Management
Jérôme Petit a été nommé partner de l'agence Artefact en décembre 2019, il ne s'attendait pas à être promu « chief coronavirus officer » quelques mois plus tard. Le titre est officieux. La mission, très sérieuse.

En quoi consiste votre mission de « chief coronavirus officer » ?

J’ai quatre jobs en un. Le premier est de coordonner l’action de l’équipe de direction en anticipation des impacts de l’épidémie. Ensuite, c’est d'informer l’équipe de l’agence, qui est déjà abreuvée d’informations qui viennent de sources plus ou moins fiables, donc il est important d’avoir un canal qui incarne une information crédible.

Pour cela je produis une newsletter chaque jour pour les informer de l’évolution des mesures mises en place et des conséquences sur notre organisation. J’explique comment l’agence doit s’adapter pour la sécurité de tout le monde et du business.

Mon troisième job est, pardonnez l’expression, c’est le bureau des peurs. Je réponds aux angoisses d’une partie de notre staff et garde le lien avec depuis chez eux, ceux qui sont malades, ceux qui ont des proches infectés ou ont une vie de famille compliquée.

Enfin mon quatrième rôle, et il est important, est de garder une atmosphère de travail aussi protégée que possible du gros nuage noir de news sur ce sujet. Au-delà des infos factuelles et des recommandations claires, je m’assure de laisser un peu de place à un peu d’humour, un ton badin.

 

Votre mission est très sérieuse mais le titre, un peu moins ?

Tout à fait ! Cet intitulé de poste est utilisé en interne et visait à apporter entre guillemets un peu de légèreté à un sujet qui est déjà assez grave comme ça. Sinon j’ai été recruté en tant que partner d’Artefact en décembre 2019.

 

En quoi votre rôle a été déterminant dans la préparation opérationnelle et stratégique de l’agence ?

Nous avons toujours eu un coup d’avance. La meilleure illustration est lorsque le président de la République a annoncé le confinement [sans en prononcer le mot] le 16 mars, cela faisait une semaine que nos équipes travaillaient depuis chez elles avec nos PC opérationnels et nos datas accessibles depuis l’extérieur. Après je dois dire que nous avons une chance, c’est que nous sommes habitués au travail à distance.

Toute notre IT est déjà dans le cloud et nous sommes rompus aux outils collaboratifs Google. Mon rôle a permis de prendre la mesure de la situation et de l’anticiper. Par exemples certains clients ne donnent accès à leurs données que depuis du matériel fourni et configuré par leurs soins. Ce coup d’avance nous a donc permis d’équiper les personnes à l’agence.

 

Décrivez votre journée type

Ma journée commence… la veille à 19 heures. J’écoute religieusement le point de situation de Jérôme Salomon [le directeur général de la Santé]. Je précise que je suis insomniaque, ce qui est un gros avantage pour cette mission. Je me lève à 5 heures du matin et je fais un point sur l’actualité dans les grands journaux nationaux. Au début de la crise nous faisions un point quotidien à 9 heures sur Hangouts avec l’équipe de direction pour décider des guidelines, désormais c’est bihebdomadaire.

Je passe ensuite la journée entre ma fonction de partner et répondre au fil de l’eau aux demandes des équipes. Je prends des nouvelles de tout le monde. Nous avons des bureaux en Chine et j’ai beaucoup passé de temps à interviewer les équipes là-bas au début, cela nous a aidés.

 

Quelles sont vos sources d'information ?

Sur l’épidémie et les mesures, je ne m’appuie que sur des sources gouvernementales. Je préfère un unique tuyau officiel plutôt que de passer ma journée sur BFM ou branché au fil RSS du Monde. Il faut aller à la source. Pour les guidelines, je suis de près ce que dit l’OMS. Par exemple elle avait conseillé de préparer une salle à part dans ses bureaux pour pouvoir accueillir quelqu’un qui tomberait soudainement malade, et c’est ce que nous avons fait.

Pour les chiffres, je me base sur les datas de la Johns Hopkins University. Une autre source pour suivre la progression de l’épidémie est OurWorldinData.org qui est tenu par des gens d’Oxford.

 

Vous ne citez aucun média, ni réseau social !

Les réseaux sociaux sont très bien pour happer des bêtises. Je les utilise pour trouver des mèmes pour la partie plus légère de la newsletter, mais autrement ils génèrent trop de bruit. J’utilise aussi Twitter pour une chose : ses alertes sur les prises de paroles gouvernementales.

Pour les médias, je m’appuie sur Le Parisien pour l’actualité locale et parce qu’Artefact a un bureau à Paris, Le Monde pour le national, le Guardian car nous avons un bureau au Royaume-Uni, le New York Times et le Washington Post pour notre bureau américain, et nfin mes associés pour nos autres implantations.

J’ai passé cinq ans à la direction stratégique de groupes média [Canal+ et Lagardère], je sais ce que représente le travail de croiser ses sources.

 

Pour avoir un coup d’avance, vous avez bien des proches ou insiders dans les ministères…

Je n’ai pas cherché à aller derrière le rideau et ai suivi les informations officielles qui étaient données. Je considère qu’il est important de ne pas laisser penser que nous sommes mieux informés que les équipes ministérielles qui passent 200% de leur temps sur ce sujet.

Je n’ai pas considéré que nous étions plus compétents que les autorités sur la conduite à tenir dans cette crise. Si nous avons anticipé le confinement d’une semaine, c’est parce nous étions déjà préparés à travailler à distance. C'est uniquement suite à l'annonce officielle que nous avons fermé nos bureaux à clé.

 

Qu’avez-vous appris des exemples à l’étranger ?

La Chine nous a aidés à prendre conscience qu’il fallait suivre toute son équipe, bien l'informer et se montrer très présent et à l'écoute. Nous avons aussi compris qu'il fallait faire confiance à ses collaborateurs. Dans ce genre de situation, il n'y a pas de place pour le micro-management.

3 conseils du « chief coronavirus officer » d'Artefact pour affronter la crise en interne

1/ Garder la tête froide et ne pas surréagir aux annonces ;

2/ Laisser une grosse place à l’écoute car il y a des angoisses réelles, et parfois irrationnelles. Dans ce cas, ne pas faire de « problem solving » mais écouter ;

3/ Garder une part de légèreté car la situation est assez anxiogène, même si être angoissé peut être utile pour envisager pas mal de scénarios et se montrer proactif.

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