Si le phénomène du digital nomadism semble encore marginal, depuis le covid, il tente de plus en plus de salariés en quête d’une vie moins sédentaire.

« Le nomadisme devient mainstream », titre MBO Parners, plateforme de sourcing de cadres indépendants, pour sa dernière étude dédiée aux nomades digitaux parue en août (lire encadré). Celle-ci bat en brèche pas mal d’a priori sur le sujet. « Le stéréotype le plus courant représente le nomade numérique comme un routard d’une vingtaine d’années voyageant en solo, branché sur son ordinateur portable dans des bars de plage pendant la journée et faisant la fête la nuit », constate l’étude. Mais cette représentation est erronée estime MBO Partners : « L’âge médian des nomades numériques est de 39 ans, et plus de la moitié (53 %) sont mariés ou vivent en couple. » Plus surprenant encore, un quart des digital nomads américains voyagent avec leurs enfants…

Pour ces nouveaux aventuriers du travail, le confinement lié au covid a généralement joué un rôle de déclencheur. C’est le cas Sev et Mika, Séverine Michel et Michael Detoulet pour l’état civil, qui se sont reconvertis dans la conception de sites web et le community management. À la veille de leur cinquantaine, ce couple de Jurassiens a décidé de larguer les amarres après plus de vingt ans à travailler dans l’industrie optique. Depuis, ils sillonnent les routes de France à bord de leur van aménagé pour partager leur temps entre travail et la pratique du parapente ou du ski de randonnée. « Nous avons décidé de profiter de la vie », résume simplement Séverine. Leurs revenus ont baissé mais, comme ces adeptes de la « slow life » ont aussi diminué leurs dépenses, cela leur suffit.

Les a priori concernant les nomades digitaux sont nombreux. « Mais tu es toujours en vacances ! ». Combien de fois Caroline Delattre a entendu cette remarque. Graphiste et conceptrice de sites web, indépendante et nomade, cette Pyrénéenne préfère désormais être discrète sur son nomadisme. « J’ai choisi ce mode de vie pour la liberté, mais tout le monde n’a pas cette même liberté, c’est donc parfois mal compris ou mal perçu. D’autant que ça peut donner l’image de quelqu’un de dilettante sur lequel on ne peut pas compter », regrette-t-elle.

Or, contrairement à l’image véhiculée, les nomades digitaux doivent être particulièrement rigoureux dans l’organisation de leur temps. « Le client ou l’agence qui te commandent un travail s’en fichent de savoir où tu te trouves, ce qu’ils veulent c’est que le travail soit bien réalisé et rendu à temps », rappelle Caroline Delattre. « Nous venons de l’industrie, nous avons eu l’habitude de travailler avec des process très exigeants », explique de son côté Michael Detoulet, « nous pouvons donc alterner sans problème des périodes en mode dilettante, avec d’autres, en mode hyper concentrés et hyper productifs. »

Revenus irréguliers

S’ils ont choisi une relation au travail atypique et partagent fréquemment des images qui font rêver les salariés sédentaires, « tout n’est pas rose dans la vie d’un digital nomad », alerte Michael Detoulet. Revenus irréguliers, échéances imposées par le client, problèmes de connexion internet (en particulier pour ceux qui ont choisi de vivre leur « nomadisme » sur la route…), isolement au travail…

Mais le nomadisme ne touche plus seulement les indépendants. « Les horizons des travailleurs s’élargissent et la crise a clairement accéléré l’essor du travail à distance, qui prend désormais une dimension de plus en plus internationale », déclare Carlos Fontelas de Carvalho, président France et Suisse du cabinet de ressources humaines ADP dans un communiqué. « Parmi les facteurs les plus importants d’un emploi, notre étude [People at Work 2023 : l’étude Workforce View, ADP Research Institute, octobre 2023] révèle l’importance de la flexibilité des horaires, mais également la flexibilité en termes de lieu de travail. »

« Le télétravail c’est déjà une forme de nomadisme, un jour au bureau et un jour chez soi… ou ailleurs », complète Kévin Duchier, head of people chez Mindflow, une start-up d’automatisation des opérations de cybersécurité. « Nous intervenons dans un marché du travail très pénurique avec une tendance très marquée de départs de talents vers un statut d’indépendant autour de la trentaine. Nous devons donc proposer une organisation du travail qui corresponde à ce que nos collaborateurs souhaitent : télétravail avec un temps au bureau ou full remote (100 % en télétravail) », résume-t-il. Or constate-t-il, ce temps de télétravail est parfois mis à profit pour pratiquer une certaine forme de nomadisme, le plus souvent accolé à des périodes de congés. « Ce qui est important, complète Kévin Duchier, c’est que nos collaborateurs trouvent l’équilibre de vie qui leur correspond et que cela n’impacte pas leur charge mentale », dans un univers de start-up où la charge et l’environnement de travail peuvent être stressants.

Si les nomades numériques sont généralement ignorés des entreprises, ceux-ci disposent de nombreux atouts. Ils sont « hautement qualifiés et dotés d’une bonne connaissance du monde numérique », très largement early-adopters de nouvelles technologies (77 % vs 43 %) poursuit la plateforme de recrutement. Ce sont par ailleurs des collaborateurs qui savent gérer le risque et des contraintes de travail flexibles, travaillant avec un très haut degré d’autonomie. Des atouts incontestables dans un monde du travail en pleine transformation.

Des millennials pour moitié et majoritairement des salariés

Peu d’études ont été réalisées sur les nomades numériques. Depuis plusieurs années, la plateforme américaine de sourcing de cadres indépendants MBO Partners (1) suit cette population aux États-Unis.

Premier enseignement, leur nombre a plus que doublé en deux ans : de 7,3 millions de personnes en 2019 à 15,5 millions en 2021. Depuis, le rythme s’est ralenti, +2 % en 2023 vs 2022, pour atteindre 17,3 millions de travailleurs. Sans surprise, ce sont les pros de la tech qui composent la première cohorte des nomades digitaux (19 %), devant ceux qui travaillent dans le secteur créatif (14 %), la formation (9 %), la finance (8 %) puis le conseil (7 %). Désormais, près d’un nomade digital sur deux est un millennial (47 %), devant la GenX (nés entre 1965 et 1980 ; 23 %), la GenZ (16 %) et les baby boomers (13 %). Cet écart s’est accru entre 2022 et 2023 puisque la part des millennials est passée de 37 à 47 %, tandis que toutes les autres tranches d’âges baissaient.

Mais l’étude révèle quelques surprises. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ce sont désormais les salariés traditionnels qui composent la majeure partie des effectifs des nomades digitaux (10,7 millions). Un rapport qui s’est inversé depuis le covid : en 2019, les indépendants étaient encore majoritaires. Un autre a priori est lui aussi balayé par l’étude : plus de la moitié des nomades digitaux voyagent exclusivement au sein de leur pays, alors que 47 % réalisent quelques voyages à l’international et seulement 10 % passent tous leur temps à l’extérieur des frontières.

(1) Source : Digital Nomads, MBO Parners, août 2023. Étude réalisée aux États-Unis, en ligne sur la base d’un panel de 6575 personnes, dont 1178 nomades digitaux.

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