Loi contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux, certificat d’influence responsable, référentiel de la mesure de l’influence… L’année 2023 a marqué un tournant dans la régulation du secteur de l’influence marketing. Un article également disponible en version audio.

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Oui, le rappeur Booba a été un lanceur d’alerte important ; oui, les influenceurs issus de la téléréalité sont à l’origine de nombreuses dérives, mais la réalité est la suivante : le secteur de l’influence questionne et intéresse les différentes parties prenantes car il génère beaucoup d’argent. « C’est comme si le sujet de l’influence avait une courbe, et qu’aujourd’hui il était arrivé à son point culminant », confirme Tiphaine Neveu, ancienne head of influence EMEA du Club Med, aujourd’hui fondatrice de The Bold Type Crew, agence de conseil en relations publiques et communication.

Quand on parle d’influence responsable, on pense transparence et respect de la législation en vigueur mais aussi éthique et valeurs des différents acteurs du secteur. Sur les réseaux sociaux, certains comptes se sont d’ailleurs spécialisés dans l’observation et la dénonciation de comportements douteux voire illégaux d’influenceurs, comme « Vos stars en réalité », « Influence Correcte Exigée » ou encore Lana Careja sur TikTok. Ces initiatives, couplées avec celles d’organismes compétents et venant du gouvernement, incitent bien entendu les créateurs de contenus à faire plus attention, sous peine de discréditer leur profession et de s’exposer à des sanctions pénales.

Selon l’Observatoire de l’influence responsable mené par l’ARPP, une nette amélioration de la transparence des créateurs a été enregistrée. En 2022, 89 % des contenus issus d’une collaboration commerciale présentaient un début d’identification, contre 83 % en 2021, et 73 % en 2020. Une tendance qui semble se confirmer pour 2023, et que Mohamed Mansouri, directeur délégué de l’ARPP, explique par une progression du certificat d’influence responsable : « On a observé une réelle volonté des créateurs de contenus de se différencier des influenceurs de téléréalité, et c’est toute une profession qui s’est mobilisée autour de l’influence responsable. En septembre, on a même dépassé la barre des 1 000 créateurs de contenus ayant obtenu le certificat. » C’est trois fois plus qu’en début d’année.

Depuis sa création en 2021 par l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, ce certificat a bien évolué. Non seulement son prix a augmenté (en fonction du nombre d’abonnés du créateur) mais des options ont également été ajoutées comme « Jeux d’argent » en septembre 2022 ou, plus récemment, « Produits financiers ». Enfin, un certificat d’influence responsable à l’échelle européenne est même prévu pour le 1er semestre 2024.

Pédagogie, valeurs et enjeux

Pour autant, obtenir un certificat, c’est bien, mais conserver ses valeurs comme fil rouge, c’est encore mieux. Contre les nouvelles écoles pour devenir influenceur, Tiphaine Neveu défend plutôt un modèle éthique, presque instinctif. « L’intention derrière ces nouvelles écoles n’est pas la bonne, selon moi. Il y a un vrai sujet de RSE. Est-ce qu’on peut arrêter d’envoyer par exemple les 70 teintes d’un fond de teint à une seule et même personne ? Les marques doivent prendre le temps de trouver les bons profils de créateurs. En ce qui me concerne, je me concentre beaucoup sur les KOL [key opinion leader] : le commun des mortels, mais avec un fort pouvoir de prescription », explique-t-elle.

Séga Kanouté est considéré comme un de ces key opinion leaders. Suivi par plus de 35 000 abonnés sur Instagram, il possède plusieurs casquettes : créateur de contenus, journaliste, mannequin ou encore directeur artistique. Si sa présence sur les réseaux sociaux est une source de revenus potentielle, elle est loin de dicter sa vie, et encore moins son contenu. Pour lui, l’influence responsable rime avec liberté, authenticité et valeurs profondes : « Quand j’ai commencé à poster sur Instagram, il n’y avait pas autant de publicité qu’aujourd’hui, donc je n’étais pas du tout guidé par l’argent. Mon contenu sur Instagram est éditorialisé, je ne parle que d’un seul sujet mais avec plusieurs angles d’attaque. Ça m’a aussi forcé à m’interroger sur mes pratiques, et je me suis posé une question toute bête : "Si j’accepte une paire de chaussures ou un dîner d’une marque, qu’est-ce qui garantit mon indépendance intellectuelle et d’action ?". Le point de départ, c’est de la déontologie, alors maintenant, pour mettre des barrières, je refuse quasiment tout. »

Consommer moins mais mieux, communiquer de manière plus réfléchie et éduquer une communauté de consommateurs, voilà tout l’enjeu de l’influence responsable. « Il faut arrêter de prendre les gens pour des imbéciles, la majorité sait lorsqu’il s’agit d’une publicité sur les réseaux sociaux. Pour moi, tout le monde doit se responsabiliser, les consommateurs doivent s’éduquer sur les usages et les marques, être plus scrupuleuses », poursuit Séga Kanouté. Et pour responsabiliser encore un peu plus les créateurs de contenus, le ministère de l’Économie et la DGCCRF ont pris très à cœur ce dossier déjà brûlant.

