Malgré ses règles protectionnistes et sa bureaucratie, le Brésil a un fort pouvoir d'attraction sur les agences qui misent sur ce hub sud-américain pour se déployer.

Au-delà des grands réseaux publicitaires de création et médias, implantés de longue date, le Brésil a un fort pouvoir d'attraction sur les agences françaises qui se trouvent dans une stratégie de développement international. Toutes convergent vers São Paulo, principal centre financier, commercial et industriel de l'Amérique latine, qui compte pas moins de 400 agences. Ainsi, BETC vient d'y poser ses cartons, deuxième destination stratégique après Londres et avant les Etats-Unis l'an prochain.

Dans une logique d'agences référentes sur leur marché, le Brésil apparaît comme «un hub incontournable» à Rémi Babinet, cofondateur et président de BETC. «Londres est le berceau de la publicité, le Brésil c'est l'énergie créative, une nouvelle Europe géante avec laquelle on a culturellement de fortes affinités», dit-il. BETC São Paulo est dirigée par deux Brésiliens, le créatif Ehr Ray et une figure du digital, Gal Barradas. « C'est une agence hybride, à la fois premium dans sa construction des marques, comme à Paris, et en même temps totalement dans la conversation digitale», ajoute Rémi Babinet.  L'agence devrait notamment accompagner les clients mondiaux du groupe, et va lancer Tog, la marque de meubles 3D soutenue par Philippe Starck, qui démarre sa commercialisation par le Brésil.

Même volonté d'ouvrir un hub sud-américain chez Public Système Hopscotch, qui a inauguré Hopscotch Système Americas à São Paulo début 2013. «Au-delà du contexte favorable avec la Coupe du monde de football en juin-juillet 2014 et les JO d'été en 2016, nous avions décidé, encouragé par nos clients dans le luxe, l'automobile et le sport, de nous implanter, explique Frédéric Bedin, son président. Durant le Mondial, l'agence va gérer pour Sony, les espaces de relations publiques dans les stades de São Paulo, Rio de Janeiro et Bello Horizonte.»

L'agence événementielle Marcadé s'est installée, elle, il y a six mois, pour accompagner ses clients, les maisons de luxe. Les agences de design françaises sont également bien représentées. Pionnière, Interbrand est sur place depuis 1998. «Il fallait être présents sur les BRICS, le Brésil était alors un pays émergent, mais avec déjà une économie colossale», se souvient Bertrand Chovet, directeur général d'Interbrand France. L'agence y a décroché de gros budgets locaux, comme les banques Itaú et Bradesco, et l'entreprise pétrolière Petrobras, et y accompagne localement des clients, tels Vallourec et Renault.

Team Créatif est arrivée en 2007. «Notre client Danone nous y a envoyés pour renouveler une gamme de biscuits. Puis nous avons gagné des budgets comme Brazil Foods en 2001, précise Mathieu Reverte, directeur associé de Team Creatif Brésil. Pour le Mondial, des clients nous ont fait plancher sur des éditions limitées, des relances de gammes, des promos on-pack...»

D'autres agences de design ont traversé, à leur tour, l'océan: Saguez & Partners en  juin 2012, Dragon rouge en février 2013, CBA fin avril 2014. «Il y a au Brésil un savoir-faire architectural et un art de vivre des lieux mais sans approche de marque, explique Cécile Poujade, directrice associée chez Saguez & Partners. Nous apportons cette démarche de design global partant de la vision de la marque.»

Du côté du digital, l'explosion des médias sociaux a conduit l'agence européenne We are social à poser ses valises dès 2011. «Avec 250 millions d'abonnés mobiles, les Brésiliens sont les 5e utilisateurs de téléphones portables au monde et les téléchargements d'applications ont crû de 230% en 2011», explique, pour sa part, Philippe Lourenço, fondateur de Mister Bell, une régie publicitaire mobile à la performance, qui vient d'annoncer la création de sa filiale.

Mais s'installer au Brésil est loin d'être une sinécure. C'est une aventure entrepreneuriale. Le Brésil a ainsi été classé 116e sur 189 pays dans le rapport «Doing Business 2014» de la Banque mondiale. Comme le souligne BNP Paribas, «parmi les facteurs agissant négativement sur les investissements directs étrangers au Brésil figurent la fiscalité lourde et complexe, les délais bureaucratiques et la législation du travail pesante et rigide».

