Depuis la sortie du robot conversationnel ChatGPT le 30 novembre 2022, l’écosystème technologique connaît une révolution. En France, les start-up sont évidemment impactées, que ce soit dans leurs stratégies de communication ou dans leurs recherches d’investisseurs : l’IA générative est dans tous les pitchs. Se dirige-t-on vers une bulle ?

D’un côté, une baisse inquiétante des levées de fonds pour la French Tech en 2023, selon le baromètre In Extenso Innovation Croissance, Essec Business School et France Angels : 9 milliards de levés, contre 13,6 milliards en 2022. De l’autre côté, des prévisions qui estiment un marché de l’IA générative à 100 milliards de dollars dès 2028, selon Sopra Steria Next. « Les conditions économiques se sont complexifiées en raison de divers facteurs tels que l’augmentation des taux, les conflits armés et les crises sanitaires, suscitant la méfiance des investisseurs, explique Stanley Géhy, senior advisor chez Calmon Partners. L’émergence de l’IA a joué un rôle crucial en tant que relais sur le marché de la tech, évitant un scénario de marché sinistré et permettant un redémarrage des levées de fonds. » Pas étonnant dès lors de constater que les start-up, cherchant à sécuriser des financements, incluent de plus en plus l’IA générative dans leur pitch pour attirer les investisseurs.

Pimento, plateforme d’IA générative destinée aux équipes créatives, a levé 3 millions d’euros en décembre. Kleep, qui permet de la recommandation de taille sur les sites de mode grâce à l’IA générative, a levé 1,8 million d’euros. Nabla et son assistant pour la santé lève 22 millions d’euros. Dust, l’IA au service du travail collaboratif, a levé 5 millions d’euros. Et évidemment, Mistral AI, société fondée en avril 2023, spécialisée dans le développement de l’intelligence artificielle, qui après une première levée de fonds de 385 millions d’euros en décembre 2023, est valorisée à près de 2 milliards d’euros et devient l’un des leaders européens du domaine de l’IA. Ou encore, dans les mastodontes, HuggingFace, qui a collecté pas moins de 235 millions d’euros pour sa plateforme collaborative dédiée à l’IA. « L’engouement pour l’IA génère parfois un effet buzzword. Et on voit que certaines start-up veulent placer le terme, parfois artificiellement, dans leurs éléments de communication, reconnaît Hadrien Comte, investisseur chez Revaia. Mais attention aux effets de marketing, les start-up doivent se poser la question de leur stratégie face à l’émergence de cette technologie disruptive. »

« Il y aura de la casse »

Un an après l’émergence du phénomène ChatGPT, près d’un investisseur particulier sur quatre (24%) en France détient désormais des actions liées à l’IA dans son portefeuille d’investissement, selon les données du dernier Retail Investor Beat (RIB) de la plateforme de trading et d’investissement eToro. 32% ont déclaré qu’ils prévoyaient d’investir dans des sociétés d’IA à l’avenir. « Dans les pitch decks que nous recevons aujourd’hui, l’IA est omniprésente, confirme Jonas Simonin, VC Investor chez Daphni. Mais c’est aussi parce que cela répond à une forte demande des entreprises qui l’utilisent. L’IA accélère les processus et ouvre la voie à de nouvelles opportunités. Cependant, les jeunes pousses qui ne sont pas nativement orientées IA, pour lesquelles ce n’est pas le cœur de métier initial, et dont la valeur ne repose pas principalement sur cette technologie, auraient tort de tout miser dessus. Cela pourrait leur être plus préjudiciable que bénéfique. »

Quels sont les risques d’un tel engouement ? La survalorisation de certaines entreprises ? La création d’une bulle ? « Bien sûr qu’il y aura de la casse, et certaines entreprises ne survivront pas à cette période d’essor. La loi de la sélection naturelle s’appliquera. En fait, c’est un pari inhérent à notre métier », assure Hadrien Comte, rappelant que la plupart du temps, les revenus des start-up sont souvent proches de zéro, malgré une forte demande pour les produits. Citant l’exemple édifiant d’OpenAI, qui initialement ne générait aucun revenu, mais qui a clôturé l’année avec un impressionnant chiffre d’affaires de plus de 1,6 milliard de dollars.

Pour Stanislas Lot, partner également chez Daphni, l’adoption de l’IA est forte, mais l’engagement varie considérablement. ChatGPT aurait une adoption de 15%, tandis que TikTok, par exemple, affiche un engagement bien plus élevé à 70%. Il est essentiel de maintenir un certain recul vis-à-vis des tendances prospectives, malgré l’engouement perçu avant tout par les investisseurs et les médias. « Le défi majeur réside dans l’identification des start-up qui répondent à de réels besoins commerciaux. Les entreprises qui ne parviennent pas à satisfaire des besoins concrets risquent des difficultés financières, conduisant soit à la faillite, soit à des acquisitions à des prix relativement bas. » Cette trajectoire rappelle l’histoire des logiciels, qui peuvent prendre jusqu’à quinze ans pour devenir véritablement rentables.

« Les hypes technologiques peuvent susciter des investissements massifs, souvent basés sur des idées encore trop futuristes, à l’instar du métavers il y a quelques années », admet quant à lui Stanley Géhy. La crainte de manquer une opportunité peut conduire les investisseurs à allouer des ressources importantes à des promesses qui, par la suite, ne sont pas concrétisées. « Cependant, nous semblons avoir dépassé cette phase risquée. Actuellement, ce sont les propositions de valeur concrètes dans le domaine de l’IA qui captivent les investisseurs. Je pense que nous ne sommes pas confrontés à une bulle. Au contraire, l’essence même de ces projets offre d’importantes perspectives d’avenir. »

2023, année de l'IA générative 

L’année 2023 a été marquée par la montée en puissance de l’IA générative, avec une une redistribution des financements en faveur des start-up proposant des technologies de rupture (deeptech), captant plus d’un quart des levées en France et en Europe, avec une progression de 18% des opérations en Europe par rapport à 2022. Les entreprises françaises de la deeptech, notamment dans l’IA, mais également la biotech et le quantique, ont su attirer d’importants financements, malgré un léger recul des deals. Avec un recul du financement des projets relatifs au développement ou à l’exploitation de l’IA et la réorientation vers l’IA générative. 2023 a marqué un tournant dans le financement de l’IA, avec 1,4 milliard d’euros levés, un recul du financement des projets relatifs au développement ou à l’exploitation de l’IA et une réorientation vers l’IA générative. Les levées de fonds impressionnantes de Mistral AI, Poolside IA (126 millions de dollars) ou encore Braincube (83 millions d’euros), illustrent ce tournant. L’élan vers l’IA générative a remodelé le paysage de la tech en France.

Sources : Baromètre des levées de fonds In Extenso Innovation Croissance, Essec Business School et France Angels.