création
Ancien graffeur, Karim Boukercha est l'auteur de plusieurs livres sur le sujet, dont celui que vient de publier BETC dans le cadre de son projet de déménagement à Pantin. Il revient sur la place du graffiti en France et ses rapports avec la publicité.

Quelle place occupe le graffiti en France ?

 

K.B. Une place historiquement importante. Si le graffiti a été inventé à New York, il s'est très rapidement invité chez nous, dès les années 1980. Il s'est d'abord développé dans les lieux en friche, comme les terrains vagues, de manière assez illégale, puis à partir des années 2000 dans les bâtiments abandonnés, comme les Magasins généraux de Pantin [où s'installera l'agence BETC en 2016, lire l'encadré].

 

Comment différencier graffiti et street art ?

 

K.B. Alors que le street art est plus figuratif, le graffiti est un art plus abstrait qui consiste à dessiner son nom avec style le plus de fois possible dans la ville.

 

Est-ce qu'il y a une tendance particulière de graffiti aujourd'hui ?

 

K.B. Depuis quelques années déjà, les graffeurs cherchent des revêtements moins lisses, plus compliqués à peindre. Aujourd'hui, le bâtiment fait partie intégrante du graff. Je trouve aussi que les graffeurs cherchent aujourd'hui à faire des formes de plus en plus abstraites, à déstructurer les lettres. Ils ne sont plus forcément soucieux de la lisibilité mais davantage de faire de leur nom une marque de fabrique, comme le graffeur Lek.

 

Quels rapports le graffiti entretient-il avec la publicité ?

 

K.B. Comme une marque, un graffeur travaille à la publicité de son propre nom. Les deux vont essayer de s'assurer un maximum de visibilité. Par exemple, le long des périphériques, les affiches en 4X3 vont côtoyer des graffitis géants. C'est la première passerelle que je vois entre ces deux mondes.

 

Est-ce que des graffeurs acceptent de collaborer avec des annonceurs ou des agences de communication ?

 

K.B. Bien sûr, il y a une réelle porosité entre les deux mondes. D'ailleurs, certains graffeurs sont ensuite devenus graphistes ou créatifs en agence de publicité, comme Nasty devenu concepteur-rédacteur. Rappelons aussi que si aujourd'hui, la RATP fait la guerre aux graffeurs, en 1984, elle avait fait appel au graffeur new-yorkais Futura 2000 pour sa campagne publicitaire «Ticket Chic, Ticket Choc». Son but était alors de communiquer auprès des jeunes pour rendre le métro branché.

 

Peut-on dire que la publicité s'inspire de l'univers du graffiti ?

 

K.B. Selon moi, plusieurs campagnes publicitaires se sont inspirées du graffiti, notamment sur la forme. Par exemple, il y a quelques années, Bouygues Telecom a fait une campagne à La Défense en collant des cercles sur le sol, ou à cheval entre le sol et un mur, à une époque où dans le milieu des graffs, la mode était de dessiner par terre. Les marques se sont aussi inspirées des graffeurs lorsqu'elles ont commencé à plastifier des rames de métro, voire des stations entières, comme Orangina l'a fait cet été à la station Bastille. Il ne faut pas oublier que ceux qui ont commencé à recouvrir les wagons et les rames, ce sont les graffeurs.

 

Peut-on imaginer, dans un futur proche, davantage de publicités illustrées par des graffitis ?

 

K.B. De temps en temps, des publicités font appel au graffiti, comme cette campagne pour la carte Imagin'R [réalisée par le graffeur Grems en 2007], ou des marques collaborent avec des graffeurs, comme Converse avec le graffeur AlexOne ce printemps. Mais depuis cinq ans, la mode est quand même plus à l'intégration de street art dans les publicités. Tout simplement car cet art, plus figuratif, est plus compréhensible par le grand public.

 

 

 

 

«Graffiti général»: après le site, le livre

 

BETC s'installera courant 2016 dans le bâtiment des Magasins généraux de Pantin, terrain de jeu des graffeurs du monde entier depuis son abandon en 2004. Pour garder une trace des milliers de graffitis qui ornent ses murs, l'agence a découpé les pièces les plus remarquables, qui feront probablement l'objet d'une exposition par la suite, et a mis en ligne un site dédié (www.graffitigeneral.com), explique Rémi Babinet, président et directeur de la création de BETC. Troisième étape de ce travail de mémoire: la publication du livre Graffiti général (Editions Carré) dont le texte est signé par le graffeur Karim Boukercha et les photographies par Yves Marchand et Romain Meffre. «C'est un livre sur l'histoire du bâtiment des Magasins généraux, mais aussi sur l'histoire du tag à Paris et sur les rapports entre le graffiti et l'architecture», précise Rémi Babinet.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.