Communiquer sur l'échec de la fusion entre Publicis et Omnicom dans la nuit du jeudi 8 mai, en plein pont, permettait à Maurice Lévy de limiter les analyses et les réactions à chaud. Pour Stratégies, toutefois, des acteurs du marché et patrons d'agence livrent leurs commentaires et explications.

A la suite de l'annonce de l'échec de la fusion Publicis-Omnicom, qui devait donner naissance au N°1 mondial de la communication, devant WWP: réactions à chaud d'experts et patrons d'agences parisiennes.

 

Stéphane Amis, associé du cabinet APM Corporate Finance, ancien président de Digitas France (Publicis Groupe)

«C'est un cataclysme. Un vrai gachis. Du jamais vu après une telle communication en amont du projet. Alors que tout le monde saluait la sortie par la grande porte de Maurice Lévy avec cette fusion, il montre qu'il est malheureusement incapable d'orchestrer son départ. Sur le fond, il faut dire que Publicis et Maurice Lévy sont beaucoup plus forts qu'Omnicom - tant sur l'organisation, les méthodes, l'intégration du numérique...- et cela devait être insupportable à John Wren de l'accepter et de sentir qu'il allait être dépossédé de son groupe, alors qu'il avait déjà consenti la parité égale sur le plan financier, malgré la différence de taille et le mécontentement de certains actionnaires. Il aurait dû savoir que travailler à égalité avec Maurice Lévy, c'est un concept! Décider de communiquer sur le désaccord concernant le directeur financier laisse entendre que les raisons réelles ne sont pas avouables. On est dans le symbole. Pour l'interne, chez Publicis, la nouvelle (pas bonne pour tout le monde) c'est que Maurice is back!»

 

Laurent Habib, président-fondateur de Babel, ancien directeur général d'Havas.
« Cette annonce est une mauvaise nouvelle car elle casse un élan. Je ne connais pas les causes de l'échec de la fusion. Sans doute que John Wren, CEO d'Omnicom, voulait récupérer en pouvoir ce qu'il perdait sur le plan financier. J'ai de la peine pour Maurice Lévy, pour qui j'ai beaucoup d'admiration, et je déplore que certains se réjouissent que le meilleur d'entre eux ait échoué. Publicis est un groupe exceptionnel qui est le seul à avoir su développer une dynamique forte dans le digital. Nous avons besoin d'un très grand leader français, un acteur de la publicité qui ait la puissance pour redéfinir les lignes face aux géants du Web et de l'entertainment. Espérons après cet échec, que Publicis trouve de nouvelles alliances avec des acteurs plus complémentaires lui permettant de jouer un rôle moteur dans ce rééquilibrage de l'industrie. Une certitude : Maurice Lévy n'est pas à la retraite et pour Arthur Sadoun, CEO du réseau Publicis Worlwide, une grande aventure commence. »
 

Vincent Leclabart, président d'Australie et de l'AACC
«En tant que patron de l'agence Australie, je pense que cette fusion avortée n'est pas préjudiciable pour les protagonistes. Mais elle remet au premier plan deux sujets majeurs qui les concernent: la question de la succession de Maurice Lévy chez Publicis, et du développement dans le digital chez Omnicom. Quant au projet lui-même, qui visait à s'unir pour faire face aux géants du Web, je n'y ai jamais cru. Je pense que c'est collectivement qu'il faut faire face à Google. Sur l'enjeu des big data, Publicis a raison d'investir et de se lancer dans une autre activité que la publicité, sachant que les annonceurs resteront propriétaires de leurs données. Cet échec est ressenti plus fortement en France que dans les autres pays, car les effets de la fusion y auraient été aussi plus conséquentes. On le sait, Jean-Marie Dru, chairman de TBWA Worldwide, s'est construit en opposition à Maurice Lévy. A cet égard, ce doit être un soulagement pour TBWA Paris, DDB Paris et CLM BBDO, agences françaises d'Omnicom qui craignaient l'emprise de Publicis après la fusion. Un soulagement aussi pour les clients, car les agences vont pouvoir leur consacrer toute leur attention plutôt que de perdre du temps et de l'énergie à se préoccuper des effets de la fusion et notamment des éventuels conflits de budgets. Au final, la fusion entre égaux, ça ne marche pas. Cette affaire n'était qu'un problème de deux personnes qui devaient accepter de partager du pouvoir, ce dont ils n'ont pas été capables. L'aspect positif, c'est que le facteur humain reste l'élément déterminant dans nos affaires, et cela devrait rassurer nos clients...» 