Au point d'en décourager certains, comme Paul-Emmanuel Reiffers, président du groupe Mazarine. «Le Brésil est un pays protectionniste, centré mentalement sur lui-même, avec de fortes taxes à l'importation, dit-il. Il faut y démarrer avec une marque forte qui vous y pousse, or pour mes clients, l'Asie reste la priorité.» La PAC, société de production, a également renoncé il y a trois ans. «La production publicitaire brésilienne c'est surtout de la promotion, explique Michael Bernier, son directeur général. Ajoutez les taxes et la corruption, il n'y a pas de place pour un savoir-faire premium comme le nôtre.»

La corruption? Aucune agence installée n'en parle, mais François Faure, ancien directeur de création d'Euro RSCG Brazil se souvient: «

 «Il y a au Brésil une capacité à ingurgiter ce qui vient du monde. Mais la forte volonté des acteurs mondiaux (les Etats-Unis, la Chine...) de pénétrer ce pays a abouti aussi à des lois protectionnistes», explique Bertrand Chovet d'Interbrand. Voilà pourquoi la plupart des agences choisissent de «démarrer avec un partenaire local car c'est compliqué administrativement et fiscalement d'être actionnaire majoritaire d'une agence au Brésil» constate Jean-Baptiste Danet, directeur général de Dragon rouge, qui a créé sa filiale de design avec Alexander Sugai, transfuge de l'agence brésilienne A10.

Public Système Hopscotch a un accord commercial avec la société For Result qui héberge sa filiale. Idem pour Mister Bell en partenariat exclusif avec Afilio. Olivier Saguez, lui, a choisi de monter une joint-venture avec le Brésilien Nelson Rocha, fondateur de l'agence Criacittá. Un an après son lancement, Saguez & Rocha remportait le concours international de rénovation de l'aéroport de Sao Paulo-Gualhuros. La première réalisation – la villa Gru, un salon VIP proposant des services premium inédits – a été inaugurée début mai.

CBA a fait de même avec B+G et créé à parité CBA B+G. «Nous avions une volonté de partage de cultures. Nous avons ainsi récupéré leurs effectifs et nous avons les mêmes clients à commencer par Nestlé», indique Jean-marc Rinaldi, directeur général du groupe CBA.

S'implanter au Brésil prend du temps pour rencontrer les personnes qui formeront les équipes. «Ce temps-là est incompressible», dit Rémi Babinet. Et du temps aussi en raison de la bureaucratie. «Il nous a fallu un an pour ouvrir notre filiale et 100 000 euros d'investissement avec un passage obligatoire par un cabinet franco-brésilien implanté à Paris et au Brésil», raconte François Marcadé qui a créé sa filiale sans associé, à l'instar de BETC.

«Il faut être autonome localement, ajoute-t-il, car l'importation de matériel, les prestations intellectuelles et les flux financiers avec la maison mère sont lourdement taxés.»

Le protectionnisme induit de produire sur place et d'employer des «locaux», règle à laquelle personne ne déroge. «Il n'y a pas de fracture de culture mais parler portugais facilite le business», estime Philippe Lourenço. Un propos que nuance Mathieu Reverte, de Team Créatif. «La manière de faire du business est différente, dit-il. Il y a à la fois un côté très informel et un côté bureaucratique: la culture du recours à l'avocat est systématique. Tout doit être écrit, à toutes les étapes du process.»

Cécile Poujade, chez Saguez & Partners, confirme: «Le Brésil est un marché séduisant mais compliqué, un pays d'entrepreneurs mais sans méthodologies avec des process de décision davantage en mode collaboratif que hiérarchique». Leslie Orsioli, directrice générale de We Are Social Brazil, abonde: «Le Brésil est très différent culturellement, y compris par rapport au reste de l'Amérique latine. Les relations professionnelles y sont très affectives et dans l'émotion.» Et d'ajouter que «la concurrence est très vive, car les agences se disent toutes “spécialistes" alors qu'elles ne le sont pas, avec une surenchère salariale aggravée par l'inflation».

Du coup pour fidéliser ses collaborateurs, We Are Socia a installé son agence dans une maison avec piscine, sauna, barbecue, ping-pong dans le quartier branché de Vila Madalena, tandis que BETC a choisi des locaux avec une vue sur la ville à couper le souffle. Rémi Babinet avertit aussi que «le Brésil, c'est des phases d'accélération d'activité et puis d'un coup, tout qui se bloque». «Les tendances sont positives, mais le modèle économique n'est pas encore très stable, confirme François Marcadé. Le Brésil se cherche, c'est l'école de la samba!»

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.