Dossier Dossier Cannes Lions

Alors que s'ouvre la 70e édition des Cannes Lions le 19 juin, 13 professionnels de la publicité nous confient leur coup de cœur de ces derniers mois. Inspirantes, déjantées ou émouvantes, les campagnes internationales de cette sélection sont étonnantes et éclectiques. Un article également disponible en version audio.

Écoutez cet article :

- « We Play Together », Neverland pour Ladbrokes

Pays : Royaume-Uni

Le choix de Pierre Viallaneix, directeur de la création chez Saatchi & Saatchi 

« Star Wars, Indiana Jones, Alien, Terminator et, bien sûr, Rocky, ce sont mes Madeleines à moi. Alors quand je vois débarquer le film "We Play Together", de l’agence Neverland, pour la société de paris sportifs Ladbrokes, qui utilise la scène mythique de l’entraînement de Rocky en y incrustant une foule d’athlètes, dès les trois premières notes, je suis dedans. Ce n’est probablement pas la meilleure pub que j’ai vue de ma vie, ni la mieux réalisée ou post-produite, mais elle me donne la pêche ! Je l’ai déjà regardée plus de dix fois, je l’ai montrée à plein de gens autour de moi, avec toujours le même plaisir de faire découvrir quelque chose de différent, et je me dis que c’est ça, finalement, qui fait la qualité d’une campagne : on a envie de la revoir et de la partager, tout simplement. Et donc je la partage avec vous ! »

- « Gil’s Grills », Havas New York pour le Brooklyn Film Festival

Pays : États-Unis

Le choix de Clara Noguier, directrice artistique chez DDB Paris

« Tout de suite, quand on voit l'annonceur, on se dit : "un festival de film, c'est forcément facile comme sujet", car c'est, par essence, un thème créatif. J’ai en tête les films du festival du film indépendant argentin, qui avaient marqué Cannes en 2008, ou la fameuse série “Born To Create Drama”. Cette fois, Havas New York excelle sur le thème avec la mise en scène d’une femme qui s’apprête à passer un entretien d’embauche alors qu’un grillz dentaire, serti de pierres précieuses, est coincé depuis des mois dans sa bouche. C'est un scénario qu’une intelligence artificielle n’aurait pas pu écrire. Ici, l'angle choisi est frais et met en avant notre richesse en tant qu'humain : l'observation. C'est dans l'observation qu'on trouve les scènes les plus authentiques, marrantes et justes. Et pour l'instant, c'est une chose qu'aucune IA n'a réussi à nous enlever. On peut même légitimement imaginer qu'un label "human made" [fait par un humain] puisse exister un jour. »

- « Phone It In », Colenso BBDO pour Skinny

Pays : Nouvelle-Zélande

Le choix de Ludovic Miège, directeur de création associé chez Havas Paris

« La radio est un peu le parent pauvre de la création. Rares sont les créatifs qui aiment s’y frotter. Trop contraignante, trop promo, pas assez primable. Mais cette campagne néo-zélandaise pour l’opérateur mobile Skinny vient clairement prouver le contraire. Une idée toute simple, en cohérence avec la promesse low cost de la marque : faire enregistrer les spots radio par les clients eux-mêmes, plutôt que de payer des enregistrements studio avec des comédiens. Pour ça, Skinny a diffusé une trentaine de scripts géolocalisés dans tout le pays : sur des 4x3, des abribus, des tasses à café, dans des journaux… Puis elle a invité les passants à les enregistrer via leur mobile directement sur un répondeur. Résultat : une campagne outdoor originale et 2 560 spots aussi marrants que low cost, qui ne manqueront pas de prendre dans les deux catégories (radio et outdoor). Ça donne presque envie d’avoir un brief radio. »

Le choix de Chrystel Jung, directrice de création associée chez BETC

« Il s’agit d’une campagne ultra low cost, dans laquelle l’opérateur de téléphonie mobile Skinny a invité les gens à enregistrer avec leur téléphone des spots radio qu’ils avaient imprimés un peu partout en OOH. Déjà, je trouve l’idée marrante en soi, et ça fait du bien par les temps qui courent, c’est léger, c’est très simple, ça s’explique très rapidement et, pour ça, on aime. Ensuite, les scripts sont super bien écrits et adaptés aux endroits où ils étaient placés. J’aime vraiment l’idée de laisser la place à la rédaction dans un monde de l’image. En plus, on sait tous qu’il est difficile de faire des campagnes UGC (user generated content, faites par les consommateurs), mais on voit bien que quand ça touche les gens et que ça les fait rire, ça n’est pas impossible. Et pour finir, c’est toujours un challenge de marquer le coup en radio. Alors, franchement bien joué. »

- « Draw Ketchup », Rethink Toronto pour Kraft Heinz

Pays : Canada 

Le choix d’Emmanuel François-Eugène, directeur de création associé de Hungry and Foolish

