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Intelligence artificielle, créativité, rentabilité des agences, RSE… Muriel Blayac, nouvelle présidente de Lévénément – association qui regroupe les agences de communication événementielle – et par ailleurs directrice générale de l’agence Lever de Rideau, revient sur les grands sujets qui animent le secteur.

Comment se portent les agences ?

Muriel Blayac. L’année 2023, tout comme la précédente, est assez intense, en partie du fait du phénomène de rattrapage post-covid. Après dix-huit mois de travail et d’événements essentiellement en digital, les équipes ont dû reprendre leurs habitudes pour répondre à une demande en full présentiel. Il nous a également fallu gérer une pénurie de main-d’œuvre, tant chez nos collaborateurs que chez les freelances, sur de nombreux profils – logisticien, chef de projet, planneur stratégique, directeur de production, etc. –, principalement sur la tranche d’âge 30-45 ans. Une enquête réalisée auprès de nos membres a révélé qu’il manquait à peu près 15 % à 20 % des effectifs en agence. L’humain est un de nos gros sujets à Lévénement. Comment garder ses talents ? Comment donner du sens à leur travail au quotidien ? Le métier a changé, le rapport au travail a évolué.

Redoutez-vous le développement des IA dans votre métier ?

L’IA va changer tous les modèles de façon hallucinante ! Si je lui demande ce que je pourrais organiser pour les 100 ans d’une entreprise pour 400 invités, ChatGPT va me sortir quatre concepts. Idem avec Midjourney pour la partie direction artistique ! Ça peut aller très loin… avec le risque que nos propositions n’aient plus aucune originalité. Ceux qui se démarqueront seront ceux qui sauront utiliser intelligemment ces IA dans leur quotidien, en ­comptabilité, en création, dans les plateformes logistiques, pour faire en une minute ce que nous faisions en une journée et se libérer du temps sur d’autres tâches plus qualitatives. Aujourd’hui, un grand nombre d’agences passent déjà leurs mails au prisme de ChatGPT, ce qui permet d’aller plus loin sur la manière de répondre. Nous allons proposer une formation aux membres de Lévénement pour que tout le monde soit au même niveau sur ce point.

Ne craignez-vous pas que les annonceurs en profitent pour vous demander de réduire vos prix, puisque c’est l’IA qui travaille ?

Non, car c’est la valeur des hommes et des femmes qui l’utilisent qui fait la différence. Il faut savoir poser les bonnes questions à l’IA pour en tirer le meilleur. Et même si elle peut proposer des concepts originaux, elle ne sait pas dire lequel est le plus pertinent. Elle ne connaît pas la valeur de la marque, elle ne sait pas interpréter certaines données. Elle ne sait pas non plus créer une scénographie… Certaines tâches sont infaisables par une intelligence artificielle. Notre métier doit se positionner sur ce qui crée de la valeur.

Comme la créativité ?

C’est une vraie demande de nos clients. Produire de façon professionnelle n’est qu’un prérequis, la valeur, c’est la création. Mais il faut savoir l’apprécier et accepter de la payer. Un directeur conseil, un ­scénographe, un directeur artistique, un chef de projet, une directrice logistique, un directeur de production apportent une vraie valeur avant et pendant l’événement. Ils sont autant de temps jour/homme qu’il faut accepter de payer… en tenant compte de l’inflation.

Chez nous, les salaires ont augmenté, mais nos clients nous interdisent d’augmenter nos grilles de profil depuis 2019 ! Parallèlement, nos partenaires prestataires ont également augmenté leurs tarifs. Une chambre d’hôtel facturée 245 euros la nuit avant le covid coûte aujourd’hui 325 euros ! Tous les prix ont augmenté, mais nos clients continuent à dire que nous sommes trop chers. On ne peut plus continuer comme ça. Nous devons nous mettre autour de la table pour définir ensemble le juste prix.

Vos difficultés à vous faire rémunérer au juste prix ne datent pas d’hier. Pourquoi en est-on toujours là ?

Parce que ceux qui sont amis dans l’association sont chefs d’entreprise et concurrents le reste du temps. Parce que nous n’arrivons pas à vendre le temps passé. Parce que les conditions pour se faire entendre ne s’y prêtaient pas… Mais le contexte actuel tendu nous donne un avantage. Nous allons pouvoir nous mettre autour de la table avec l’Union des marques et avec les acheteurs de nos annonceurs pour leur expliquer la situation, pour leur dire que si les dossiers qui nous sont proposés ne sont pas rentables pour nos structures, nous ne pourrons plus les accepter. La forte demande associée aux pénuries nous permet aujourd’hui de choisir nos appels d’offres. Nous disposons donc d’atouts forts pour entamer un vrai dialogue et faire passer quelques messages : ne plus accepter les appels d’offres à cinq agences avec réponse en dix jours sans indemnités ; ne plus accepter de casser les prix de nos talents, etc. Toutes ces exigences économiquement intenables qui font que nos agences ne sont plus rentables.

Vous restez en revanche très en pointe sur les questions de RSE et d’écoconception…

Nous sommes même le pays européen le plus avancé, avec 40 agences certifiées ISO 20121 sur les 98 que compte Lévénement. Et nous organisons des formations pour d’autres. Nous proposons désormais systématiquement à nos clients une compensation carbone ainsi qu’ une liste de prestataires engagés et/ou certifiés. Nous avons de quoi faire des événements certifiés ISO 20121 ou a minima à impact réduit. Le seul problème vient des annonceurs, qui nous le demandent mais ne l’appliquent pas ! Les bonnes intentions se perdent au fil du projet.

Par ailleurs, nous réfléchissons à la création d’une filière écoresponsable événementielle, où le mobilier serait réutilisable par d’autres ou donné à Emmaüs, fabriqué par des personnes en situation de handicap avec du bois français. Des premiers pas ont été faits, on utilise de moins en moins de moquette. Mais, outre le frein financier, il reste un frein psychologique : la peur que l’écoresponsable ne soit pas désirable. À nous de prouver l’inverse. Nous sommes capables de créer un effet waouh avec un impact minimum, voire nul. Mais il faut que nos clients aient eux-mêmes la conviction en interne pour défendre nos propositions. Pour l’heure, c’est encore un peu compliqué. Charge à nous de montrer que les budgets peuvent être dépensés autrement pour faire des événements.

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