La régie publicitaire de France Télévisions publie une websérie sur le métavers et ses usages possibles pour les marques. Le tournage a convoqué, lui aussi, la réalité virtuelle.

Réaliser un tournage sans aucune caméra sur le plateau ? Infaisable, a priori. Et pourtant. Ce matin du 4 avril, à Issy-les-Moulineaux près de Paris, dans le petit studio où se fabrique une websérie que la régie publicitaire de France Télévisions destine à ses clients et au marché, aucune trace de matériel de prise de vue. La caméra se situe dans le métavers. Pas seulement une façon de parler : elle se trouve réellement dans un univers virtuel. C’est d’ailleurs le thème de cette websérie en trois épisodes, dont le premier est sorti le 22 mai : expliquer les caractéristiques et les perspectives de ces mondes dits immersifs, aider les marques à comprendre ce qu'ils peuvent leur apporter, imaginer le rôle de FranceTV Publicité sur la question. Le nom de cette série : Odyssées virtuelles.

Dans le studio – encombré de fauteuils et d’un enchevêtrement de câbles qui ne gênent pas, puisque rien ne sera visible à l’image –, une (jeune) équipe est à l’œuvre, sous la supervision des réalisateurs Arthur Jeanroy et Damien Babikian, représentants d’Ante Bellum Films, la société de production qui accompagne FranceTV Publicité sur le sujet. À leurs côtés, le développeur Théo Dubocq et le créateur de contenus @L_nny (40 000 abonnés sur TikTok), deux consultants VR. Ils donnent leurs indications aux comédiens, Sacha Faillet et Lucas Goetghebeur. Dotés de casques de réalité virtuelle, de micros et de capteurs au niveau des mains, des pieds et de la taille, ceux-ci font des mouvements ainsi reproduits dans le virtuel par leurs avatars (« Kiria » et « Rvé ») plongés dans différents décors. Même chose pour la direction de leurs regards – un coup d’œil à gauche dans la vraie vie, c’est un avatar qui, sur les écrans installés sur une sorte d’estrade, sur un côté du studio, regarde également vers sa gauche. Située dans le logiciel, la caméra se dirige à la manette, comme un jeu vidéo. Les acteurs ont un repère pour savoir où regarder. Il est même possible de bénéficier d’un prompteur virtuel... Le tout, opéré via la plateforme VRChat.

« Il faut exagérer »

Dans la séquence qui se tourne à ce moment-là, il est question du métavers dans les années 2020, dont le développement est marqué à la fois par des « investissements colossaux » et des « échecs terribles ». Prospective, la série se passe en 2035 : les deux personnages font le point sur la technologie, imaginant, par exemple, que c’est dans les années 2030 qu’aura été résolu un problème qui freine actuellement son essor, celui de l’absence de connexions entre les différents métavers. Comme sur un tournage ordinaire, l’histoire se tourne sous différents angles de vue, par séquences – là, un court récapitulatif historique – et en plusieurs prises, notamment, par exemple, pour corriger un regard mal dirigé, pallier une panne de capteur ou tout simplement sécuriser les vidéos. « Il faut avoir conscience que ce que tu fais dans la vie ne sera pas forcément retranscrit, témoigne Sacha Faillet, comédienne. C’est un jeu avec le corps et la voix. Parfois, il faut exagérer. Il faut beaucoup bouger, ouvrir ou fermer les mains pour rendre les choses visibles alors que cela peut apparaître contre-intuitif. »

Comme sur un tournage ordinaire, ce sont parfois des célébrités qui prêtent leurs voix aux personnages : un peu plus tôt, Nelson Monfort, journaliste sportif emblématique de France Télévisions, actuellement à l’antenne pour Roland-Garros, est venu réaliser un enregistrement de sa voix pour une séquence. Samuel Étienne, de son côté, a envoyé des fichiers de la sienne, pour un passage de la websérie reproduisant Questions pour un champion. Et il y a aussi des figurants : « Nous avons (…) pu faire appel à [eux] sans avoir besoin de les faire venir sur le plateau puisqu’il s’agissait de membres de la communauté VRChat connectés depuis chez eux », précise Ante Bellum Films dans un communiqué.

Les JO dans le métavers

L’intérêt de France Télévisions pour le métavers ne date pas de ce projet. Durant la pandémie, des lives Twitch ont été tournés. L’année dernière, des espaces immersifs ont été imaginés autour de Stade 2 à l’occasion des JO de Pékin et de Roland-Garros. Si certains ne croient pas en l’avenir de cette tendance tech, ce n’est pas le cas du groupe public. « On ne sait pas si cela prendra ou pas. Beaucoup de gens s’y intéressent, beaucoup de fonds sont injectés. À France Télévisions, l’on se doit de s’y intéresser pour savoir comment produire des contenus sport, culture, jeunesse pour le jour où cela marchera, peut-être aller chercher du public sur les canaux linéaires », développe Vincent Nalpas, directeur innovation produits et services au sein de la direction du numérique de l’entreprise. De son côté, BFM Business a diffusé, début mai, sa première émission dans le métavers.

La fabrication de la websérie, tournée en deux jours, répond à des enjeux spécifiques. Au-delà de l’élaboration du scénario et du travail d’imagination requis pour ce script, puisque la série se déroule dans le futur, il a fallu produire des avatars ou encore construire de nouveaux décors en plus de ceux hérités des expériences éditoriales déjà menées dans le métavers. Parmi ceux-ci, par exemple, une tour du père Fouras inspirée de Fort Boyard, et décor, dans la websérie, de l'une de ses fameuses énigmes. L’avantage de ne pas tourner en physique est que les décors peuvent être multipliés. Il a fallu aussi apprendre de nouvelles techniques de production, sans caméra donc, ni envoi des images en régie, ainsi que de nouvelles techniques de gestion de la lumière, des décors, des comédiens. « Le risque ? Il peut être compliqué de gérer les avatars », complète Vincent Nalpas. Notamment pour assurer sa cohérence avec l’image d’une « vraie » personne.  

Retour au studio : à l’écran se tient à présent un personnage atypique en forme de champignon, nouvel avatar pour la comédienne, tourné avec d’autres, pour laisser un choix au moment du montage. Une blague d’initiés sur la forme des NFT (c’est « carré ») se fait entendre. Si le premier épisode est déjà visible en ligne, les deux autres, de 4 à 5 minutes chacun, seront diffusés dans les prochaines semaines.