Après trois ans de réflexion, Alain Levy, CEO de l'ad tech française Weborama, revient sur le nouveau positionnement de la société. L'entreprise spécialisée en données marketing a revu son offre pour s’adapter à la disparition des cookies tiers.

Weborama affiche un nouveau positionnement avec de nouvelles activités depuis le début de l’année, pouvez-vous nous en dire plus ?

Alain Levy. La meilleure définition de ce nouveau positionnement, c’est son nom : Data Intelligence Platform. De notre point de vue, c’est la solution pour répondre à l’évolution récente du marché de la publicité en ligne, dont, à mon avis, nous n’avons pas bien mesuré les conséquences : la disparition du cookie tiers. Alors, certes, ce sera une transition douce, mais une révolution profonde. À l’heure actuelle, beaucoup cherchent à trouver des solutions pour faire la même chose que ce l’on fait aujourd’hui, mais la réalité c’est que c'est difficilement possible, et nous le constaterons en 2024.

Et en quoi consiste cette révolution ?

Selon nous, deux éléments de fond vont venir structurer le marché de demain, sans cookie tiers. Le premier est l’évolution technologique, avec les approches des plateformes comme la Privacy Sandbox de Google ou l’App Tracking Transparency d’Apple et la disparition de notre devise commune, le cookie tiers, qui a permis pendant vingt ans de résoudre l’ensemble des problèmes, de la quête d’insight à la mesure et à la segmentation. Le deuxième, c’est la réglementation autour de la privacy qui évoluera encore. In fine, nous allons voir deux webs coexister : le web des Gafa où, tant qu’on sera au sein d’une plateforme on opérera selon ses règles : YouTube, Instagram… Mais il sera complexe de travailler des campagnes multiplateformes. Et à côté, l’open web, qui sera constitué du trafic logué – une petite partie du trafic sur lequel on pourra travailler avec des ID – et le gros du trafic, le non logué, pour lequel nous n’aurons plus de data et plus de consentement. Ce sera un énorme changement. Les Gafa, c’est 75% du marché de pub digitale. Si on considère qu’il fait 600 milliards de dollars, il reste donc sur l’open web 150 milliards à se repartager totalement, avec de nouvelles règles, et pour lesquelles il faut trouver de nouvelles solutions. Mais peu émergent. Même les solutions d’ID sont en contravention avec la Privacy Sandbox de Google.

Même le retail media ?

Le retail media onsite, sur les sites des éditeurs e-commerce, ça marche. Mais dès que vous faites de l’offsite, vous utilisez encore des cookies tiers… In fine, sur le marché, 50 milliards de dollars vont rester sur le trafic logué – qu’il soit basé sur des ID, ou via l’exploitation de la donnée des sites. Et il reste 100 milliards, qui n’ont pas de solutions, et qui sont pourtant les deux tiers de ce qui fait vivre tout internet.

Et donc que faire ?

Il existe plusieurs leviers à activer. Quand vous êtes un annonceur et que vous avez investi tout votre marketing dans ces technologies, vous devez vous rendre à l’évidence : vous n’aurez plus accès à une grande partie des données et un visiteur inconnu restera inconnu. Donc il est déjà primordial de bien maîtriser vos propres données first-party. Cela va demander un certain nettoyage : tout rassembler sous une forme homogène. Chez Weborama, nous nous sommes débranchés de la data third-party.

Mais se baser uniquement sur la first party, ce n’est pas suffisant…

Non, et les annonceurs vont rapidement se rendre compte qu’ils n’ont pas assez de données pour faire des plans marketing, donc nous allons entrer dans l’ère de la data collaboration. C’est le principe des data clean room, dont le principe est de tirer des insights aux intersections des données des uns et des autres. Cela permet d’avoir une meilleure connaissance du consommateur en ayant accès à des données externes à l’entreprise. Tout cela dans un environnement sécurisé et respectueux de la vie privée. La question d’après, c’est comment activer cela ? Car la data clean room n’active rien. Et c’est là que nous, Weborama, nous ajoutons l’élément contextuel, sur lequel on travaille depuis plus de dix ans. L’idée, c’est de substituer les bases de profils comportementaux réalisés à partir de la third party par une base de contenus. On passe de segment d’audiences à des segments de contenus. Le but, c’est d’avoir une connaissance fine des pages web pour faire correspondre ce que l’on a appris des comportements via les données first-party à l’open web.

Finalement, c’est la suite logique de votre métier d’origine…

Nous avons toujours été des pionniers de l’IA sémantique. Nous avons travaillé toutes les dimensions de ce métier et avons réalisé beaucoup de choses avant l’arrivée d’OpenAI et des large language model [ChatGPT et consorts…]. Nous maîtrisons toute l’approche de collecte du contenu, de son analyse de la vectorisation des éléments contextuels pour le faire rentrer dans un univers mathématique et développer les bons algorithmes. Et cela fait deux ans que l’on travaille avec le modèle Bert de Google ou encore ChatGPT mais aussi d’autres produits d’OpenAI comme Whisper, ou Clip qui fait de la reconnaissance vidéo. Aujourd’hui, on arrive à des performances identiques voire supérieures à ce qui se faisait avec le cookie tiers.

Est-ce pour mettre en place tout cela que Weborama a été moins « visible » ces dernières années ?

C’est toujours délicat de communiquer quand on n’a pas les idées claires… Nous avons sorti la boîte de la cotation en 2020, car nous avions compris qu’il fallait réinventer une manière de travailler, et c’est compliqué de réfléchir profondément quand vous avez des résultats trimestriels à fournir. La période du covid n’a pas été facile, et nous avons planché sérieusement sur le sujet pour aboutir à ces conclusions. Nous avons arrêté les DMP, car nous avons compris que le cookie tiers était voué à mourir, et nous étions très exposés. Mais entre l’analytics, les DMP, les plateformes sémantiques, que fallait-il faire ? Le contextuel allait-il rester à la marge ? Nous avons participé à tous les calls avec Google durant ces années. Regardez les annonceurs dans l’univers pharmaceutique, ils n’ont pas le droit d’utiliser de données car elles sont sensibles. Ils n’ont pas d’autres solutions que le contextuel, et le Digital Service Act qui est entré en vigueur va encore compliquer la donne sur les données sensibles… Selon nous, il n’y a jamais eu d’opportunité aussi grande sur ce marché depuis l’arrivée du social. De nouveaux acteurs vont émerger, et les gagnants vont avoir beaucoup à gagner.

Chiffre Clé

75% Poids des Gafa dans le marché de la publicité digitale.

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