 

Arno Pons, directeur général de 5ème Gauche, ancien directeur général adjoint de Saatchi & Saatchi Duke (Publicis Groupe)
«Dans l'histoire des fusions industrielles, c'est un fait exceptionnel, à ma connaissance, qu'une opération annoncée de si longue date se solde par un échec. Sur le plan de l'image, le fait que Publicis, premier groupe français de communication ait péché en communiquant trop tôt et trop fort sur une opération incertaine, va sans doute laisser des traces et le sentiment d'un gachis. Maurice Lévy a l'image rare d'un grand patron très respecté, un magicien qui marche sur deux jambes: capable à la fois comme manager de décrocher son téléphone pour aller chercher un budget, et comme capitaine d'industrie et grand financier d'avoir une vision à long terme pour son entreprise tant sur le plan international qu'en matière de développement. Son parcours est exceptionnel, c'est un exemple qui pousse à l'admiration. Mais dans cette affaire, son aura est forcément atteinte car personne ne peut croire qu'il n'y a pas une coresponsabilité dans cette rupture. Ce projet de mariage a également dévoilé que Publicis était au «climax» de sa stratégie, mais aussi à la fin d'un cycle... Et que derrière cette formule «fusion entre égaux» se cachait en réalité le rachat de Publicis, ce qui explique sans doute que sur la question du directeur financier - qui serait la cause de la rupture - ni Maurice Levy, ni John Wren, CEO d'Omnicom, n'ont voulu céder. Sur le fond, reste l'objet de cette fusion motivée, disait-on, pour faire face aux Google et consorts. Si la taille avait été le seul critère pour contrer les géants d'Internet, ils auraient trouvé un accord. Le problème c'est que se marier avec son double réduit la question à des problèmes d'ego car leurs valeurs sont additionnelles et non véritablement complémentaires. La morale? Soit tu es à vendre, et tu acceptes les conditions de celui qui t'achète, soit tu te maries car tu admires la différence chez l'autre.» 

 

Henri de Bodinat, président de Time Equity Partners
« Le fait que la fusion achoppe sur la nomination du directeur financier illustre bien que ce deal n'avait pas de motivation économique et stratégique que l'ambition personnelle de Maurice Lévy qui s'est trouvé confronté à quelqu'un d'aussi ambitieux que lui. S'est ainsi matérialisé le problème d'un conflit pour le pouvoir entre deux hommes incapables de concessions. Dès l'annonce de ce projet, j'avais déclaré que les avantages stratégiques de cette fusion étaient illusoires et les inconvénients évidents. Pour moi, affirmer que la fusion permettrait un rééquilibrage, et donnerait un poids supérieur par rapport à Google ou à Facebook, revenait à construire un cuirassé deux fois plus gros pour résister à des porte-avions, et donc, que l'on se trompait de combat par rapport au nouvel écosystème numérique. Notamment, concernant la publicité en ligne, comme les mots-clés sur Google, en grande partie liée à la performance, qui s'affranchit largement de l'équilibre volumique entre agences et media. Alors que les économies d'échelle semblaient aléatoires, les conflits de budgets et une taille de géant bureaucratique aparaissaient clairement comme des points négatifs dans un métier de création. Je craignais également que la gouvernance soit acrobatique entre un centre français, un centre américain et une holding hollandaise. Conflits, intrigues, coup bas, lourdeurs, risquaient d'affaiblir la nouvelle entité et de dégrader sa qualité de service. Restait la volonté de Maurice Lévy de continuer à régner et de porter Publicis - dont il a réussi à faire le troisième groupe publicitaire mondial à partir de la France- au premier rang face à WPP et Martin Sorrell. Dire aujourd'hui qu'il renonce à la fusion pour sauver « l'âme de Publicis » est de la communication pure pour justifier l'injustifiable. En réalité, Maurice Lévy est un autocrate, un chef incontesté et incontestable, qui ne sait pas partager le pouvoir et est incapable d'organiser sa succession.» 

 

Agathe Bousquet, présidente d'Havas Paris

«Havas ne souhaite pas commenter cette nouvelle. La sobriété est de mise. Nous restons concentrés sur nos clients et le renforcement de notre modèle. Et avec Yannick Bolloré, nous allons continuer dans cette voie.»

 

Frank Tapiro, président de l'agence Hémisphère Droit
« J'espère qu'ils ont de très bonnes raisons pour stopper cette fusion car c'est très dommage pour les protagonistes et pour le métier. Depuis combien de temps, la publicité n'avait-elle pas fait l'actualité et l'évènement dans le business ?»
 

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