« Si je vous disais : "dessinez-moi une bouteille de ketchup", vous dessineriez quoi ? C’est cette question désarmante de simplicité qu’a posée l’agence Rethink, de Toronto, à des centaines de personnes à travers le monde. Et de la Norvège à l’Inde, en passant par l’Italie, le Canada ou la Slovaquie, toutes ont dessiné une bouteille de ketchup Heinz. Mais là où c’est encore plus fort, c’est que l’annonceur et son agence ont poussé le concept jusqu'à imprimer en série limitée des bouteilles de ketchup avec les étiquettes maladroitement dessinées par certains participants. L’effet visuel est drôle et saisissant. J’adore cette simplicité efficace, qui pose la marque comme une référence incontournable, et qui, au passage, prouve qu’elle ne se prend pas au sérieux. Comme quoi, une bonne idée, c’est toujours la meilleure recette, mais je crois que pour ça, on n’a pas besoin de nous faire un dessin. »

- « Ketchup Fraud », Rethink pour Kraft Heinz

Pays : États-Unis

Le choix de Guillaume Lartigue, coprésident et directeur de la création de Steve

« Les meilleures publicités sont celles qui n’ont pas besoin de sous-titres pour être comprises par tous. Heinz en fait la parfaite illustration dans sa dernière campagne d’affichage, imaginée par l’agence canadienne Rethink et shootée par Ale Burset. On y voit des restaurateurs remplir des bouteilles de Heinz en verre avec un autre ketchup, supposément moins qualitatif. Le message : "Even when it isn’t Heinz, it has to be Heinz" [Même quand ce n’est pas du ketchup Heinz, ce doit être du ketchup Heinz]. La marque illustre ainsi la puissance du marketing de façon simple et imparable. Cette publicité va jusqu’à démontrer que le nom est plus important que le produit. Une grande campagne à n’en pas douter ! »

- « The Greatest Story Ever Worn », Droga5 New York pour Levi’s 

Pays : États-Unis

Le choix de Catherine Canavaggio, directrice de création chez Raymonde

« Pour fêter un anniversaire, les marques reviennent souvent sur leur histoire, c’est classique. À l'inverse, pour les 150 ans de son modèle 501, Levi’s revient sur les histoires de ses clients. Le constat : quels que soient notre origine, notre âge, notre milieu, nous avons tous porté, usé, aimé un jean 501. La campagne célèbre les petites et grandes histoires vécues par des fans du 501 aux quatre coins du monde, à travers une diversité de films, qui capturent chacun un lieu, une époque, un événement. Le storytelling est réel, c’est la vraie vie : il y autant d'anecdotes que de manières de porter ce jean, des plus mémorables (mai 68) aux plus drôles (échanger un 501 contre une vache). Avec cette rétrospective, la campagne prouve à la Gen Z l’intemporalité du 501. Il y a une dimension hyper-inspirante pour cette génération, amenée à construire le monde de demain. Il s’agit d’une campagne au long cours puisque Levi’s partagera d’autres histoires tout au long de l’année. »

- « Convergence Station », Wieden+Kennedy Portland pour Meow Wolf Denver

Pays : États-Unis

Le choix de Gabrielle Attia, directrice de création chez Marcel

« On embarque dans un voyage ferroviaire et on se régale en voyant à quel point les créatifs ont pris leur pied en l’imaginant. La musique nous invite à découvrir de nouveaux mondes sur un beat écrit sur Macintosh. Un professeur japonais vient nous interrompre pour nous mettre en garde contre les voyages interdimensionnels, avant d’avaler un train. Les visuels déjantés se succèdent et tout semble avoir été pensé avec beaucoup d’amour et de LSD. Il s’agit d’un film créé par Wieden+Kennedy Portland pour faire la promotion d’une installation immersive du collectif artistique Meow Wolf. C'est leur deuxième film récompensé pour ce client atypique. Et c'est un divertissement dont je ne me lasse pas : être plongée dans un univers où le plaisir des créatifs se ressent à chaque instant. Attachez vos ceintures, car dans ce train-là, il n’y a pas de sortie de secours ! »

- « Suicidal Doesn't Always Look Suicidal », Adam & Eve DDB pour Campaign Against Living Miserably (CALM)

Pays : Royaume-Uni

Le choix d’Olivier Lefebvre, président et directeur de la création de Fred & Farid Paris

« Pour Campaign Against Living Miserably (CALM) et la chaîne de télévision britannique ITV, l’agence Adam & Eve DDB a lancé la campagne "The Last Photo" en juin 2022. Celle-ci prenait l’apparence d’une exposition photo de personnes souriantes, semblant heureuses de vivre. Pourtant, il s’agissait des derniers clichés de ces personnes avant qu’elles ne mettent fin à leur jour. La campagne a ensuite été déployée en télévision avec le message : "suicidal doesn't always look suicidal" [les personnes suicidaires n’ont pas toujours l’air suicidaires]. J’ai été particulièrement touché par cette campagne de prévention. C’est une des idées les plus simples et les plus émouvantes que j’ai pu voir ces dernières années. Pour convaincre, être entendue et mémorisée parmi des centaines de messages quotidiens, une campagne doit être simple et percutante, mais elle doit surtout provoquer une émotion, toucher son audience au plus profond. Cette campagne atteint son objectif avec sobriété et dignité, sur un sujet délicat à aborder. »

