Disparition

Une grande dame de la pub s’en est allée. En souvenir de cette femme libre, visionnaire et obstinée, celles et ceux qui l’ont côtoyée évoquent son style, son exigence, ses campagnes, son management et surtout, sa grande humanité. Verbatims.

Marie-Catherine Dupuy nous a quittés, au mitan d'un gris mois de novembre. Cofondatrice de l’agence BDDP en 1983, première femme directrice de la création en France, première présidente des Clio Awards, deuxième femme à la tête du Club des DA, elle avait été élue « Homme de l’année » par Stratégies - et n'avait pas hésité à jouer avec son image en couverture du numéro de nos 30 ans… Marie-Catherine Dupuy laisse une trace indélébile dans le monde de la publicité.

- Marie-Catherine Dupuy, découvreuse de talents

Rémi Babinet, cofondateur de BETC : «C’est Marie-Catherine qui m’a embauché dans la pub. Je rêvais de rentrer chez BDDP. Je venais d’un monde universitaire où on refaisait le monde à la terrasse des cafés… Je suis arrivé en me disant : je vais leur apprendre la vie. Là, je me suis rendu compte que je ne savais pas écrire… Et Marie-Catherine m’a pris sous son aile.» 

Olivier Altmann, cofondateur d’Altmann+Pacreau : «Quand j’ai rencontré Marie-Catherine, chez BDDP, je faisais un free-lance pour le team de directeurs de création Rémi Babinet/Philippe Pollet-Villard. Quand Rémi m’a dit que j’allais présenter mon travail directement à Marie-Catherine, la pression est montée d’un coup. J’allais voir LA patronne de la création française.» 

Éric Tong-Cuong, cofondateur de La Chose : «J’ai démarré chez BDDP, the place to be dans les années 80. Marie-Catherine Dupuy, tout le monde à l’agence l’appelait la Patronne. Parmi les quatre fondateurs de BDDP (Boulet, Dru, Dupuy, Petit), Marie-Catherine était l’autorité de la création dans une agence qui en avait fait sa profession de foi avec “le saut créatif” de Jean-Marie Dru.»

Raphaël de Andréis, président-directeur général de Havas Village France : «Elle a été ma première patronne, chez BDDP, de 1992 à 1996 - c’est-à-dire durant la décennie flamboyante de BDDP (autour de 1986-1996), où tout réussissait à cette agence que l’on surnommait “le Harvard de la pub”. Elle avait un côté hyper accessible, sympa et en même temps une exigence : il fallait que les choses soient brillantes. “Quand tu vas en rendez-vous, assure-toi que ton brief soit inspirant”, m’avait-elle dit. J’avais 23 ans.»

Arthur Sadoun, président du directoire de Publicis : «Elle avait un flair incroyable. Je me souviendrai toujours de cette fois, chez TBWA, où elle me dit tout à coup : “Il y a un petit Belge en Afrique du Sud, Erik Vervroegen, ce qu’il fait est extraordinaire, il faut absolument qu’on le voie !” »

Gilles Deléris, cofondateur et directeur de la création chez W&Cie : «Marie-Catherine était d’abord une mentor... La seule évocation de son nom déclenchait une montée d’adrénaline et un BPM à 180 !»

- La créa dans le sang

Nicolas Bordas, vice-président international TBWA Worldwide : «Pour moi, Marie-Catherine était la création faite femme. L’avocate permanente de la valeur ajoutée et de la qualité créative mais aussi l’avocate des équipes créatives, prenant toujours leur parti.»

Éric Tong-Cuong : «“Si les créatifs ne trouvent pas, c’est ta strat qui est mauvaise”, avait-elle coutume de dire, en vous regardant dans les yeux avec un petit sourire en coin. On repartait à nos chères études en grommelant qu’elle protégeait trop les créatifs, tout de même, jusqu’à se rendre compte qu’elle avait raison.»

Raphaël de Andréis : «Pour elle, la création n’était pas un acte final indépendant du reste, mais l’équivalent d’une construction architecturale qui voudrait le prix Pritzker. Aucun geste créatif n’existait sans la solidité de l’architecture stratégique.»

Anne de Maupeou, CCO Marcel Worldwide & La Maison : «Elle avait choisi de créer une agence avec trois mecs brillantissimes, mais qui étaient tous les trois des stratèges et des commerciaux. Je crois que, même s’ils aimaient la création, ils n’en comprenaient pas toujours les méandres. Et les exigences des créatifs passaient vite à leurs yeux pour des caprices. MC défendait contre la Terre entière ces mecs vraiment puristes, passionnés et chiants, qui lui faisaient vivre des moments pas simples en face des annonceurs. Sa phrase "Tu préfères une bonne réunion ou une bonne campagne ?” résume tout : rendre possible le petit miracle qu’est une campagne réussie.»

Olivier Altmann : «Son rôle dans l’agence était finalement moins d’orienter les campagnes que de protéger les idées face à la machine rationnelle du commerce et des enjeux de la sacro-sainte relation client. Et pour elle, une grande idée pouvait surgir à tout moment, venir de n’importe qui, d’un directeur de création multi-primé comme d’un stagiaire.»

