LA CHRONIQUE DE STÉPHANE DISTINGUIN

Entre la Chine, qui veut prendre le contrôle de la technologie des semi-conducteurs face à Taiwan, et les États-Unis qui ont décidé d’investir massivement dans leur production, l'Union européenne réussira-t-elle à suivre le rythme ? 

Souvent, je me fais la réflexion que les places fortes de la technologie sont pourtant les plus « géo-fragiles » : pour une raison géologique dans le cas de la faille de San Andreas qui fait attendre le Big One à toute la Californie et sa Silicon Valley en particulier, ou géopolitique en Israël, LA Start-up Nation, dont on ne parle plus que comme d’une poudrière depuis octobre. Parfois même pour les deux raisons pour un lieu sans doute moins connu du grand public mais non moins important pour le cours du 21e siècle : Taïwan. 

L’île a subi un séisme de magnitude 7,4, le plus violent des 25 dernières années, et au-delà des dégâts spectaculaires mais plutôt mesurés grâce aux normes de constructions, c’est l’économie mondiale, et au premier chef, celle du numérique qui s’apprête à subir les répliques de cette catastrophe. 

L’excellente revue en ligne Le Grand Continent rappelle que sur l’île sont produites 11% de toutes les puces de mémoire et 37% des puces de logique et estime que si leur production à Taïwan devait s’arrêter, l’effet sur l’économie mondiale serait supérieur à celui du covid et des confinements successifs. 

Taïwan dépendance

Ce tremblement de terre est un autre avertissement, que les 13 morts et les plus de 1 000 blessés empêchent de qualifier d’à bon compte, de la fragilité d’une économie dont on pensait pourtant que sa mondialisation et sa numérisation forgeaient la résilience. Taïwan a réussi sur 36 000 km2 (soit six départements français) à se protéger en nous rendant, discrètement mais profondément, dépendants d’elle. Parabole de David et Goliath, sa politique industrielle est au cœur de la doctrine stratégique des deux superpuissances du siècle, les États-Unis et la Chine : innovation technologique, interdépendance commerciale et souveraineté stratégique. L’existence de Taïwan n’est pas seulement une insulte à la République populaire de Chine, la dépendance à l’importation de ses puces est aussi son calvaire : elle s’élevait « en 2017 à 260 milliards de dollars, soit bien plus que ses importations de pétrole auprès de l’Arabie Saoudite ou que de voitures auprès de l’Allemagne », selon ce même média. 

Taïwan est donc le symbole de la politique de conquête technologique de Xi Jinping. Nous voyons déjà ses effets sur nos toits avec les panneaux photovoltaïques et sur nos routes avec les véhicules électriques… l’industrie des microprocesseurs lui résiste encore. Pour combien de temps ? Que ce soit par l’investissement sur son continent, Mainland China, ou par la forme la plus violente de croissance externe que serait l’invasion de Taïwan, la Chine veut contrôler cette technologie. Mais, comme l’a rappelé le séisme récent, elle ne peut pas étouffer l’île dont les puces sont comme les œufs d’or de la poule dans la fable. 

De leur côté, les États-Unis investissent des montants au-delà de tous leurs programmes précédents (328 milliards de dollars en cinq ans selon AIPRM) y compris du budget du programme Manhattan (2,2 milliards de dollars de l’époque) dont l’ampleur a fait l’objet du film aux sept Oscars de Christopher Nolan, Oppenheimer. Rien que Microsoft, seule avec OpenAI, a annoncé 100 milliards pour son super-ordinateur Stargate dédié à l’IA. 

La confrontation est inéluctable, elle est même déjà là. À la demande du président Biden, le Cyber Security Review Board qui dépend de la Sécurité intérieure des États-Unis vient de publier un rapport sévère sur l’anticipation et le traitement des attaques de hackers affiliés à la Chine par les industriels américains de la tech. 

Une nouvelle définition de la mondialisation

Et nous dans tout ça ? Pas le bon moment, quand nous cherchons des économies en millions, il faudrait dépenser des centaines voire des milliers de milliards pour rattraper notre retard. Pas la priorité non plus quand la guerre est sur notre continent et que les simples munitions manquent. Pas la priorité non plus si on considère notre trajectoire de décarbonation, parce qu’il existe aussi de bonnes raisons de regarder et d’investir ailleurs. Comme nous avions déjà pris l’habitude avec EY Fabernovel de considérer la première phase de la révolution numérique, celle que les Gafa ont dominée, à leur aune avec nos GAFAnomics, nous serions bien inspirés, dans cette nouvelle étape, d’apprendre du fondateur de TSMC, la Taïwan Semiconductor Manufacturing Company.

À fortiori dans ce moment de l’intelligence artificielle qui a vu Nvidia, dont les semi-conducteurs sont fabriqués par TSMC, dépasser en bourse Amazon, Alphabet et sans doute demain Apple ! Toujours dans le Grand Continent, dans un portrait qui lui est consacré, Morris Chang, l’homme qui est à la fois le Gustave Eiffel, le Bill Gates et le Nelson Mandela de son pays a partagé lors du Taipei Business Forum l’année passée sa « nouvelle définition de la mondialisation : elle sert à permettre aux entreprises nationales de réaliser des bénéfices à l’étranger et aux produits et services étrangers d’entrer dans le pays, à condition qu’ils ne nuisent pas à la sécurité nationale du pays et qu’ils ne nuisent pas au leadership technologique et économique actuel ou futur du pays. Mais peut-on encore l’appeler mondialisation ? ». 

La réponse est dans la question mais, décidément, nous n’aurons pas tous les moyens de l’appliquer. Le prix d’être à l’abri des tremblements de terre ? 

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