LES 15 SPÉCIAL PARIS 2024

À quelques mois des Jeux, Michel Cymes, figure emblématique de la santé en France, et François Genêt, médecin spécialisé en médecine physique et de réadaptation, confrontent avec Christophe Dépont, directeur marque, publicité, réseaux sociaux et partenariats d’Allianz, leurs points de vue sur l’urgence à remettre les Français au sport.

Lutter contre la sédentarité et promouvoir les bienfaits du sport et de l’activité physique sur la santé font partie des principaux engagements du Comité d’organisation des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024. Pourquoi une telle mobilisation ? La situation est-elle si préoccupante en France ?

Michel Cymes. Il y a deux notions différentes : la sédentarité, qui est le nombre d’heures que l’on passe assis dans la journée, et l’inactivité physique, c’est-à-dire quand on ne suit pas les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de 30 minutes d’activité quotidienne pour les adultes et 1 heure pour les enfants. Il faut combattre les deux car leur effet se cumule. Il y a des gens qui disent : « oui mais je fais un footing d’une heure tous les dimanches, donc on ne peut pas considérer que je suis à risque. » Bien sûr que si ! Parce qu’il y aura quand même pour leur santé toutes les conséquences de la sédentarité.

Concernant l’activité physique des enfants et des adolescents, on peut résumer la situation en un chiffre : l’OMS a fait une enquête dans 146 pays et la France se classe 119e… On est derrière le Bangladesh ! Nous avons des jeunes qui vont faire des maladies de vieux. François Carré, cardiologue du sport, a une formule qui résume tout : « jeunesse sédentaire, vieillesse grabataire… »

Un seul exemple avec le diabète de type 2, « le diabète gras ». À l’époque de mes études, on l’appelait « le diabète de la maturité ». Il arrivait après 50 ans. Aujourd’hui, on le diagnostique chez des enfants.

François Genêt. En termes d’espérance de vie, en France, nous sommes plutôt parmi les leaders en Europe. En revanche, lorsqu’on regarde l’espérance de vie en bonne santé, là, on tombe à la 10e place… Nous sommes en train de créer des sédentaires sportifs, c’est-à-dire qu’aujourd’hui, il y a des enfants qui, certes, pratiquent du sport deux fois par semaine, mais qui considèrent qu’ils peuvent prendre le bus ou la voiture pour aller à l’école.

Si on regarde plus spécifiquement les populations en situation de handicap, on s’aperçoit que leur espérance de vie ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui, et c’est relativement nouveau, il y a des handicapés « vieux ». Le problème, c’est que jusqu’à récemment, on ne s’intéressait pas à leur prévention primaire en santé. Nous sommes donc face à un enjeu de santé publique pour ces populations qui développent aujourd’hui les mêmes risques et pathologies que la population générale, notamment cardiovasculaires, cancers et métaboliques. Et c’est d’autant plus préoccupant qu’il y a pour elles aujourd’hui une vraie problématique d’accès aux soins.

Est-ce que le sujet des nouvelles technologies et des écrans est un facteur aggravant pour les jeunes ?

M.C. Évidemment, les écrans n’ont rien arrangé mais ils ne sont pas à l’origine du problème. Son origine est éducative, c’est la place du sport dans l’esprit des parents. Certains demandent encore aujourd’hui des certificats d’inaptitude à la piscine pour leur enfant parce qu’ils craignent qu’il attrape froid en sortant les cheveux mouillés ! On a d’ailleurs le même type de problème éducatif avec l’alimentation. Les parents donnent le mauvais exemple : fast-foods, alimentation ultra-transformée, par manque de temps, de connaissances et de savoir-faire.

Mais il faut reconnaître que le sujet des écrans est particulièrement complexe. J’ai un enfant de 13 ans et il est très difficile de le raisonner sur son utilisation car désormais, tout passe par les écrans : les relations sociales avec les réseaux sociaux, l’école avec les groupes WhatsApp, les applications, les devoirs… J’en suis arrivé à la conclusion qu’il faut essayer de faire compenser [aux enfants] le temps passé devant des écrans par une activité physique à côté, plutôt que de se battre en vain pour leur en interdire l’usage.

F.G. J’ai une anecdote à ce sujet. Mon dernier a 8 ans. Il me demandait sans relâche un téléphone car il était en décalage avec ses copains d’école et ne comprenait pas. Alors je lui ai dit : « D’accord pour l’utilisation du téléphone mais uniquement debout ! » Je peux vous dire que cela ne dure pas plus de 10 minutes…

Selon une étude Appinio pour Allianz, les jeunes ont beaucoup de mal à se remettre à l’activité physique depuis le covid. Est-ce quelque chose que vous avez remarqué également ?

M.C. Pour les adultes, pendant le covid, aller courir était le seul moyen de sortir de chez soi. On a découvert de nouveaux sportifs ! Mais les enfants, eux, allaient sur les écrans…

Aujourd’hui, je leur parle beaucoup sur Instagram et sur TikTok pour essayer de leur faire passer le message. Mais voilà, c’est totalement inefficace de dire à des jeunes de 13 ou 14 ans : « Ce n’est pas bien d’être sédentaire ou inactif car, plus tard, vous développerez des maladies cardiovasculaires. » Ça ne leur parle pas du tout ! Il faut donc jouer sur d’autres leviers pour valoriser l’activité physique. Par exemple, sur la notion du poids, sur l’exemplarité (si tes parents ne te montrent pas l’exemple, montre l’exemple à tes parents) mais aussi sur le fait que l’activité physique augmente les capacités cognitives (bouge plus et tu seras meilleur à l’école).

