Dans le deuxième épisode de cette nouvelle chronique consacrée à l'intelligence artificielle, Ronan Le Goff, co-directeur de La Netscouade, s'intéresse aux métiers que crée l'IA.

En politique, quand il s’agit de cornaquer un président incompétent, on a coutume de dire qu’il est impératif d’avoir un «adulte dans la salle». Avec les IA, autrement plus intelligentes mais toutes aussi brouillonnes, une expression proche s’est imposée : il faut un «humain dans la boucle». Et il faudra sans doute énormément d'humains dans la boucle pour encadrer, diriger et contrôler les intelligences artificielles génératives du type ChatGPT ou Midjourney. Un réservoir d’emploi à ne pas négliger.

L’IA est souvent présentée comme une puissante destructrice d’emploi mais il ne faut pas sous-estimer sa capacité à créer de nouveaux besoins sur le marché du travail. Dans un rapport influent publié en 2020, le Forum économique mondial avait tenté de délimiter la nouvelle répartition du travail entre hommes et machines, et, de manière surprenante, la révolution de l’IA affichait un bilan positif. 85 millions d’emplois détruits par les intelligences artificielles, mais 97 millions de nouveaux jobs créés à la faveur de cette nouvelle donne technologique.

Un outil miracle qui booste la productivité tout en créant des emplois, ne serait-ce pas trop beau pour être vrai ? En tout cas, ce ne serait pas inédit, rappelle Georges Nahon, ancien DG d'Orange à San Francisco. Il suffit de se souvenir des progrès de la bureautique : «l’utilisation d’outils logiciels comme Excel a rendu le travail des comptables plus efficace, leur permettant de se concentrer sur des tâches plus complexes qui nécessitent leur expertise spécifique. Excel n’a pas réduit le besoin de comptables, mais a amélioré leur efficience. Et le nombre de comptables a augmenté aux Etats-Unis.»

Un chaos créateur d’emplois

À l’image des comptables convertis sur le tard à Excel, de nombreux métiers de la communication numérique, copywriters, graphistes et community managers, vont devoir se réinventer au contact de l’IA et se recentrer sur des missions à plus forte valeur ajoutée. C’était l’objet de notre première chronique. Sur le marché de l’emploi, le chaos généré par l’IA est aussi créateur. Plusieurs nouveaux métiers émergent de cette période de bouillonnement technologique et pourraient bientôt peupler les open-space des agences : ingénieur de prompts, éthicien de l’IA, stratège en IA, expert chatbot IA…

Les «prompt engineers», aussi appelés «dresseurs d’IA», forment le nouveau job le plus en vue. Les prompts, ce sont ces textes envoyés aux IA génératives afin qu’elles produisent les textes ou les images les plus précis et travaillés possibles. Des lettres de mission bien plus techniques qu’elles n’en ont l’air et qui nécessitent un réel savoir-faire. Les offres d’emploi se multiplient dans la Silicon Valley, atteignant parfois des sommes astronomiques : 335 000 dollars par an pour chuchoter à l’oreille des IA dans une start-up de San Francisco. Mais ce job qui fait déjà tourner les têtes est-il réellement un métier d’avenir ? Les technologies pourraient s’améliorer rendant leur rôle obsolète, et surtout cette maîtrise de la communication avec les IA pourrait devenir un prérequis dans de nombreux métiers créatifs.

Les enjeux éthiques de l'IA, des questions épineuses à résoudre

Autre enjeu majeur des années ChatGPT : l’éthique de l’IA. Les spécialistes de ce domaine sont de plus en plus recherchés pour résoudre au sein des entreprises les dizaines de questions qui se posent face à la prise de pouvoir des intelligences artificielles : comment ne pas reproduire les stéréotypes des textes sur lesquels les IA se sont entraînées ? Comment faire cohabiter harmonieusement les machines et les hommes, sans que les premiers n’envoient les seconds à Pôle Emploi ? Quid des droits d’auteur alors que les IA gloutonnes se nourrissent de millions de textes et d’images pour se perfectionner ? Quel respect de la vie privée alors que les IA collectent également des données personnelles ? L’université d’Artois, dans le Nord, vient de lancer un diplôme universitaire de «Responsable de l'éthique de l'intelligence artificielle».

Dans ce nouveau paysage mouvant, où de nouveaux intitulés de postes surgissent chaque semaine, la clé sera la formation, selon Isabelle Rouhan, fondatrice de l'Observatoire des métiers du futur : «Je ne crois pas que l'IA générative remplacera le travail ou les êtres humains, mais ceux qui ne savent pas l'utiliser correctement seront moins employables que ceux qui maîtrisent cette technologie. C'est là que réside le véritable enjeu : pouvoir se former et utiliser l'IA générative avec compétence et confiance.» Que ce soit pour exercer de nouveaux métiers ou pour se mettre à jour dans des professions déjà existantes, dans les domaines créatifs, il sera difficile de passer à côté d’une solide formation en intelligence artificielle.