Fidélisation

Dans un marché de l’emploi bouleversé, les critères de recrutement se modifient. Autrefois mal considérés, les multipotentiels, véritables couteaux suisses de l’entreprise, semblent tirer leur épingle du jeu. Au point de ringardiser les hauts potentiels ?

« On les dit brillants, mais ingérables, avec 100 000 idées à la minute, mais incapables de passer par la voie hiérarchique, épris de liberté ou d’autonomie, allergiques à la routine », rapporte Myriam Ogier. Un portrait qui fait envie ? Coach et auteur de Multipotentiels atypiques - visionnaires, intuitifs, créatifs : les pépites de demain (éditions Eyrolles), elle parle là de talents polyvalents et sans barrière. « 80 % à 90 % ne sont pas identifiés comme tels, poursuit-elle. 15 % à 30 % des actifs le seraient. » Peut-être même davantage encore ! « Naturellement, l’enfant est curieux, commente Sonia Valente, coach professionnelle, experte auprès du Lab by Welcome to the jungle (WTTJ). Mais le modèle éducatif en vigueur en France conduit à enfermer dans une voie. Si on enlevait la pression financière, je doute que beaucoup choisiraient encore la mono-compétence. Le sujet éclate aujourd’hui à la suited de l’évolution du rapport au travail. » Mais la première apparition du terme date de 1972, et de la publication des travaux signés de Ronald H. Frederickson. Le terme s’impose dans l’Hexagone depuis deux ou trois ans.

Big bang.

 La crise sanitaire, désormais, n’incite-t-elle pas à confier les rênes à des managers capables de s’adapter très rapidement ? « Les recruteurs sont encore très souvent pieds et poings liés avec les compétences, précise Didier Pitelet, fondateur de Henoch Consulting, de l’agence MoonPress, entre autres. Dans les comités de direction, vous rencontrez peu de baroudeurs, mais plus des bêtes de course dans leurs domaines. Mais ce profil ne fait plus recette auprès des jeunes générations. La prise de conscience est en marche dans les boîtes. Dans deux ans, ce sera la norme. La poussée des multipotentiels ? C’est le big bang des deux ans à venir. »

Pour peser sur les codes du marché, pour en changer les règles, de nouvelles écuries tentent de s’organiser en communautés. C’est comme cela qu’est né Kmeo. D’une plateforme d’entraide, Julien De Lopez et Jordane Zangueneh en ont fait un cabinet conseils auprès des entreprises. « Ce profil nous correspondait mais on souffrait d’un manque d’informations qui était patent, observe l’un d’eux. D’où l’idée d’aider les multipotentiels à s’adresser aux recruteurs, puis d’expliquer à ces derniers ce que recouvre cette notion, tant que le terme n’est pas totalement généralisé. »

Les petites et moyennes entreprises (PME) auraient une longueur d’avance en la matière. Julien Leclercq cumule les casquettes. Vice-président du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (CJD), il est également directeur général de l’agence de presse Com’Presse et codirigeant d’un restaurant à Lectoure. Pour lui, aucun doute : « La présence des multipotentiels est déjà une réalité dans les petites structures, tient-il à souligner. Ils sont notre bien le plus précieux…. Au point même de nous laisser convaincre quand le projet de recruter n’était pas programmé tout de suite. Nos modèles d’entreprise ont été bousculés ces derniers mois. Des métiers sont morts avec le covid. De nouvelles activités ont dû être développées. La situation exige de la souplesse. »

Guerre pour attirer les profils.

« Les tensions sur le marché de l’emploi sont telles, souligne Sonia Valente, que les entreprises se livrent à une guéguerre pour attirer ces profils-là. Pour être innovantes. » La preuve par les exemples. « Oui, vive les multipotentiels, s’enthousiasme Julie Bertoni, responsable du développement des ressources humaines du groupe Fed, spécialisé dans le recrutement. L’idée de transversalité, on l’a en tête depuis 2019. Quand jusque-là je déployais des formations, l’objectif était toujours pour conduire le collaborateur plus haut. Mais, avec 80 % des métiers de 2030 qui sont encore inconnus, cette conception n’a plus aucun sens. Le monde change ! Combien de fois ce discours est répété ? Que faire de cette information ? Si l’on se concentre sur les compétences d’aujourd’hui, nous n’arriverons pas à suivre l’évolution des métiers, on la subira. »

Le sujet est sur la table également chez Mazars. Depuis la rentrée 2020, le cabinet d’audit et de conseils aux entreprises a créé des parcours hybrides pour offrir l’opportunité aux profils multipotentiels de toucher du doigt plusieurs métiers. « Comment on leur garantit d’alimenter leur soif d’expériences : faire du conseil RSE et de l’audit, ou de l’audit IT et de l’audit financier, par exemple, avec une rotation exprimée dès l’embauche, explique Marine Galéa, responsable développement des talents. Proposer des immersions en start-up fait aussi partie de la réflexion en cours. On ne s’interdit pas de se poser la question. Tout comme l’adaptation du contrat de travail pour leur permettre de développer une activité par ailleurs de sophrologue, de blogueur… Comment l’entreprise compose avec ces profils ? Comment elle en tire parti là pour apporter une valeur supplémentaire à l’équipe ? » 2022 verra-t-elle le modèle de management des grandes boîtes totalement remis en cause ? Réponse dans 12 mois.

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.