Yemanja, l’agence de design spécialisée dans l’aménagement des bureaux, qui compte une trentaine de salariés, a mis en place la transparence salariale dès sa naissance, en 2016. Sa co-fondatrice Marie Vaillant fait tomber les tabous autour de cette question des salaires.

Pourquoi avoir mis en place la transparence salariale ?

L’un des premiers clients pour qui nous avons travaillé a commencé à nous parler d’un modèle d’organisation qui s’appelle l’entreprise libérée. Ça nous a tout de suite intéressés. L’une des clés de ce système organisationnel, c’était justement la transparence en général, la transparence sur la situation financière de l’entreprise, sur ses ambitions commerciales, et aussi, bien sûr, sur les rémunérations. Pour mes deux associés et moi, ça nous paraissait assez évident. Au fil des recrutements, tout le monde connaissait les salaires de tout le monde. C’est quelque chose que Yemanja revendique comme une part intéressante de son modèle. Aujourd’hui, tout le monde sait ce que je gagne, combien le directeur commercial gagne et combien les gens qui font le même métier gagnent.

À titre personnel, le sujet des salaires, c’est un sujet que j’avais beaucoup travaillé dans le passé. J’ai longtemps été directrice administrative et financière, notamment chez Prestashop, qui est un éditeur logiciel. Je considère que j’ai une bonne connaissance sur la négociation de salaire à l’embauche et sur les discussions salariales dans tous les exercices budgétaires chaque année. Nous, on avait envie de tester un modèle plus vertueux, plus sain. C’est difficile d’être satisfait de sa rémunération, et je trouve ça dommage que le fait de demander aux collègues, amis ou proches combien ils gagnent soit encore un sujet tabou. Malheureusement, en France, ça fait partie de notre culture mais ça amène véritablement des discussions intéressantes.

Est-ce que ça ne crée pas des tensions ou des jalousies au sein du groupe ?

À Yemanja, on a tué la suspicion que le patron est méchant parce qu’il veut se payer un maximum et payer un minimum ses employés. Je pense que tout le monde a compris que c’est un sujet beaucoup plus complexe que ça et que c’est très difficile d’avoir une cohérence sur un groupe. Ça a amené chacun à considérer le sujet des rémunérations de manière plus intelligente. Après, la transparence salariale a toujours été présente chez nous. C’est plus facile de le mettre en place dès la création de l’entreprise.

Pourquoi un directeur commercial est plus payé qu’un architecte ? C’est difficile de répondre à cette question, et pourtant c’est important d’y répondre parce qu’elle a été posée. Ce n’est pas toujours facile à justifier. Dans un modèle traditionnel, on sait combien gagne un collègue parce que ça nous intéresse de savoir. Là au moins, on peut comparer nos salaires sans avoir besoin de quémander l’information ou de faire semblant de ne pas être au courant que son collègue est plus payé que nous. On peut dire les choses clairement, sans s’imaginer qu’on est la moins bien payée de la boîte.

Ça crée des discussions qui sont difficiles mais qui ne sont pas conflictuelles. C’est plus difficile pour les gens les mieux payés parce qu’il faut assumer son salaire. Si mon directeur commercial gagne 100 000 euros et que j’embauche un jeune architecte qui sera payé 35 000 euros, il est possible qu’il ne comprenne pas la différence. Il faut que tout le monde soit à l’aise avec son salaire et avec celui des autres. Ça nous oblige à la cohérence et à la vigilance. Si sur un même métier, j’ai deux architectes qui ont le même âge et la même ancienneté, je ne peux pas me permettre d’avoir un trop grand écart au niveau de leur salaire, sauf si c’est vraiment assumé et que c’est une personne qu’il fallait absolument recruter.

Comment définissez-vous les salaires, justement ?

Une fois par an, à la fin de l’année, on discute des salaires qui vont évoluer au 1er janvier de l’année suivante. Quand on est peu nombreux, c’est-à-dire moins de 10, c’est plus facile parce qu’on se met autour d’une table et on en parle librement. Maintenant que nous sommes plus de 10 à Yemanja, on ne peut plus se permettre de tenir ces réunions. Ce serait trop long. Donc on a créé il y a deux ans et demi un comité rémunération de plusieurs salariés volontaires, qui fonctionnent un peu comme un RH dans une entreprise. Leur mission est de regarder la liste des personnes avec leur salaire puis de faire une proposition qui leur semble cohérente pour l’ensemble du groupe. L’objectif, c’est que les employés puissent évoluer. C’est important de donner des perspectives d’évolution.

On souhaiterait passer à un modèle qu’on espère encore plus vertueux mais qu’on n’a pas encore expérimenté. L’idée serait de mettre en place une grille de compétence afin que les salariés puissent s’auto-évaluer et se faire évaluer par leurs pairs, tout en proposant leur rémunération. Dans la théorie de l’entreprise libérée, c’est comme ça que ça marche. Ce qui en ressort par la suite, c’est une grille équilibrée.

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