LA CHRONIQUE DE DENIS GANCEL

La vision de paix et de solidarité imaginée par les pères fondateurs semble avoir vécu. Diagnostic d'une Europe malade.

L’Europe est née du « plus jamais ça » d’une génération qui a souffert de la guerre. Réécoutons François Mitterrand le 17 Janvier 1995 : « Il faut transmettre, non pas cette haine, mais au contraire la chance des réconciliations (…) mesdames et messieurs : le nationalisme, c’est la guerre ! La guerre, ce n’est pas seulement le passé, cela peut être notre avenir, et c’est nous, c’est vous, mesdames et messieurs les députés, qui êtes désormais les gardiens de notre paix, de notre sécurité et de cet avenir ! (1) » 

Ces mots font froid dans le dos aujourd’hui. Qu’avons-nous fait de la vision de paix et de solidarité imaginée par les pères fondateurs de l’Europe ? Elle semble s’être dissipée au fil du temps pour laisser la place aux intérêts particuliers et au repli sur soi symbolisé par un égoïsme coupable qui nous empêche de voir que l’accueil des migrants est l’enjeu humanitaire du 21e siècle. Personne ne pourra dire « on ne savait pas ». L'Europe était une belle idée, elle peut encore devenir une grande marque si l’on s’attaque à ses maux. 

Une marque illisible 

Qui connaît vraiment l’Europe? Ne serait-ce que le nom des 27 États qui composent l’UE ? On ne peut ni aimer ni promouvoir une marque qu’on ne connaît pas.  L’abbé Pierre déjà en 1999 suggérait un tour d’Europe à vélo pour les jeunes des cités pour qui l’Europe était une « réalité totalement abstraite » (2). On n’adhère à une marque que si on en mesure les effets tangibles. Hélas, l’Europe a eu beau se démener lors de chacune des crises récentes, rien n’y fait ! Le drapeau étoilé planté aux côtés des drapeaux nationaux, la mention « Union européenne » surplombant « République française » sur nos passeports, apparaissent toujours pour beaucoup comme des intrus. 

Une marque sans imaginaire 

Toutes les stratégies de marques pays prennent appui sur des archétypes connus et aimés à travers le monde. Louis XIV, avec Versailles, a été le premier pape du marketing des nations ! Il avait compris bien avant les autres que d’inviter le monde à s’admirer dans la galerie des Glaces frapperait l’imagination ! Qu’attend-on pour orchestrer la promotion de la marque Europe à l’échelle du continent ? Quand allons-nous appliquer la règle d’or de toute stratégie de marque territoire : des millions d’actions, toutes reliées entre elles ? 

Une marque désincarnée 

Qui connaît les leaders de l’Europe ? Simone Veil est au Panthéon, Jacques Delors repose en paix. Où sont les grandes figures d’aujourd’hui ? À chaque élection européenne, on a le sentiment d’assister à un match des mal classés, avec des équipes B sur le terrain. Et puis il y a ce raccourci mortifère : Europe = Bruxelles. Mais Qui est Bruxelles ? Il faut se rendre au Parlement européen pour toucher du doigt le drame d’un temple sans âme, où se perdent 705 députés dont les boîtes aux lettres symbolisent l’errance d’inconnus à cette adresse. 

Une marque sans puissance 

Le débat actuel sur l’armée européenne est révélateur. La reprise de la course à l’armement, notamment entre la Chine et les États-Unis, fait courir un risque majeur de conflit mondial. Sur le papier, constituer une armée pour défendre un continent de 500 millions d’habitants apparaît comme une évidence. Pourtant, on entend des réserves de tous bords et tout se passe comme si les avancées pour faire émerger une Europe politique n’avaient servi à rien. 

Dans un tel contexte, les débats actuels pourraient bien apparaitre comme des prophéties. Prophéties de malheur si on ne parvient pas à redonner un sens à une marque malade. Prophétie de bonheur si on parvient à fédérer celles et ceux qui veulent la doter d’un nouveau récit à la hauteur de son ADN d’origine. Sauver la marque Europe, cela signifie qu’il faut lui administrer le traitement réservé aux marques en péril : une dose de simplification, une dose d’unité et une double dose de créativité et d’enthousiasme. Le tout administré sur tout le territoire, matin, midi et soir ; avant, pendant et après les échéances qui s’annoncent. 

(1) Discours au Parlement européen de Strasbourg. 

(2) Fraternité, éd. Fayard. 

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