Bleustein-Blanchet. Le principal intéressé la qualifie pourtant d'«amicale, surtout avec Simon [fils d'Élisabeth et responsable Amérique du Nord de Médias & Régies Europe] avec lequel les relations vont au-delà du travail.»

 

Toutes ces années ont été pour Jean-Yves Naouri l'occasion d'un long parcours initiatique où il a touché successivement aux dossiers sensibles entre communication et lobbying (Publicis Consultants), à la publicité (Publicis Conseil) et à la gestion d'un réseau international (Publicis Europe du Nord) avant de pénétrer les arcanes du groupe en pilotant Horizon, le plan de réorganisation du Publicis Groupe mis en place après le rachat en 2002 de l'américain BCom3, maison mère de Leo Burnett.

 

Autre corde à son arc: la santé via Publicis Healthcare. Un secteur stratégique avec notamment Sanofi, dont la marge brute estimée à 120 millions de dollars en fait un des tout premiers clients de Publicis en termes de profitabilité. «Il est aujourd'hui l'un de ceux qui connaissent le mieux le groupe. Membre du P12 [le comité exécutif du groupe], il connaît bien tous les managers», note Stéphane Amis, ancien président de Digitas France (filiale digitale de Publicis), désormais à la tête de Fullsix France.

 

Une machine qui ne s'arrête jamais

Mais son parcours, unique dans le groupe, a suscité des jalousies. Le «programme Horizon» sur lequel il a la haute main a aussi été synonyme de cessations d'activité, de rapprochements plus ou moins souhaités et de rationalisation des coûts. Nombre de ses collaborateurs reconnaissent qu'il avance en toute discrétion, mais comme un rouleau compresseur.

 

«Il a nettoyé les écuries. Pour lui, si Maurice pense que c'est bien, c'est qu'il y a un sens à tout cela», confie un ancien dirigeant du groupe. D'autres sont plus cinglants: «Il peut être brutal. En bon polytechnicien, comme les trains qui déraillent, il ne sait pas s'arrêter.»

 

Les personnes qui l'ont côtoyé concèdent qu'il a pu, au début, surjouer son modèle: Maurice Lévy. Mais, pour ce dernier, «Jean-Yves a tout simplement appris la patience qui est une chose difficile. J'avais rigoureusement le même défaut.» Un clone, vous dit-on... N'ont-ils pas la même carrure imposante, une formation initiale aux antipodes de la publicité et le même engagement à la limite de l'abnégation?

 

Dans ce domaine justement, comme dans bien d'autres, Jean-Yves Naouri suit les traces de son aîné. Il ne dort que quatre heures par nuit, les décalages horaires ne l'effraient pas. Ainsi, suite à sa nomination à la tête de Publicis Worldwide, il ne lui a fallu que dix jours pour visiter les principales agences du réseau enchaînant les vols entre les États-Unis, l'Australie, la Chine et la Russie. Après ce périple et une petite semaine à Paris, il était déjà reparti pour le Brésil avec Maurice Lévy.

 

Mais au-delà de cette image de machine méthodique («je l'ai vu en quelques minutes avaler un listing de chiffres sur le groupe et en pointer les trois-quatre erreurs, comme s'il lisait une BD», se souvient Gilles Masson), la plupart de ceux qui le connaissent évoquent un homme «honnête», «fiable», «fidèle», «pudique», «disponible», «tout le contraire d'un mondain». «Il a surtout cette force qu'ont les politiques, il sait se relever des coups durs», constate Marc Drillech, ex-président de Publicis Dialog et actuel directeur général du Groupe Ionis.

 

En l'occurrence, son passage chez Publicis Conseil ne fut pas flamboyant. Certes, une belle série d'embauches (Daniel Fohr et Antoine Barthuel, ex-BETC, Hervé Plumet, ex-Louis XIV DDB, etc.) a permis d'amorcer le réveil créatif de l'agence, surnommée avant son arrivée le «ministère de la pub». Mais côté business, les résultats furent mitigés.

 

Du coup, sa nomination soudaine à la tête du réseau Europe du Nord fut perçue à l'époque davantage comme une mise à l'épreuve que comme une promotion. Dix ans après, Jean-Yves Naouri concède que «le fait d'avoir pris des décisions parfois difficiles a pu créer un choc chez certains. Sur le fond, je referais la même chose. Sur la forme, on n'agit pas de la même façon à 40 ou à 50 ans

 

En attendant la levée du rideau

Aujourd'hui, les décisions qu'il a à prendre sont d'une tout autre importance dans un groupe employant quelque 49 000 personnes. Ses priorités se résument en deux mots: Bric (Brésil, Russie, Inde et Chine) et digital. L'ambition est de poursuivre le développement au Brésil, déjà 3e marché du groupe, et de faire de la Chine son 2e marché d'ici à fin 2013.

 

Quant à Internet, l'objectif est de passer d'ici à deux ans de 30 à 45% des revenus du groupe générés par le digital. «La conviction de Publicis est que l'avenir est à la fusion du conseil et de la technologie», lance ce fan de high-tech qui a initié la mise en place d'un énorme «data center» pour toutes les agences du groupe dans le monde.

 

Ce mordu d'astrophysique sait aussi prendre de la hauteur. Également grand amateur d'archéologie - il parle plusieurs langues anciennes -, Jean-Yves Naouri rappelle que «certains textes anciens, comme le code babylonien d'Hammurabi, montrent combien ce qu'on imagine nouveau est souvent très ancien». De là lui vient sans doute cette capacité à gérer le temps et... à attendre son heure.

 

Mais le moment venu, sauf imprévu, il lui faudra aussi sortir de l'ombre et endosser le costume de grand patron médiatique que s'est taillé sur mesure l'actuel patron de Publicis. Comme ce dernier, il pourra compter sur un solide réseau.

 

Les anciens de Polytechnique et de l'École des mines bien sûr, mais aussi ses ex-collègues du cabinet de Strauss-Kahn, notamment Stéphane Richard, président de France Télécom, Cyril Garcia, directeur de la stratégie chez Capgemini, Jean-Hervé Lorenzi, président du Cercle des économistes, et Jacqueline Franjou avec laquelle il avait lancé le Cercle de l'industrie et qui, à sa demande, a récemment pris la vice-présidence du Women's Forum organisé par Publicis.

 

En attendant, cette dernière compte bien, comme chaque été, accueillir Jean-Yves Naouri au Festival de Ramatuelle qu'elle a créé en 1983 avec Jean-Claude Brialy. Ce passionné de théâtre, qui connaît par cœur le répertoire d'Edmond Rostand, recourt souvent, selon ses proches, aux plus grands textes pour traduire des sentiments qu'habituellement il réfrène. «Le théâtre permet d'exprimer sans retenue la réalité de la vie», explique son amie Jacqueline Franjou.

 

Encadré

 

Dates clés

 

19 novembre 1959. Naissance à Bône (Algérie).

 

1979. Diplômé de l'École polytechnique.

 

1984. Ingénieur en chef de l'École des mines.

 

1991-1993. Conseiller technique au ministère de l'Industrie et du Commerce extérieur.

 

1993-2000. Président de Publicis Consultants.

 

2000-2003. Président de Publicis Conseil.

 

2003. Président de Publicis Europe du Nord.

 

2004-2006. Vice-président exécutif de Publicis Groupe.

 

2006-2010. Directeur général adjoint, chargé des opérations.

 

2007. Membre du directoire.

 

2008. Chargé de la supervision de Publicis Healthcare Communications Group.

 

2010. Directeur général opérationnel de Publicis Groupe.

 

30 mars 2011. Président exécutif de Publicis Worldwide

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