Au travers de cette collaboration pour le moins surprenante, Snapchat propose une autre vision des antiquités égyptiennes du Louvre grâce à la réalité augmentée. Récit d’une visite guidée 2.0.

Un fantôme sous la pyramide. Le Louvre serait-il hanté ? Possible, mais le fantôme en question n’est pas là pour faire peur aux visiteurs, ni faire « du buzz », précise le responsable des réseaux sociaux du musée. Au contraire, il a été démarché pour rendre la culture plus « accessible ». Le Louvre s’est entretenu avec Snapchat pour la première fois en juillet 2022. « Ils sont venus vers nous sans idée précise, seulement avec l’envie de célébrer le bicentenaire du décryptage des hiéroglyphes par Champollion, introduit Donatien Bozon, directeur du Snap AR Studio, le studio de réalité augmentée créé par la maison mère du réseau social. Au même moment, je venais d’être recruté pour la création de l’AR Studio, j’étais le dernier à rejoindre l’équipe. Je me suis dit : “le rêve, on a une touche avec le Louvre”. Mais leur demande manquait d’ambition, on pouvait faire encore plus. »

Déterminée à rendre cette collaboration fructueuse, tant en termes d’image que de business, l’équipe de l’AR Studiose rend plusieurs après-midi au musée afin d’en prendre le pouls. Observer le comportement des visiteurs, les œuvres les plus regardées et les plus ignorées… tout cela principalement au département des antiquités égyptiennes. « Nous leur avons présenté une tout autre stratégie, différente de leur demande initiale, avec une série de cinq expériences. Lors de cette présentation, j’ai vu le directeur du département, Vincent Rondot, sourire de plus en plus, les yeux pétillants », rapporte Donatien Bozon. En un regard, le courant est passé, et le brief a été accepté pour une durée d’un an. Pour la suite, les équipes ont statué sur quatre œuvres à recréer en réalité augmentée, dont une qui n’existe pas au Louvre.

Une telle collaboration ne pouvait pas se raconter dans un simple communiqué de presse. Il faut le voir pour le croire, comme le dit l’adage. Les deux parties ont donc organisé pour la presse étrangère et française une visite guidée privée des antiquités égyptiennes, « le département le plus ancien du Louvre ». Et ce, malgré une alerte à la bombe contraignant le musée à fermer ses portes quelques jours plus tôt. Dans l’enceinte du bâtiment, le silence règne en maître, on ne sait s’il faut l’attribuer à la voix « ASMRisante » de la guide ou à la digestion. Après avoir observé la Crypte du Sphinx, le Mastaba, et d’autres trésors égyptiens, la visite semble toucher à sa fin et toujours pas un signe de Snapchat.

C’est alors que des personnes vêtues de t-shirts noirs siglés d’un fantôme dans le dos apparaissent. Le silence est vite remplacé par un brouhaha confus où les visiteurs sont invités à migrer vers la première expérience et à ouvrir l’application, smartphone en l’air. Devant eux se trouve le zodiaque de Dendérah, il s’agit d’une représentation de la voûte céleste en planisphère qui était autrefois sur le toit du temple d’Hathor. C’est une des pièces que Snapchat a scannées pour permettre aux visiteurs de la voir en réalité augmentée. « 80 % des gens entrent dans cette pièce et ressortent sans l’avoir vue. Pourtant, c’est l’une des plus belles pièces de tout le département mais comme elle est au plafond, personne ne la regarde », insiste, presque dépité, Donatien Bozon. Ainsi, après avoir scanné un QR code, caméra du smartphone droit devant, ce zodiaque descend du plafond et fait face au spectateur permettant de voir chaque détail, les signes, les 36 décans…

Derrière se trouve la Chambre des ancêtres. En scannant ses murs, les sigles presque effacés par les années sont ravivés et expliqués par l’application. « Un rideau doré tombe de manière à redessiner les éléments. L’idée était de faire une restauration numérique de cette œuvre très ancienne en lui redonnant ses couleurs d’antan. C’est la pièce la plus ancienne qu’on ait augmentée », poursuit l’expert de la réalité augmentée. Un processus qui passe par la photogrammétrie, soit des scans très précis de chaque œuvre. Une fois ces images capturées, le studio est passé au travail de storyboarding afin de proposer des mécaniques de déclenchement et d’apparition de ces dernières dans l’application. Le tout appuyé par l’expertise des conservateurs du département Vincent Rondot et Hélène Guichard, qui ont exhumé les archives pour trouver des éléments historiques précis à raconter sur ces monuments et rester fidèle à la réalité archéologique.

Un obélisque dans la cour carrée

L’expérience continue, toujours accompagnée par des employés de l’application, cette fois-ci devant la porte de Naos d’Amasis. Point de contact entre la terre où vivaient les hommes et le ciel où résidaient les dieux, le sanctuaire représente l’horizon. Celui-ci aurait abrité la statue du dieu Osiris. Une fois l’opération répétée avec l’application, l’utilisateur peut décrypter les dessins sur ses murs extérieurs. « Initialement, nous avions créé des portes beaucoup trop nobles, Vincent Rondot nous a corrigés en nous expliquant que les portes du Naos étaient en bois, un matériau plus pauvre et bien plus abîmé », raconte Donatien Bozon.

Malgré la fluidité de l’utilisation, l’application subit quelques interférences durant le parcours, cassant la mise en scène prévue par Snapchat. Si le problème ne vient pas de l’au-delà, il serait dû au wi-fi. En effet, cet aléa technique a repoussé de quatre à cinq mois la sortie prévue du projet. « Nous sommes dans un bâtiment immense, classé, avec des murs de deux mètres d’épaisseur minimum et évidemment internet captait très mal. Il a fallu faire installer une borne wi-fi, qui restera par la suite, mais le temps d’avoir l’autorisation des architectes des Bâtiments de France, le projet a pris un an au total avant de voir le jour. On en a profité pour le peaufiner », confesse le directeur de l’AR Studio. 

La dernière expérience se passe à l’extérieur du bâtiment, dans la cour carrée du Louvre. Au centre de la fontaine, vide en temps normal, est érigé un obélisque de 22 mètres de haut, le même que celui place de La Concorde, posé sur un socle originaire de Luxor. « C’était l’emplacement voulu par Champollion. Le Louvre avait des doutes sur la faisabilité de cette expérience mais avec la réalité augmentée, déplacer un bâtiment de 230 tonnes, c’est possible », lance Donation Bozon. Grâce à ce projet entièrement financé par Snapchat, dont on ignore le budget alloué, les deux parties espèrent que le public, tout âge confondu, observera les œuvres sous un nouveau jour. Et à cette question un peu épuisante néanmoins très souvent posée, « ils font comment les gens s’ils n’ont pas Snap ? », la société l’assure : il est possible de la télécharger en moins de dix secondes. De quoi appâter de nouveaux utilisateurs en plus des 27 millions de Français déjà présents sur l'appli, et de même pour Le Louvre et ses huit millions de visiteurs annuels.