Dossier Com corpo
La période que nous traversons rend encore plus prégnante la question de la responsabilité des entreprises. Au-delà de la communication, des actes concrets sont plus que jamais nécessaires.

« La raison d’être, c’est tout sauf un sujet de com’ ! » Fabrice Bonnifet, président de l'association C3D (Collège des directeurs du développement durable), qui œuvre pour des entreprises plus responsables, persiste et signe : « Tous ceux qui prendront ce sujet par ce côté auront tout faux. » À l’heure où les professionnels sont confinés chez eux, que le secteur de la publicité connaît un coup d’arrêt brutal et que des prévisions économiques des plus dramatiques sont formulées pour les mois à venir, force est de constater que les entreprises qui aborderont la question par ce prisme risquent, en effet, d’aggraver les choses.

La crise sanitaire actuelle, avec en toile de fond des enjeux écologiques et environnementaux qui n’ont pas disparu, même si l’heure reste à la gestion de l’urgence, a redonné de l’importance au fait que les entreprises réfléchissent concrètement à leur impact non seulement financier mais aussi global sur la société et le monde. Pour réussir, ces entreprises doivent s’appuyer non pas sur des ambitions déclaratives mais sur des actes, à l’image de celles qui engagent des initiatives solidaires pour lutter contre l’épidémie (lire Stratégies n° 2034). Le risque de woke washing guette les sociétés qui affirment une responsabilité sans la mettre en pratique…

Décliner la raison d'être

« Dans la raison d’être, il s’agit peu de communication mais beaucoup de comportement. L’enjeu, c’est comment l’on va tenir sa promesse », explique Charles de Beauvoir, dirigeant de l'agence Terre de Sienne. « Il est difficile de mettre en cohérence un programme RSE, un programme stratégique, un projet de société… Il s’agit pourtant de le faire afin que la raison d’être soit un vrai pilote d’activité, déclare Séverine Lecomte, directrice générale de l'agence Heidi. On ne peut pas dire les choses et ne pas les démontrer. » Cet impératif de cohérence est d’autant plus vrai  en temps de crise généralisée. L’important est de faire mais le chantier paraît immense.

« Après des phases de compréhension (avril-octobre 2019) [après la loi Pacte de mai 2019, qui a mis le sujet de la raison d’être sur le devant de la scène, ndlr] puis de passage à l’acte (octobre 2019-mars 2020), le sujet aujourd’hui est d’aller vers une raison d’être transformative, qui se décline dans les métiers de l’entreprise. Nous allions entrer dans cette phase avant le Covid-19… », retrace Marion Darrieutort, co-présidente d’Entreprise et Progrès, un think tank de dirigeants, qui a lancé fin 2019 la Fabrique de la raison d’être afin d’accompagner les entreprises sur ce sujet. « La dircom ne peut pas être dépositaire de la raison d’être. Le PDG l’est, mais il a aussi besoin des parties prenantes. Les entreprises doivent repenser la façon dont elles traduisent leur raison d’être en engagement. Il faut que la raison d’être soit le sujet d’un dialogue impliquant les collaborateurs. Nous ne sommes qu’au début de cela », renchérit Julie de la Sablière, fondatrice de l'agence Little Wing.

Certaines organisations sont en avance, comme Michelin ou L’Oréal. S’agissant de cette dernière, « son programme RSE s’appuie sur une idée, Sharing beauty with all (Partageons la beauté avec tous), qui est une forme de raison d’être, de programme opérationnel et communicationnel qui conduit les activités de chacun », note Séverine Lecomte. La crise pourrait, à cet égard, amener certaines entreprises à accélérer sur ces réflexions.

Position défensive

En effet, c’est peu de dire que la crise actuelle bouleverse, pour les acteurs économiques, leur façon d’envisager leur responsabilité. « Ce que nous sommes en train de vivre fait émerger la vision de ce qu’est une entreprise utile, estime Séverine Lecomte. En sortie de crise, les entreprises auront certainement des demandes pour justifier leur utilité. » De quoi les obliger à se pencher avec encore plus d’acuité sur le sujet. La crise aura aussi une autre vertu : « On verra les contributions réelles à la société versus les contributions ombrelles », pointe Charles de Beauvoir.