- « The Innocent Eyes », Ogilvy Thailand pour Voiz 

Pays : Thaïlande 

Le choix de Faustin Claverie, directeur de la création TBWA Paris

« Ce film publicitaire pour la marque de biscuits Voiz est relativement sobre, le jeu des acteurs est très contenu. Cela renforce la folie d’une paire d’yeux qui prennent vie sous forme d’enfants costumés, ce qui est à la fois absurde et poétique. C’est sans effet visuel sophistiqué et pourtant, chaque détail compte. On se demande d’où ça sort, comment avoir une idée pareille. Cela me fait envier la faille spatio-temporelle dans laquelle vit la publicité thaïlandaise. Les créatifs et les annonceurs de ce merveilleux pays semblent imperméables à la mondialisation de notre métier. À l'abri du trop-plein de bons sentiments et des copies larmoyantes, ils tracent leur route depuis des années sans complexe vis-à-vis du monde anglo-saxon. J’admire leur style unique, loin des modes et des tendances actuelles. Selon nos critères occidentaux, les films thaïlandais sont souvent trop longs, le jeu des acteurs y est outrancier, les voix off y surgissent de nulle part et les payoffs, jugés ringards chez nous, se succèdent parfois dans le même film. C’est ce qui est le plus réjouissant quand on découvre ces publicités en festival. Pour tout ça, merci. »

- « Toxic Influence », Ogilvy UK pour Dove

Pays : Royaume-Uni

Le choix de Chloé Chaniot, creative director de 87seconds

« Dove a frappé fort avec sa campagne “Toxic Influence”, dévoilant de façon brillante les effets néfastes des réseaux sociaux sur l’estime de soi. Imaginez des mères et leurs filles confrontées à des conseils beauté toxiques dans une vidéo truquée par l’IA, dans laquelle c’est la mère qui donnerait ces conseils à sa fille. Cette expérience suscite des émotions vives et pousse à réfléchir. Le spot fait partie d’une campagne globale #DetoxYourFeed, qui propose aussi des solutions éducatives avec un kit de confiance pour contrer ces influences négatives. Dove met les réseaux sous pression et montre une fois de plus qu’elle est une marque engagée, créative et percutante, qui ne se contente pas de vendre des cosmétiques, mais qui se bat contre les diktats de la beauté virtuelle. Bravo à Dove pour cette campagne audacieuse et inspirante, une claque bien méritée pour ces idéaux toxiques ! »

- « Show us something we haven’t seen », BCW pour New York Festivals Advertising

Pays : États-Unis

Le choix d’Antoine Colin, directeur de la création de Libre MullenLowe

« Show us something we haven’t seen (montrez-nous quelque chose que nous n'avons jamais vu). Ça peut paraître basique mais cette phrase résume l’essence du métier de créatif dans la publicité : trouver ce que personne n’a jamais vu. Pas simple, et pourtant, c’est l’injonction faite par le New York Festivals Advertising aux agences pour les inciter à inscrire leurs travaux. Le parallèle publicitaire est parfait : il est très difficile de retenir l’attention d’un New Yorkais dans les rues de sa propre ville, où tout est déjà créativité, folie et exubérance. C’est exactement la même chose pour le NYF Advertising ! New York a déjà tout vu, alors les créatifs ont intérêt à mettre le paquet. La campagne déployée sur les réseaux sociaux montre des photos prises sur le vif qui illustrent le fait que New York est encore capable d’étonner : une femme entièrement nue qui monte dans un taxi, un policier armé à côté d’un poulet rose. Un film de deux minutes complète le dispositif pour donner envie, plus que jamais, d’aller ou de retourner à New York, et d'y découvrir something we haven’t seen. »

- « The Singularity », Aoife McArdle pour Squarespace

Pays : États-Unis

Le choix d’Alexis Benbehe, executive creative director à Publicis Conseil

« Ma campagne préférée cette année est celle de Squarespace, "The Singularity", avec, en égérie, Mr Adam "so cool" Driver. Voilà plusieurs années que le studio interne de Squarespace, dirigé par David Lee, nous étonne à chaque Super Bowl. Mais n’ayons pas peur de le dire cette année : ils sont passés à la vitesse supérieure avec ce film complètement hallucinant, avec un Adam Driver se démultipliant à l’infini, et cette ligne si simple et absurde : "Squarespace is a website that makes websites". Mais quel génie ! Cette accroche, plus proche de la réclame que de la publicité, devient une ritournelle portée par une esthétique de science-fiction. La musique est obsédante. Adam se découvre comme on ne l’a jamais vu, drôle, plein d’auto-dérision, faisant de cette campagne une publicité impactante. Mais ils ne se sont pas arrêtés là : le making-of est certainement le plus drôle que nous n’ayons jamais vu en publicité, et le site de la campagne est dans la même veine. »