À une ère où se déconnecter devient presque un challenge, les retraites d’écritures prolifèrent dans le but d'apporter une solution à celles et ceux qui ont besoin d’un coup de pouce.
Les cliquetis des claviers retentissent à l’étage de l’immeuble, mêlés aux discussions des différents pôles et du bruit de la machine à café. Pas le meilleur environnement pour se concentrer sur la rédaction de son papier. Il n’y a pas spécialement besoin d’être au bureau pour être déconcentré(e), chez soi, les tentations sont nombreuses, à commencer par celle de scroller continuellement sur son téléphone. Alors certain(e)s prennent la décision de s’échapper quelques jours dans un endroit plus reculé, où la connexion internet est moindre et le réseau très faible, avec comme unique mission : écrire. Bien que le concept de retraite d’écriture – à ne pas confondre avec un stage – puisse se faire de soi-même en s’enfermant quelques jours, seul(e) ou avec des amis, il existe des établissements et des personnes qui consacrent leur travail à offrir ce moment de déconnexion aux autres.
Margot Dessenne est une autrice de SFFF et podcasteuse. Elle a eu l’occasion de tester l’expérience en mai 2022 : « Ce qui est incroyable, c’est que ça nous pousse à ralentir. Je vis dans une grande ville, je suis habituée à ce que mon quotidien soit très rythmé, puisque je suis également beaucoup sollicitée sur les réseaux sociaux et par mes proches. J’ai été invitée avec une amie par Samantha Bailly, cofondatrice de Parenthèse. Nous n’assistions pas à une retraite à proprement parler, puisque nous organisions nos journées. Ça nous a permis de travailler sur nos projets, nous faisions des choses qui permettaient à notre esprit de se déconnecter des tracas quotidiens, ce qui est parfois très important dans la créativité », raconte-t-elle. Déconnecter à l’heure où tout le monde est connecté est un réel défi, et les chiffres le rappellent. Selon le Digital Report 2023 réalisé par We Are Social et Meltwater, les internautes en âge de travailler passent en moyenne 6 heures et 37 minutes par jour en ligne, soit un peu moins que l’an passé pour une durée de quasiment 7 heures. Un défi pas impossible à relever pour l’autrice : « Les premières heures sont les plus difficiles. On finit par lâcher prise, et accepter de force cette coupure, et tant mieux. »
Il y a ceux qui les vivent et ceux qui les organisent. Samantha Bailly, par qui Margot Dessenne a été invitée, a cofondé en 2020 avec son mari Parenthèse, un site de location de Tiny House implanté dans la forêt domaniale d’Orléans. Il est possible de réserver un simple séjour, ou de participer à une retraite créative. Parmi les activités, il y a les ateliers d’écriture que la cofondatrice anime elle-même. « Cette idée m’est venue lors d’une retraite au Japon que nous avons faite avec un moine bouddhiste. J’avais envie de créer un endroit reposant, ressourçant, avec cette idée de se retirer du monde », confie-t-elle. Parenthèse propose un forfait d’une semaine pour ce type d’événement aux alentours de 850 euros en demi-pension. « Nous faisons appel à des professionnels dont on aime le travail et qui sont à l’aise avec l’idée de transmettre. Ils modulent eux-mêmes leur programme, et l’atmosphère est très différente en fonction de la personne qui anime l’activité. Les groupes sont assez variés, on retrouve des personnes dans leur vingtaine-trentaine, et d’autres plutôt proches de la retraite, 95% des inscrit(e)s sont des femmes. »
Nouveau cycle
Comme son nom l’indique, l’objectif pendant ce séjour est d’écrire, mais ce ne sont pas seulement des professionnels qui s’inscrivent, précise Samantha Bailly : « Il y a trois profils, ceux qui recherchent un temps de recul pour briser la solitude, car c’est un travail solitaire, les semi-pros qui souhaitent se professionnaliser et les néophytes qui ne sont pas là dans le but de publier un livre, mais de faire une démarche intime et intellectuelle. » C’est pour cette quête de reconnexion à soi que l’autrice Anaïs Vanel a lancé également ses retraites d’écriture, après la sortie de son premier roman en 2019. Une expérience différente qui est adressée aux personnes « en fin de cycle » : « Ce sont pour la grande majorité des femmes qui arrivent à un moment charnière de leur vie, de par une remise en question, un burn-out… Elles s’aperçoivent qu’elles sont à la fin de quelque chose, et c’est justement le thème de la retraite : celui d’entamer un nouveau cycle », raconte-t-elle.
L’écrivaine reçoit douze participant(e)s, pour la plupart des femmes, pour sept jours dans les Landes et un budget de 950 euros : « C’est un format assez long pour produire une vraie coupure. Cette semaine est consacrée à la reconnexion aux choses simples, à l’émerveillement, revenir à soi, avec l’écriture comme guide et source de lucidité. Laisser sa plume parler pour nous nous aide à nettoyer, à poser des intentions, à retrouver de la poésie. » En 2023, toutes les dates proposées affichent complet pour Anaïs qui affirme faire face à une forte demande. Ce format plaît véritablement puisque Samantha Bailly certifie d’une fidélisation de la part des clientes : « Certains reviennent pour la troisième fois. »
Le covid aurait-il joué un rôle dans cette envie de déconnexion ? Une étude publiée en 2022 de la DREES sur la santé mentale rapporte que près d’une personne sur cinq estime avoir eu besoin d’aide pour raisons psychologiques depuis la crise et que 13% (16% des femmes et 9% des hommes) des personnes interrogées ont consulté un professionnel de santé pour de telles raisons. Margot Dessenne le constate : « Les confinements ont bouleversé nos hobbies, notre rapport au temps. Les gens veulent prendre soin de leur santé mentale, et la privilégier en la mélangeant à sa créativité est un beau cadeau qu’on peut se faire. » Un avis également partagé par Samantha et Anaïs : « Le climat actuel pousse à une prise de conscience et à une réflexion de fond sur sa vie et de son travail. » Ces moments d’écriture sont l’occasion de s’offrir un moment de déconnexion et de travail sur soi. Peut-être que les prochains papiers seront écrits dans un environnement plus calme, plus proche de la nature, et moins connecté ?