Cette mise à l’épreuve pourrait avoir plusieurs types de conséquences, même s’il apparaît impossible aujourd’hui de déterminer les réactions de chacun à l’issue du confinement. « Reprendra-t-on sur notre lancée ou remettra-t-on en cause les modèles ? Les entreprises pourraient adopter une position plus défensive tournée vers le business ou bien elles considèreront qu’elles devront incarner encore plus une forme de responsabilité », entrevoit Céline Le Bail, directrice du conseil stratégique et des partenariats au sein de l'agence Epoka. « Soit la situation va remettre en cause les comportements matérialistes et augmenter la recherche de sens et d’impact extra-économique, soit, en raison d’une forte crise économique, les entreprises auront besoin de se recentrer sur la restauration de leurs marges et profits », abonde Stanislas Haquet, directeur associé chez Angie. Les deux n’étant, en réalité, pas incompatibles. « Une bonne raison d’être n’oppose pas création de valeur et impact financier. La raison d’être doit naturellement réconcilier les deux », estime-t-il.

Sincérité

En attendant, la situation ne manquera pas de changer les façons de communiquer. Jusqu’à présent, « certaines entreprises font le choix de mettre leur raison d’être très fortement en avant dans leur communication, d’autres font en sorte qu’elle se ressente dans leurs actions, explique Stanislas Haquet. Par exemple, Decathlon définit sa raison d’être autour du sport pour tous bien avant que le sujet de la raison d’être émerge. Cela infuse très fort dans la colonne vertébrale de l’entreprise. Carrefour, lui, communique largement autour du Act For Good - même si c’est aussi un projet d’entreprise fort. »

D’autres entreprises souhaitant donner du sens revoient leur storytelling ou leur plateforme de marque. Pas sûr, toutefois, que cela suffise, si les actes ne suivent pas. « L’important, c’est d’être juste. Dans une forme de sincérité, de vérité par rapport à qui l’on est », explique Séverine Lecomte, dont l’agence, Heidi, est derrière une campagne que Vinci Airports souhaitait récemment déployer dans 45 aéroports pour montrer aux consommateurs les actions mises en œuvre afin d’avoir un impact positif sur le monde. Un panneau, par exemple, revenait sur la gestion de l’eau dans les sanitaires des aéroports.

Nouvelles compétences

Ces nouveaux enjeux, dans un contexte désormais inédit, conduisent les agences de communication à repenser leur approche pour mieux accompagner les besoins. « Il s’agit d’être plus ouvert sur l’environnement, sur ce que l’entreprise peut apporter au monde, entame Céline Le Bail. C’est une démarche de fond. Elle conduit à un repositionnement au regard d’un secteur, des candidats, des parties prenantes… A un travail de prospection et de vision. Il faut effectuer ce travail à la fois chirurgical et totalement global. » Et qui dit nouvelles approches, dit nouveaux moyens. « Il nous faut nous doter de nouvelles méthodes qui font davantage appel à des compétences de consulting et rédactionnelles », estime Marion Darrieutort, également présidente de l’agence de communication Elan Edelman. A savoir la capacité à gérer des projets, et à adopter une narration spécifique. « Il s’agit de ne pas tomber dans un écueil consistant à se poser, d’abord, la question de la campagne que l’on va proposer. D’abord, on fait, et ensuite, on raconte. Cela change notre métier », synthétise la spécialiste.

Au-delà des méthodes, certaines agences imaginent des offres dédiées. Au-delà des méthodes, certaines agences imaginent des offres dédiées. D'autres organisations se créent sur ce créneau comme Vingt Trente, cabinet de conseil en transformation durable, qui s'est lancé ce 22 avril avec notamment Julie de la Sablière, fondatrice de Little Wing. « Dans la raison d’être, ce qui est important, c’est ce que l’on va en faire. Il faut que cela soit un début, pas un atterrissage. Notre rôle d’agence est de réfléchir à accompagner ce mouvement au-delà de la communication », conclut Charles de Beauvoir. Et au-delà de la crise.

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