Ils étaient gages d’authenticité - et souvent de crédibilité - ils sont désormais de puissants vecteurs de désinformation : sur Twitter, les « badges bleus » offrent aux infox et aux théories complotistes une caisse de résonance et une visibilité inespérées.

En juin, un compte certifié a assuré à tort que la « drogue du Zombie », un mélange de fentanyl et de xylazine qui fait des ravages aux États-Unis, avait « envahi » la France, un message partagé des centaines de fois, ont constaté les équipes de vérification d’AFP Factuel.

Alors qu’il fallait auparavant remplir certaines conditions - comme par exemple être une personnalité publique - et se soumettre à une vérification d’identité, il suffit désormais de s’abonner au service Twitter Blue (une dizaine d’euros par mois) pour pouvoir arborer la coche bleue sur son profil et ainsi bénéficier d’une meilleure visibilité grâce aux algorithmes de la plateforme. Pour beaucoup d’usagers, la confusion demeure : le badge reste souvent synonyme de crédibilité des propos et de l’identité du titulaire.

« Push » algorithmique

Autre exemple récent : une fausse annonce invitant les citoyens d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient à participer « à la contre-offensive ukrainienne » en échange d’un accès à des nationalités occidentales, a elle aussi été relayée des milliers de fois par plusieurs comptes certifiés. Quant à « Europa, the last battle », film suédois de propagande néo nazi bien connu des milieux suprémacistes blancs et antisémites, il a connu une nouvelle jeunesse grâce à ce type de comptes.

« Que ce soit sur l’Ukraine, le Covid ou les récentes émeutes en France, les grands axes de la désinformation sont poussés par des comptes qui sont pastillés et qui bénéficient du "push" algorithmique », souligne Tristan Mendès France, spécialiste des cultures numériques et de l’extrémisme en ligne. « La coche bleue de Twitter était autrefois un signe d’autorité et d’authenticité, mais elle est désormais inextricablement liée à la promotion de la haine et du complot », abonde Imran Ahmed, directeur général du Center for Countering Digital Hate (CCDH), dans une note publiée début juin.

Lancé en novembre 2022 dans la plus grande confusion, le nouveau système d’authentification de la plateforme dirigée par Elon Musk devait permettre, selon le milliardaire, de mettre tout le monde à égalité, lutter contre les faux profils et diversifier les sources de revenus de l’entreprise. Grâce à ce nouveau système, des comptes diffusant des propos racistes, antisémites, complotistes ou provocateurs, qui avaient été bannis du réseau social dans l’ère pré-Musk, ont fait leur grand retour à la faveur d’une « amnistie ».

Résultat, en l’espace de quelques semaines, certains de ces comptes ont gagné plus d’abonnés qu’en quinze ans d’existence sur Twitter, qui revendique aujourd’hui plus de 500 millions d’abonnés actifs. « Il y a les militants d’extrême droite qui se sont sentis ostracisés par les grandes plateformes qui les ont censurés lorsqu’elles avaient décidé de resserrer les boulons en 2017 » après la mort d’une militante antiraciste fauchée à Charlottesville par un sympathisant néo-nazi, décrypte Tristan Mendès France.

Dans ce contexte, le changement des règles de certification sur Twitter a été une aubaine pour des militants d’extrême droite qui en achetant la pastille bleue ont pu « regagner en visibilité », ajoute-t-il. Un changement qui a aussi attiré la complosphère, séduite par les discours d’Elon Musk prônant la liberté d’expression totale.

Signalements vains

Dès avril, la sonnette d’alarme est tirée par Newsguard. L’entreprise, qui évalue la crédibilité de sites internet, pointe la « nouvelle légitimité accordée » à « certains colporteurs d’infox influents ».

Trois mois plus tard, la tendance s’est accentuée. Des comptes certifiés ont notamment affirmé que « les trans sont des pédophiles », « la diversité est un mot de passe pour le génocide blanc » ou encore qu'« Hitler avait raison » - le tout sans être inquiétés et ce, en dépit des signalements, selon le CCDH.

Pour Chine Labbé, vice-présidente de Newsguard, ce « cocktail dangereux » l’est d’autant plus que les « sources qualitatives » ont été nombreuses à refuser de payer l’abonnement et ont, de facto, perdu en visibilité.

« Avec l’émergence de Threads (application créée par Meta pour concurrencer Twitter, NDLR), c’est difficile de prévoir ce qui va se passer mais le risque serait que toutes les sources fiables quittent la plateforme », ajoute-t-elle. Sollicité par l’AFP, Twitter a renvoyé sa réponse automatique à toute demande de commentaire : un émoji en forme d’excrément.