Ralentissement

En juin 2023, la loi visant à encadrer l’influence commerciale et à lutter contre les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux a été officiellement promulguée. Depuis ce jour, c’est tout un secteur qui attend certaines clarifications, notamment après que l’Umicc (qui regroupe plus de 80 agences et une centaine de créateurs de contenus) a organisé en septembre une rencontre avec Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances. « Depuis le mois de juin, on sent un ralentissement procédural, parce que les décrets d’application ne sont toujours pas sortis. La loi s’est faite dans la précipitation et c’est ce que l’on a souligné à plusieurs reprises. L’urgence, c’était de répondre au scandale des influvoleurs, mais leur vie n’a aucun rapport avec la nôtre. Maintenant, la question est : est-ce que la loi est vraiment efficace contre les influvoleurs ? Nous attendons de voir », questionne Carine Fernandez, fondatrice de l’agence Point d’Orgue et présidente de l’Umicc.

Du côté de la DGCCRF, les choses sont claires : le secteur de l’influence est abordé de la même manière que les autres secteurs de l’économie, dans le but de protéger les consommateurs, tout en garantissant l’exercice d’une concurrence saine et loyale entre les différents acteurs. « Très concrètement, la DGCCRF mène des contrôles pour s’assurer que les consommateurs sont bien protégés, tout en incitant à la responsabilisation des acteurs de la filière du marketing d’influence, pour garantir le respect des lois et le développement du secteur. Nous disposons d'agents dédiés aux enquêtes sur le marketing d'influence répartis sur tout le territoire national, et on s’appuie aussi sur les signalements des consommateurs », précise Rémy Slove, directeur de cabinet et porte-parole de la DGCCRF.

Du côté des sanctions, là aussi, cela dépend de la gravité de l’infraction. Avertissement, injonction, procès-verbal, amende et même name and shame, comme on a pu le voir ces derniers mois. « C’est très encadré par la loi et on échange toujours avec l’influenceur en question. On se met d’accord sur le contenu de la communication sur ses réseaux. Et s’il ne communique pas, il s’expose à une amende. Ce qui est important pour nous, c’est de s’assurer que tous les efforts faits pour clarifier les règles se matérialisent dans une protection accrue du consommateur », précise Rémy Slove. L’angle pédagogique reste fondamental, et pour cela, le ministère de l’Économie et des Finances a publié sur son site internet un « Guide de bonnes conduites ». À la question de l’accessibilité, Rémy Slove est optimiste : « La loi s’applique à tous les influenceurs. C’est vrai que c’est un enjeu pour nous que l’accompagnement que l’on souhaite mettre en place ne passe pas que par les agences, mais puisse aussi toucher les plus petits influenceurs, avec une audience modeste. Il faut que tout ce que l’on produise soit accessible à tous. »

Le secteur de l’influence est aujourd’hui dans l’expectative. « Les process des annonceurs, des marques et des agences ont fortement été ralentis, on est tous dans le flou, on devient un peu frileux : on a besoin d’être sûr, confie Carine Fernandez. On attend que les choses soient les plus simples possibles, qu’on responsabilise les plateformes, qu’on trouve le moyen de travailler directement avec elles, de définir les mentions acceptables mais aussi de trouver un équilibre sur tout ce qui touche aux réseaux sociaux et au digital au global. »

Pour Pierre-Hubert Meilhac, vice-président et head of PR & influence chez Ogilvy, également administrateur du Syndicat du conseil en relations publics (SCRP), la loi de juin a apporté énormément de positif au secteur de l’influence, même si elle doit encore être complétée par des décrets d’application : « Ils viendront préciser certains points, notamment le seuil à partir duquel un contrat sera obligatoire. La loi a eu deux grandes vertus à nos yeux : poser ce qui n’est pas acceptable, voire illégal, et obliger l’ensemble des acteurs à une sorte d’examen de conscience sur la manière de faire de l’influence. C’est notamment ce que les agences conseil ont fait sous l’impulsion du SCRP : un e-label influence responsable pour les agences avec l’Afnor ; une formation destinée aux collaborateurs en partenariat avec le SCRP, l’AACC et l’ARPP, ou encore la mise au point d’un référentiel de la mesure de l’influence, commun à l’ensemble des acteurs, plateformes incluses. » Pour lui, il n’y a aucun doute : « L’influence responsable n’est plus une option, c’est une obligation qui s’impose à tous les acteurs du marché. »