Si l’utilisation des algorithmes n’a rien de nouveau dans le secteur des technologies publicitaires, de nouveaux cas d’usages dopés à l’intelligence artificielle générative apparaissent, que ce soit pour la création de campagnes, l’analyse de données ou l’automatisation des tâches. Un article également disponible en version audio.

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Le secteur de la publicité n’est pas épargné par le tsunami que représente l’intelligence artificielle générative depuis un peu plus d’un an. La marque de sous-vêtements Undiz est l’une des premières à s’être illustrée dans l’usage de cette étonnante technologie, avec une campagne estivale conçue par l’agence Cowboys. Celle-ci met en scène des jeunes femmes aux allures de sirènes (en réalité, des modèles générés par l’IA), qui arborent des maillots de bain de la marque, en prise de vue sous l’eau. Depuis, bien d’autres marques et agences de publicité ont surfé sur la tendance. Dernier exemple en date, la campagne d’Halloween de Burger King, signée Buzzman, qui s’amuse des maladresses d’outils comme Midjourney, notamment sa tendance à produire un surplus de mains ou de doigts. Derrière ces coups de com', c’est tout un secteur qui est en effervescence.

« L’intelligence artificielle a émergé il y a très peu de temps pour le grand public mais le sujet existe dans le domaine de la recherche depuis dix ans avec le deep learning », rappelle Liva Ralaivola, VP research du spécialiste de la publicité en ligne Criteo. D’ailleurs, les solutions de toutes les sociétés d’ad tech sont déjà fondées sur des algorithmes. « Chez Creative Lift, nous proposons une solution SaaS qui analyse, via un modèle "maison", sans IA générative, les historiques de nos clients sur les plateformes publicitaires de Meta et TikTok. À partir de ces données, nous formulons des recommandations comme, par exemple, le séquençage idéal d’une publicité pour un parfum sur TikTok », présente Marie-Charlotte Petit, cofondatrice de Creative Lift, une société française d’analyse et d’optimisation créative, qui vole de ses propres ailes depuis 2022, après avoir été incubée au sein de l’ad tech The Source.

« L’IA est omniprésente : ciblage, segmentation, achat programmatique… Il y a du machine learning partout », affirme Pierre Harand, CEO de Fifty-Five, cabinet de conseil spécialisé dans les stratégies data. Cela étant, les sociétés d’ad tech ou les cabinets de conseil ont rapidement saisi l’apport de l’IA générative, perçue comme une brique supplémentaire, « remarquée pour sa capacité à générer des signaux, que ce soit du texte, de l’image ou du son », résume Liva Ralaivola. Ainsi, dès février 2023, le cabinet de conseil Bain & Company ouvrait la voie en annonçant son alliance avec OpenAI, la société éditrice de ChatGPT et Dall-E, pour son client Coca-Cola. Avant cette annonce, le cabinet de conseil avait intégré l’IA générative dans ses logiciels en interne, auprès de ses 18 000 collaborateurs, d’après Christine Removille, partner de Bain & Company en France. Une utilisation qui était surtout cantonnée au « knowledge management », pour faciliter la circulation des connaissances dans l’entreprise.

À Coca-Cola, « nous étions en contact avec Manolo Arroyo, directeur marketing, pour enrichir sa stratégie en utilisant l’IA, relate Christine Removille, également experte en transformations digitales au sein de Bain & Company. Les réflexions sur l’IA générative ont fait naître l’idée d’une plateforme, baptisée "Create Real Magic", qui est sortie au printemps aux États-Unis, en Australie et sur certains marchés européens. » La plateforme permet de générer de nouvelles campagnes pour Coca-Cola (images et textes) à partir de ses archives publicitaires, avec les éléments iconiques de la marque tels que son logo, sa couleur rouge, sa typographie, son Santa Claus, son ours polaire ou encore la forme de sa bouteille. À l’occasion d’un concours créatif, la plateforme a même été mise à disposition du grand public et les campagnes de quelques heureux élus ont été affichées à Times Square à New York et Piccadilly Circus à Londres. En novembre 2023, Create Real Magic a également été ouvert au public en Inde et dans les pays alentour, offrant la possibilité de générer des cartes de vœux brandées Coca-Cola pour la fête de Diwali [fête des lumières hindoue].

Cette utilisation de l’IA pour la création de visuels (et de messages publicitaires) est le cas d’usage le plus évident pour les acteurs de l’ad tech. En juillet dernier, la société Taboola, spécialisée dans la recommandation de contenus sur les sites d’éditeurs, a été l’une des premières à mettre à la disposition de ses clients un outil génératif d’image et de texte via ChatGPT et Stable Diffusion. Mi-novembre, la société communiquait sur le développement de son offre « Generative AI AdMaker » permettant aux annonceurs, selon le communiqué de presse, « d’apporter instantanément des modifications aux visuels existants de leurs campagnes », comme remplacer des arrière-plans ou générer des déclinaisons d’images en fonction de la saisonnalité (rentrée scolaire, fêtes de fin d’année, Saint-Valentin…).