F.G. La première chose que nous avons apprise après le covid, c’est que les personnes en situation de handicap avaient toutes perdu un point d’autonomie. Pourtant, lorsqu’on demande à une personne handicapée si elle a souffert du covid, elle répond que non, car une personne handicapée est souvent un confiné chronique qui a pris l’habitude de sortir peu de chez lui, avec une vraie question d’accès à son territoire et donc des difficultés à pratiquer de l’activité physique.

La prévention est indispensable pour sensibiliser les Français, mais est-ce suffisant ? Quels sont les autres freins que vous identifiez ? Qu’attendez-vous des différents acteurs ?

M.C. Si nous sommes arrivés à cette situation en France, c’est parce que personne ne s’y est intéressé auparavant. La prévention est un sujet de temps long, la politique, un sujet de court terme… Mais la prise de conscience de l’État semble là. La promotion de l’activité physique et sportive est Grande cause nationale 2024. C’est une excellente chose. Paris 2024 et son programme Héritage en sont le catalyseur. Mais je pense aussi que les freins sont un sport national. Quand on voit les difficultés (c’est un euphémisme !) pour mettre en place 30 minutes d’activité physique quotidienne à l’école car les instituteurs craignaient que cela dissipe trop les enfants ou que cela casse le rythme de leur classe, cela résume l’état d’esprit français.

F.G. Le premier frein, c’est de ne pas considérer qu’une personne en situation de handicap ait les mêmes réflexes que la population générale. Une personne handicapée, c’est nous ; avec un accident ou une maladie. Cela veut dire les mêmes envies, les mêmes motivations mais aussi les mêmes freins, facteurs de démotivation et appréhensions.

Pour les personnes en situation de handicap, le premier pas vers l’activité physique, c’est leur capacité à sortir de chez elles. C’est un frein que les différents acteurs - notamment les territoires - doivent contribuer à lever pour les accompagner à explorer et à utiliser leur environnement proche. Aujourd’hui, 90 % des personnes en situation de handicap qui pratiquent un sport le font seules. Cela laisse imaginer leur difficulté d’accès aux infrastructures sportives encore aujourd’hui. On nous bassine avec la largeur des portes mais l’accessibilité normative n’est pas une accessibilité d’usage, encore plus dans le sport. Oui, il y a une porte qui laisse passer un fauteuil mais quand vous avez deux équipes de para-basket dans le vestiaire, il faut aussi qu’elles puissent se croiser !

Autre frein important : le monde de la santé. Les médecins ne sont pas formés à la pratique du sport des personnes en situation de handicap. Vous êtes paraplégique, vous allez voir votre médecin du sport et lui dites que vous voulez faire du parachutisme ou de l’escrime : il ne saura pas quoi vous répondre. Car les questions suivantes seront : existe-t-il une réserve de pratique ? Quels risques pour ma santé ? Si j’ai besoin d’une aide technique, laquelle est peut-être prescrite ? Est-ce qu’elle est remboursée ? Où est-ce que je peux pratiquer ?…

Le médecin dans son cabinet ne peut pas répondre à toutes ces questions, spécifiques à chaque situation et à chaque discipline. Il faut développer un réseau territorial de référents locaux spécialisés, vers lesquels les médecins puissent orienter les usagers en situation de handicap.

Mais il y a également des perspectives intéressantes, notamment à l’école. Nous avons fait une expérience très riche il y a six mois dans un collège, où 600 enfants valides ont pratiqué une activité physique « para » comme du basket en fauteuil ou du para-tennis de table. Les enfants étaient ravis au point que les profs se sont demandé : pourquoi ne pas faire un cycle de basket en fauteuil au collège ? Maintenant, notre objectif est que dans tous les collèges, il y ait un cycle de para sport pour les valides.

M.C. Je vais compléter sur le premier frein concernant la santé. Combien de médecins demandent à leurs patients : « Vous fumez ? » Tous. « Vous buvez ? » Tous. « Vous faites du sport ? » Personne. Donc, aidez-nous et posez systématiquement la question à vos patients !

Pensez-vous que Paris 2024 va réellement permettre de changer les choses ?

F.G. Différentes études ont montré que l’impact des Jeux olympiques et paralympiques sur la pratique de l’activité physique de la population dans le pays hôte, un an après, est faible. C’est l’effet « soufflé » après le moment « waouh »…

Mais Paris 2024 a au moins deux atouts : la Grande cause nationale 2024 et la perspective d’accueillir les Jeux d’hiver de 2030 pour lesquels les Alpes françaises sont candidates. Cela va créer un continuum et permettre de porter le message dans le temps et éviter que le soufflé ne retombe !

M.C. Tout à fait, et rien qu’en voyant l’implication des villes, des territoires - avec notamment le design et le mobilier actifs - et des entreprises partenaires comme Accor, Allianz, EDF…, qui se bougent et font bouger leurs salariés, je suis optimiste. Les entreprises doivent continuer de nous aider à faire passer le message de l’activité physique en leur sein, notamment à cause des nouvelles modalités de travail. Mais je sens que les choses évoluent dans le bon sens !

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