Georges Mohammed-Chérif, CEO et fondateur de Buzzman, est le président du jury du Grand Prix de la publicité, qui s'est réuni début juin. Il nous présente son jury et ses ambitions pour cette édition 2023, dont le palmarès sera dévoilé lors de la cérémonie de remise de prix le 21 septembre.

Double vainqueur du Grand Prix Stratégies de la publicité en 2021 et 2022 avec les campagnes « Burger King & friends », puis Camaieu « À la ville », et gagnant du Grand Prix Effie 2021, Georges Mohammed-Chérif est l’un des créatifs français les plus primés. Diplômé de Sup de Pub Paris en 1991, il a commencé sa carrière en tant que concepteur-rédacteur dans les grandes agences parisiennes (Publicis, BETC, CLM BBDO, Y&R, Australie), avant de créer Buzzman en 2006, rachetée en 2019 par le groupe Havas. Impossible d’égrener son parcours sans citer la campagne mémorable pour Tipp-Ex, de 2010, « A Hunter Shoots a Bear », où l’internaute avait la possibilité de réécrire la fin de l’histoire, comme s’il passait un coup de Tipp-Ex. Un coup d’éclat visionné plus de 50 millions de fois sur YouTube et qui a raflé une vingtaine de prix internationaux. Depuis, on peut évoquer par exemple la campagne « Love your imperfections » de Meetic, couronnée aux Effie et au Grand Prix Stratégies de la publicité en 2015. Aujourd’hui, ses principaux clients sont Burger King, Uber Eats, Back Market, Ikea, Boursorama Banque, PMU…

Comment définissez-vous votre rôle de président pour cette édition 2023 du Grand Prix Stratégies de la publicité ?

GEORGES MOHAMMED-CHÉRIF. J'ai veillé à ce que les campagnes les plus brillantes et audacieuses de l’année soient mises en avant, tout en prenant garde à ce qu’il y ait un vrai débat. Pour autant, mon rôle de président du jury a davantage été celui d’un témoin, d’un chef d’orchestre discret qui écoute les débats, recadre si besoin, départage quand il faut. À mon sens, si on te fait l’honneur de te confier la présidence du jury, cela oblige à une sorte de mise en retrait intelligente. Ce jury était aussi un moment pour partager nos ressentis sur les relations entre créatifs et annonceurs.

Au final, j'ai souhaité que le jury livre un palmarès qui me ressemble en récompensant des campagnes qui ont pris des risques, qui sont audacieuses, et qui ont un impact. Les résultats de ses délibérations devaient à la fois témoigner de l’année qui vient de passer et dévoiler des tendances émergentes.

Comment avez-vous composé votre jury ?

Il fallait que l’on ait des patrons/patronnes qui ont brillé créativement depuis cinq ans, avec une démarche entrepreneuriale. Je pense par exemple à Marco Venturelli [directeur de la création de Publicis France] venu de Publicis Italie et qui a redressé l’agence Publicis Conseil d’un point de vue créatif. J'ai cherché à m’entourer de personnes qui ont créé une vraie valeur avec leur agence, qui accordent une haute importance à la stratégie, plutôt que des auteurs de coups d’éclats créatifs ponctuels. En veillant à ce qu’il y ait dans le jury à la fois des autorités sur le marché, comme Olivier Altmann [PDG cofondateur d'Altmann+Pacreau], que des « new kids on the block » comme Souen le Van [créative freelance], Mélanie Pennec [directrice de création de DDB Paris] et Stéphane Gaubert [CCO de Havas Paris]. J’ai aussi intégré des profil(s) différent : une planneuse avec Fanny Camus-Tournier [Ogilvy Paris] et une monteuse avec Adriana Legay. Tout en faisant attention à parvenir à un équilibre hommes/femmes, car je ne voulais pas d’un jury que de mecs, mais avec des sensibilités différentes.

Enfin, il y a une époque où c’étaient les agences indépendantes qui réalisaient les meilleures campagnes et où les géants de la pub étaient à la peine, et aujourd’hui, cela s’est rééquilibré, DDB comme TBWA, ou Publicis ont relevé leur niveau.

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Comment considérez-vous le Grand Prix Stratégies de la publicité ?