Guillaume Pannaud, président de TBWA France : «Marie-Catherine était très curieuse de tout, très avide du digital, de ce qui pouvait lui permettre d’élargir la création. Cette grande ouverture, c’était très impressionnant, et c’était la même chose sur les talents. Elle était très curieuse du neuf, du frais.»

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- Le style Dupuy

Gabriel Gaultier, fondateur de Jésus & Gabriel : «Marie-Catherine, c’était la quintessence du style français. Elle venait de la Snip, une agence mythique pétrie d’une culture très mode, dans l’esprit de l’agence Mafia de Maïmé Arnodin et Denise Fayolle. Dans son travail, il y avait une grâce, une légèreté, une maîtrise du style, du glamour, même sur de gros sujets comme Danone.» 

Nicolas Bordas. «L’empreinte qu’elle a laissée se trouve d’abord selon moi dans ce que les Anglo-Saxons nomment le “craft”. Qu’il s’agisse de réalisateurs ou de photographes réputés ou de jeunes prometteurs qu’elle avait l’art de dénicher, Marie-Catherine avait la même exigence de sélection des talents au service de l’idée.»

Natalie Rastoin, présidente-fondatrice de Polytane : «Elle avait une capacité extraordinaire à aller jusqu’au bout de l’exigence exécutionnelle. Elle a aussi travaillé avec des réalisateurs et des photographes exceptionnels. Comme le réalisateur Tony Kaye pour Tag Heuer : si la gestion de Tony Kaye était un job en soi, il a apporté à “Don’t crack under pressure” une qualité d’interprétation que personne d’autre n’aurait eue.»

Rémi Babinet : «C’était une conceptrice-rédactrice de formation, l’entrée dans le concept se faisait beaucoup par les mots. “Amora relève le plat”, est emblématique de cela : un slogan qui justement peut paraître plat, alors qu’on parle du plat, mais aussi de la platitude, avec cette image d’Olive qui est plate comme une limande…»

Guillaume Pannaud : «Sur la créa, le premier mot qui me vient à l’esprit est la constance dans le bon et le très bon, l’immense variété qu’elle a su trouver entre Mazda, les 3 Suisses, Virgin, SNCF… Son territoire d’expression était toujours au service de la marque avec une modernité, une contemporanéité très fortes.»

- Son management

Raphaël de Andréis : «Elle était comme Anne-Sophie Pic dans une cuisine. Un petit bout de femme dans une puissance, non pas solitaire, mais une puissance de rayonnement. Elle n’élevait jamais la voix.»

Olivier Altmann : «Son type de management, c’était plutôt le soft power. La fameuse main de fer dans un gant de velours. Marie-Catherine voulait que les créatifs aient du pouvoir dans le métier. Quand, avec Nicolas Bordas et Valérie Hénaff, nous avons fondé BDDP&Fils, le groupe nous a proposé d’être actionnaires minoritaires. Je voyais plutôt cela comme un fil à la patte... Elle m’a pris dans son bureau : “Tu vas prendre ces actions sinon tu vas le regretter !”. Plus tard, quand j’ai été tenté de quitter l’agence, elle est venue en personne sur mon lieu de vacances pour me convaincre de renoncer. Je n’en revenais pas de la voir débarquer sur la plage !»

Nicolas Bordas : «Elle était très protectrice des créatifs et très émancipante par l’exigence qu’elle avait, à la fois sur les idées et sur leur exécution. Le succès de BDDP aurait pu conduire à une forme d’industrialisation banalisante de la création. Marie-Catherine a insufflé la logique inverse protégeant la dimension artisanale et incertaine de la production créative. Une autre caractéristique de Marie-Catherine était sans aucun doute sa ténacité. Derrière un petit sourire parfois moqueur, et une grande empathie, elle ne “lâchait rien”.»

Rémi Babinet : «Avec elle, il n’y avait jamais de bullshit. Elle pouvait te dire : “On est d’accord que là, ce que tu me proposes, c’est vraiment de la merde !”. Ça pouvait paraître un peu rugueux au début. Mais elle n’avait pas un management hiérarchique, c’était un management de confrérie.»

Anne Vincent, vice-présidente exécutive TBWA Groupe : «Marie-Catherine n’était absolument pas dans le micro-management. Elle dégageait une autorité naturelle, même si elle était toute petite et était économe de mots.»

- Une pionnière dans la pub

Rémi Babinet : «Sur une fameuse photo de BDDP, elle est entourée de grands mecs avec de gros caractères. Il y avait beaucoup de testostérone à l’agence. Elle était capable, presque en un battement de cils, de défendre la création. BDDP n’aurait pas été BDDP sans elle. Le problème de cette femme, c’est qu’elle était tellement discrète qu’elle n’a pas eu la reconnaissance qu’elle méritait.»

Nicolas Bordas : «Marie-Catherine restera aussi l’incarnation d’une femme directrice de création en France, que l’on comptait à l’époque sur les doigts d’une seule main avec Denise Fayolle et Maïmé Arnodin (Mafia), ou Anny-Claude Lemeunier (Bordelais Lemeunier Leo Burnett).»

