Le réseau publicitaire McCann Worldgroup (IPG) noue un partenariat avec le studio [Ai]magination, pour doper sa création à l’IA générative. Interview croisée entre Daryl Lee, global CEO de McCann Worldgroup, et Frederic Raillard, fondateur et head of Gen AI d’[Ai]magination.

Quelles sont les raisons de ce partenariat et comment s’articule-t-il ?

Fréderic Raillard. Ce partenariat repose sur des affinités humaines de même qu’un optimisme et une approche partagées sur le sujet de l’IA générative. Nous sommes unanimes sur le fait que l’intelligence artificielle doit toujours servir d’assistance à l’intelligence humaine. L’IA générative s’apparente à une nouvelle et fantastique voiture de course offrant des résultats meilleurs, plus rapides et moins chers, mais nous croyons fermement que le pilote doit toujours être le talent créatif. Il faut exploiter l’IA générative pour améliorer les qualités humaines telles que la créativité, l’émotion, l’intuition, le sens de la beauté et la conscience.

Daryl Lee. Il y a eu un lien de confiance instantané en raison de la façon dont nous percevons l’IA générative, son rôle dans notre entreprise et au sein de l’industrie. [Ai]magination partage également notre attachement à la créativité ainsi que nos principes et valeurs autour de l'utilisation de cette nouvelle technologie. Leur studio produit certains des travaux les plus avant-gardistes de notre secteur, en faisant un partenaire de choix. Le partenariat permet à [Ai]magination d’accéder aux meilleures équipes de création publicitaire et aux marques mondiales les plus prestigieuses. McCann Worldgroup et ses clients auront en contrepartie un accès prioritaire aux capacités de création et de production d’[Ai]magination. C’est un atout supplémentaire pour nos clients actuels mais également pour séduire de nouvelles marques.

Pour [Ai]magination, ce partenariat est-il le meilleur moyen d’accéder à marques de premier plan tout en évitant les compétitions ? Et pourquoi McCann Woldgroup plutôt qu’un autre acteur ?

F.R. Chez [Ai]magination, le but est de maintenir notre statut de studio leader de contenu généré par IA pour les marques, les agences et les sociétés de production. Pour y parvenir, des efforts considérables sont nécessaires afin de bâtir une solide culture de l’IA générative, embaucher et former, favoriser un environnement de production dynamique et suivre le rythme des évolutions technologiques, permanentes en la matière. C'est pourquoi nous évitons de participer aux pitchs, en raison de leur caractère chronophage qui implique une diminution de la capacité de travail créatif. Pourquoi McCann Worldgroup ? Daryl, plus que quiconque, a immédiatement compris où cela menait. En tant que PDG mondial d'un grand réseau, il a pris le temps de nous rencontrer personnellement. Daryl et l'équipe de direction de McCann nous ont véritablement accueillis dans leur famille créative.

Cela signifie-t-il que travailler avec d’autres réseaux créatifs de premier plan est exclu ?

F.R. Nous ne voulons pas nous disperser avec trop de clients. De la même manière, nous n’adhérons pas à la tendance majeure de notre industrie, les aventures d’un soir « basées sur des projets », lui préférant le mariage. Pour œuvrer efficacement, nous devons rester concentrés sur quelques partenaires sérieux et durables, approfondir leur culture et comprendre leurs besoins. L’IA générative est un formidable outil pour produire du contenu à usage externe mais aussi interne. L’aspect interne est primordial, car nous voulons presque être considérés comme des salariés des entreprises avec lesquelles nous travaillons. En ce qui concerne la collaboration avec d'autres réseaux publicitaires, McCann représente un excellent partenaire donc ce n’est pas à l’ordre du jour. Nous préférons établir des relations profondes. Notre industrie s'est égarée avec la nouvelle norme axée sur les projets. Cela se reflète dans la qualité globale des productions.

L’industrie publicitaire est-elle à un réel tournant ou existe-il une bulle autour de l’IA ?

F.R. Plus qu’une révolution, l’IA entraîne une transformation profonde de notre civilisation. Il suffit de regarder les chiffres : Sam Altman, PDG d'OpenAI, chercherait à lever entre 5 000 et 7 000 milliards de dollars pour un projet très ambitieux visant à améliorer la fabrication mondiale de semi-conducteurs pour les applications d'IA. Ce sont des montants jamais vus, même au plus fort de la bulle Internet. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes et nous n’en sommes qu’au début.

D.L. Notre partenariat avec [Ai]magination est la preuve de cette certitude, à savoir que l’IA est bien plus qu’une mode. Cela ouvre de nouvelles possibilités qui continueront d'avoir un impact réel sur notre industrie et sur le monde des affaires dans son ensemble.

Les avancées permises par l’IA sont régulièrement perçues comme une menace pour la créativité humaine. Comment faire pour que l'intelligence artificielle reste au service de l'intelligence humaine ?

F.R. C'est la question philosophique et l'un des plus grands défis de notre génération. Lorsque vous ne pouvez pas combattre quelque chose, il faut composer avec. Il serait inutile de lutter face à l'IA, c'est trop énorme pour échouer. La question est de savoir comment l’adopter pleinement sans perdre le contrôle. La meilleure attitude est de mettre fin au déni, l’accepter, collaborer et travailler consciemment pour préserver le facteur humain. A notre échelle, le partenariat va dans ce sens. C’est peu mais on a l’impression d’être du bon côté de la force.

D.L. L’IA générative est aussi puissante et éthique que les humains qui la guident. C’est un assistant - et non un remplaçant - de l’humanité. Cela nous rend plus efficaces. Cela accélère le processus de développement créatif. Cela ouvre de nouvelles perspectives en termes de production et de storytelling, mais les humains restent les auteurs originaux. Si l’IA peut aider à mieux raconter certaines choses, la vérité et ce qui est dit restent entre leurs mains.  

Est-il envisageable à court terme de voir des opérations générées par IA remporter les prix les plus convoités à l’occasion des Cannes Lions et d’autres festivals créatifs ?

F.R. Absolument. À l’avenir, personne ne se souciera du rôle de l’IA, comme on se soucie peu aujourd’hui de savoir si une campagne est tournée avec une caméra Red ou Phantom. En fin de compte, ce qui importe est la qualité du concept, de la narration, du savoir-faire et de la manière dont la campagne entre en résonance avec la culture. Seules les grandes idées - celles qui viennent de notre cœur et de notre esprit - trouveront leur chemin dans le cœur et l’esprit des autres. Nous commençons déjà à assister à un tsunami de contenu généré par IA, sans qu’il y ait suffisamment de personnes ou de temps pour tout regarder. Qu'est-ce qui transparaît, capte l'attention, crée de nouveaux publics et renforce les liens existants entre marques et consommateurs ? La Big Idea. Autrement dit, la norme selon laquelle notre travail devrait, sera et a toujours été jugé.

D.L. Le travail généré par l’IA a remporté et remportera des prix. Non parce qu’il est généré par IA, mais simplement parce que c’est du bon travail. C’est la vérité séculaire de notre industrie. Il ne s'agira pas de savoir si l'IA a été utilisée, mais si elle a été utilisée pour contribuer à construire une plateforme de marque durable, qui a amplifié une « vérité » sur la marque et trouvé un moyen de la dire d'une manière nouvelle et innovante s’inscrivant dans la culture populaire. À bien des égards, le monde de la publicité innove et évolue. Mais les fondamentaux qui sous-tendent notre travail restent constants.

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