C’est clair, il y a deux palmarès auxquels je suis particulièrement attaché, le Prix Effie et le Grand Prix Stratégies. Ce dernier a une dimension populaire : toutes les campagnes lauréates du Grand Prix Stratégies ont déjà été vues par la ménagère de Quimper. C’est le cas des gagnants des dernières années : Intermarché, Meetic, Burger King… On ne doit pas être dans l’entre soi d’un club de créatifs mais valoriser des postures stratégiques très fortes comme quand Skoda a décroché le Grand Prix avec sa campagne « Moche dans les années 90 ». Le Grand Prix Stratégies récompense en général une marque populaire qui met tout le monde d’accord : annonceurs, agences, créatifs et le public. Il doit s’agir de campagnes iconiques, qui ont marqué leur époque.  

L’intelligence artificielle va-t-elle changer le métier de créatif ?

Elle transforme déjà notre métier, ainsi, nous pouvons réaliser les maquettes de nos campagnes avec l’intelligence artificielle. L’IA comme outil est déjà un outil puissance 1 000 pour les créatifs. Aujourd’hui, on peut faire un rough [ébauche] ou un story-board avec ChatGPT. Dans un autre domaine, l’entrepreneur Benjamin Benichou crée des prototypes de magasins incroyables avec Midjourney.

Et sous peu, on devrait voir les premières agences utiliser des images créées par des IA dans des campagnes. En revanche, je ne crois pas que ChatGPT pourra écrire une accroche ayant de l’impact créatif, une fulgurance, comme nous pouvons le faire sur Twitter avec Burger King. Cependant, sans doute que demain ChatGPT pourra créer un catalogue de cuisine.

Est-ce qu’il serait possible de récompenser une campagne faite par une IA au GP Stratégies ?

Si elle a un impact, oui, mais j’en doute fort. Si une IA peut générer une affiche, elle est incapable d’imaginer une campagne de zéro. Et dans tous les cas, ce ne sera pas très créatif.

Le contexte économique de guerre et d’inflation a-t-il influencé cette saison créative ?

Quand il y a de l’attentisme, les marques sont encore moins enclines à prendre des risques, donc la publicité en pâtit. Si je passe en revue la production de l’année dernière, c’est relativement faible, mais il y a quand même 20 ou 30 campagnes qui se distinguent. Autrement dit, le niveau moyen a baissé, mais la crème de la crème est de bonne qualité.

Est-ce que l’omniprésence des campagnes RSE n’est pas une menace pour la création ?

Aux Eurobest, sur six Or, quatre sont allés à des grandes causes, c’est un mauvais signal envoyé, et le monde publicitaire se tire une balle dans le pied en faisant cela. En réalité, comme les agences n’ont pas d’annonceurs pour briller en créa, elles se tournent vers la RSE pour le faire. Dans le même esprit, je trouve que les Cannes Lions ne rendent pas non plus grâce à notre travail : ils récompensent trop de choses qui n’ont pas d’impact économique et cela brouille encore les pistes du jeu créatif. Il est plus facile de faire une campagne pour dire : « Il faut sauver les baleines », que pour des entreprises qui ont de vraies problématiques commerciales. Il faut que les grandes causes soient jugées dans des catégories à part, et que l’on ne les retrouve pas dans toutes les catégories. Chez Buzzman, on fait une seule campagne en pro bono par an.

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Le jury du Grand Prix Stratégies de la publicité 2023

Olivier Altmann (Altmann + Pacreau)

Olivier Apers (BETC)

Marie-Pierre Benitah (Marystone)

Fanny Camus-Tournier (Ogilvy Paris)

Faustin Claverie (TBWA Paris)

Gaëtan du Peloux (Marcel)

Gilles Fichteberg (Rosa Paris)

Stéphane Gaubert (Havas Paris)

Dimitri Guerassimov (VMLY&R)

Olivier Lefebvre (Fred & Farid Paris)

Adriana Legay 

Souen Le Van 

Céline Mornet-Landa (Sid Lee)

Mélanie Pennec (DDB Paris)

Etienne Renaux (Herezie)

Manoëlle Van der Vaeren

Marco Venturelli (Publicis France)