Anne de Maupeou : «À la fin des années 80, dans une profession où les dirigeants étaient à 95% des hommes, et pas toujours les plus évolués, elle a défriché le chemin de ronces qu’était la réussite pour les femmes, se prenant la première en pleine face tous les comportements machistes et sexistes. Avec ce sentiment condescendant qui rôdait : une femme, il en faut bien une ou deux de temps en temps dans ce monde de brutes. In fine, sa réussite éclatante a cloué le bec à tout le monde, et elle a gagné le respect unanime de toute la profession.» 

Anne Vincent : «Je suis arrivée chez BDDP en 1994, comme, en tant que femmes, on n’était pas très nombreuses, elle a toujours été très bienveillante. Pour autant, elle ne se servait jamais de son statut de femme. Elle défendait avant tout des idées, de manière asexuée, j’allais dire.»

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- Ses campagnes emblématiques

Raphaël de Andréis : «La campagne UAP est pour moi la plus marquante. “La génération de la mini-jupe sera-t-elle celle de la mini-retraite ?”. C’est intelligent, fin et puissant de bout en bout.» 

Anne de Maupeou : «Je repense à l’incroyable lancement du Virgin Mégastore : On ne fera jamais assez de place à la musique. La DA a pris un coup de vieux, mais c’était la première fois qu’on voyait une très belle femme avec un corps complètement hors normes sur des affiches immenses dans tout Paris.»

Olivier Altmann : «Une des publicités mythiques, c’est son film pour les montres Kelton (1979) réalisé par Jean-Jacques Annaud. Peut-être la première contre-publicité française qui ose dire du mal du produit pour en dire du bien. On y pose une Kelton sur un rail pour prouver son exceptionnelle robustesse face au plus grand train du monde. Le train passe et la montre explose. Slogan : Kelton, les montres qui résistent presque à tout ! Une démonstration par l’absurde qui fait sourire en parlant vrai.»

Nicolas Bordas : «Chez BDDP, en dehors de la campagne conçue pour Hertz et du film “1664, le plus grand numéro qu’une bière puisse vous faire”, primé à Cannes ou encore de la campagne Tag Heuer, je choisirais comme emblématique de Marie-Catherine la campagne “Elles assurent en Rodier”, qui donnait un coup de jeune incroyable à une marque désuète, contribuant à l’avancée féministe de l’époque.» 

Natalie Rastoin :  «Tout ce qui a été fait sur l’Institut Danone n’a pas pris une ride, comme le film “Génération”. L’enjeu, c’était de sublimer un pot de yaourt nature en le branchant sur quelque chose qui s’appelle “Entreprendre pour la santé”.»

Rémi Babinet : «Hertz, “La voiture, c’est l’aventure”, comment exprimer les choses de manière plus droite que ça ?»

- La passion, jusqu’au bout

Olivier Altmann : «Marie-Catherine aimait viscéralement ce métier, la vie, elle aimait danser et faire la fête, et surtout, elle aimait les gens authentiques. Elle restera à jamais parmi nous. Car son plus grand talent, c’est d’en avoir fait grandir plein d’autres.»

Anne Vincent : «Marie-Catherine ne trichait pas : elle détestait les faux semblants, les circonvolutions, les convenances. C’était quelqu’un qui parlait vrai, pas du tout une manipulatrice. Même si elle était née dans la pub, elle n’était pas du tout blasée. Dernièrement, elle était très heureuse de tout ce qu’elle faisait au Club des DA. Ce métier, c’était sa colonne vertébrale. Elle détestait la familiarité mais une fois qu’on était dans son monde, elle était là. Très discrète, mais très là.»

Sophie Schmierer, fondatrice de 24 mai Conseil : «Même si beaucoup de gens l’appelaient ainsi, il faut savoir que Marie-Catherine n’aimait pas, mais vraiment pas, qu’on l’appelle Marie-Cath. Mais elle s’en accommodait ! Marie-Catherine avait un rituel quand elle allait partir de l’agence. Elle sortait sa brosse et la passait dans ses cheveux d’une manière très particulière. Ensuite, elle se reparfumait généreusement au Jicky de Guerlain. Ça restera pour moi l’odeur de Marie-Catherine.»

Dates clés 

1950. Naissance de Marie-Catherine Dupuy, à Neuilly-sur-Seine. 

1970. Conceptrice-rédactrice chez Dupuy-Compton, où elle est embauchée par Philippe Michel (cofondateur de CLM). 

1984. Création de l’agence BDDP aux côtés de Jean-Claude Boulet, Jean-Marie Dru, et Jean-Pierre Petit. 

1990. Marie-Catherine est nommée « Homme de l’année » par Stratégies, à l’occasion des 30 ans du magazine. 

2003. Présidente et directrice de la création de BDDP devenue TBWA, puis vice-présidente chargée de la création de TBWA France. 

2018 à 2021. Présidente du Club des Directeurs Artistiques.

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