Gain de temps

« Conceptuellement, l’IA générative apporte autant de pouvoirs que de risques si elle est mal employée », estime Rémi Cackel, chief product officer de Teads, entreprise spécialisée dans le format in-read, placé au cœur d’articles de presse sur le web, qui a annoncé en octobre le lancement de son « AI Creative Lab ». Rémi Cackel énonce plusieurs utilisations possibles pour l’IA générative, qu’il voit comme un outil d’assistance. « Sur la partie branding, elle est testée par les équipes de Teads Studio (qui compte 90 personnes dans le monde) pour optimiser plus rapidement les images des campagnes comme créer un effet d’animation pour capter l’attention », explique-t-il. Aujourd’hui, l’optimisation d’une image pour la rendre plus engageante prend environ trois jours aux équipes créatives ; demain, le délai pourrait être réduit à 24 heures. « Ce n’est pas qu’un gain de temps, c’est aussi de l’inspiration », affirme Rémi Cackel, qui évoque un deuxième cas d’usage à l’IA générative, cette fois sur les campagnes à la performance, avec des indicateurs collectés en temps réel.

« Il y a des dizaines de façons de faire une image pour la promotion d’un vol Paris-New York. L’IA générative peut aider à personnaliser la variation de la campagne en choisissant l’image et le message publicitaire en fonction de l’utilisateur et du contexte de navigation, expose Rémi Cackel. Sur ce domaine, on investit beaucoup de temps. » Et pour respecter le « cadre strict de la marque », l’outil de Teads, développé en seulement quatre mois, pioche les images directement sur le site de la marque, les adapte aux différents formats (carré, vertical…), génère différents messages basés sur le contenu du site, les traduit dans plusieurs langues et se charge de l’A/B testing, toujours d’après l’expert. L’IA propose ensuite la campagne à l’annonceur, avec différents scores de performance. Cet outil de Teads n’est pas encore officiellement sorti. Dans le même ordre d’idées, le groupe Brandtech (propriétaire de Fifty-Five et Jellyfish) a fait l’acquisition en juin 2023 de la société Pencil, qui génère, à partir d’un brief, des vidéos (sans le son) pour les réseaux sociaux, en se basant sur un historique de performance.

Améliorations de performance

Les géants du web, de Google à Microsoft, en passant par Meta et Amazon, contribuent également à trouver des applications publicitaires aux IA génératives dont ils sont à l’origine. Google a lancé en 2021 « Performance Max », qui centralise tout l’inventaire Google Ads (search, display, YouTube, Discover, Google Maps) et permet de diffuser une annonce (sur les différents canaux) auprès d’un internaute, en fonction du comportement de ce dernier. « Pour l’écrasante majorité de nos clients, on constate des améliorations de performance : sur un budget égal, on va avoir 20 % à 50 % de leads ou de ventes en plus », informe Pierre Krstulović, directeur des opérations OneSearch au sein d’iProspect (groupe Dentsu). En mai, Google a communiqué sur trois nouveaux outils d’IA générative intégrés au sein de Performance Max, dont bien sûr un outil de création publicitaire (image et texte).

Les acteurs de l’ad tech trouvent bien d’autres usages à l’IA générative. Criteo, via son AI Lab, travaille sur un assistant virtuel pour répondre aux demandes de ses clients avec ChatGPT. « Il s’agit d’apporter une première réponse, puis charge au directeur de clientèle de prendre le relais », explique Liva Ralaivola. Quant à Fifty-Five, l’entreprise a développé un data analyst assistant, sous forme de chatbot, branché à l’IA générative laissée au choix du client. En guise de démonstration, Claude 2 d’Amazon répond à la question « Comment évolue mon total d’impressions depuis le début d’année ? » avec un graphique. Autre usage de la technologie par Fifty-Five, le « media campaign taxonomy correction », qui corrige les enregistrements erronés des noms de campagnes média. L’IA générative est aussi mise à profit pour compléter les flux de produits qui comprennent, en moyenne, 5 % à 10 % d’informations erronées, d’après Pierre Harand.

Enfin, Teads développe AdGenius, un outil capable d’interpréter les détails d’un brief (comme un mail) pour les exécuter dans la plateforme Teads Ad Manager. Sont entrés automatiquement le budget total de la campagne, son audience, son coût par clic maximal et ses dates de diffusion. Les media traders n’ont plus qu’à vérifier.