Fin des silos oblige, le monde des agences et de la communication s’est ouvert aux juristes et avocats. De marché de niche, le binôme du communicant et du professionnel du droit devient tendance.

« À quoi ça sert que l’on fasse encore le métier, nous », interroge l’humoriste Alex Vizorek, dans sa chronique sur RTL, le 20 novembre. Dans sa ligne de mire ? L’interview sur BFMTV de Maître Rémi-Pierre Drai, avocat du sénateur Joël Guerriau, récemment mis en cause par une collègue députée… et qui a évoqué pour sa défense sa tristesse après la mort de son chat. « Je vous avoue être tombée de ma chaise, confie Sophie Lemaitre, ancienne avocate, fondatrice d’AdVocatio, cabinet conseil en prise de parole en public. Il s’est mis dans le coin tout seul. Son intervention n’a pas été pensée. Quand on touche au politique, le sujet fait parler. La communication doit être d’autant plus soignée. » Et, lors d’un bref échange téléphonique, Rémi-Pierre Drai, avocat riche d’une expérience de plus de trois décennies, reconnaît « qu’avoir un éclairage d’un communicant serait bien, surtout au vu des retours sur les réseaux sociaux ».

« Vingt secondes suffisent pour voir l’interview déraper, ou nous échapper », analyse Sophie Lemaitre. D’où le succès des agences « combos » associant communication et droit. La première du genre en France ? Havas Legal & Litigation, créée en 2014, par Stéphanie Prunier, peu après le contentieux Uderzo, entre le père et la fille. « On peut parler de décalage entre les temps médiatique et judiciaire, détaille-t-elle. La presse traite d’un sujet avant que la justice ne passe. Or le droit est dans chaque interstice de la société. »

Les sujets qui « peuvent piquer » se multiplient : cyberattaque, risque d’intrusion, sabotage, plan social ou restructuration d’entreprise, les dossiers en droit pénal des affaires, avec son lot de perquisitions, de gardes à vue ou de mises en examen, les révélations d’agressions sexuelles dans le showbiz… « La crise est devenue permanente, souligne François Lempereur, consultant communication. Et elle est protéiforme. On ne sait pas où elle va arriver. » Qui prend la parole ? Quand ? Qui est le fusible ? Quels sont les éléments de langage ? Notes, observations, conclusions… tout est étudié. « La spécificité ? Anticiper ce que les avocats pourraient considérer comme contre-productif pour la stratégie judiciaire, détaille Anthony Gibert, directeur conseil chez Vae Solis Communications, et proposer une alternative. »

« L’idée n’est pas, là, de manipuler l’expression, ni la justice, commente Guillaume Didier, président France de Forward global, associé DGM conseil, par ailleurs ancien magistrat. Le client a envie de parler. On fait de la pédagogie pour ne pas subir la pression médiatique… Un métier d’expérience », ponctue-t-il. Et, avec Éric Dupond-Moretti ou Nicolas Sarkozy comme clients récents, Guillaume Didier peut faire valoir quelques références, « avec pour obligation de travailler le service après-vente, leur capital réputation. »

La judiciarisation de la société française est en marche. « Compte tenu de l’emballement des réseaux sociaux, les crises ont tendance à se raccourcir en durée, analyse Alexandre Mennucci, avocat au sein du cabinet August Debouzy, à s’étaler sur deux ou trois jours, mais à s’intensifier. Les questions de réputation inquiètent de plus en plus les clients. » Directrice des ressources humaines pendant 25 ans, aujourd’hui à la tête du cabinet PerfHomme, Djamila Nahet raconte : « On n’a pas peur, mais on est conscient du risque. On vit avec cette probabilité. Cela va plus de soi encore quand vous vous appelez Total. C’est moins vrai pour une très petite entreprise (TPE) voire une petite et moyenne entreprise (PME). »

Accélération de l'activité

Havas Legal & Litigation, Vae Solis, Plead Agency, Image 7, Forward Global… ces acteurs de renom, experts de cet alliage un peu particulier, des dossiers qui sentent un peu le souffre, se trouvent tous sur la place parisienne. « Le marché est en train de se structurer, constate Philippe Moreau Chevrolet, fondateur de l’agence MCBG Conseil, qui s’est associé au printemps dernier à l’avocat Jean-Baptiste Soufron, pour créer Kinsugi. De quoi éviter de voir les experts du barreau s’improviser communicants, et inversement. On n’a pas toutes les compétences. » Bien leur en a pris. « Le business se développe plus vite que ce qui avait été anticipé. » À Vae Solis Communications, des recrutements sont réalisés chaque année. « L’accélération du traitement médiatique des procédures judiciaires fait que l’activité se déploie en France de façon nette », constate Anthony Gibert.

La communication n’est pas le seul point faible des cabinets d’avocats, encore aujourd’hui. « C’est une vieille certitude, constate Valentin Tonti-Bernard, fondateur d’Anomia, cabinet conseil en direction exclusive des avocats, tant que les ministères de l’Enseignement supérieur et de la Justice n’auront pas pris le sujet à bras-le-corps… Les cours n’abordent pas les compétences propres aux chefs d’entreprise, comme le management, le recrutement, le marketing… Ces juristes ne sont pas armés. Ils se débrouillent tout seuls. » Cette toute jeune structure a accompagné en quatre ans 900 avocats et 50 des plus gros cabinets de la place nationale, « dont la prise de conscience est adolescente », relève-t-il. Jolie formule. Un marché reconnu comme prospère, une croissance à trois chiffres sur le revenu récurrent, cinq recrutements tout juste effectués… Tout roule pour le tandem.

Trois questions à Carine Paugnat, directrice du pôle formation et colloques chez Lamy Liaisons, société d’édition professionnelle

Que dit la réglementation en matière de formation des avocats ?

Les avocats sont tenus de suivre vingt heures de formation par an. Le Conseil national des barreaux (CNB) priorise la formation technique, avec la mise à jour des textes juridiques. Naturellement. Par ailleurs, ne peuvent être comptabilisées que les séquences dont l’animation est assurée par un avocat – c’est un prérequis. Toutefois, en octobre 2020, un rapport remis au garde des Sceaux proposait de faire évoluer la réglementation, de l’assouplir et permettre ainsi un accès plus facile à des formations en communication, négociation, au coaching… Mais, depuis, rien n’a changé.

Et pour les aspects qui ne sont pas de la technique juridique pure ?

On est au début d’une prise de conscience. L’envie de progresser est perceptible. En même temps, on partait de très loin. Il y a six ans, notre catalogue sur les soft skills avait été lancé. Cela n’avait pas pris. On avait un peu trop d’avance sur le marché. Par ailleurs, la taille des cabinets joue. Beaucoup exercent en solo (35,9 % exactement), et manquent vraiment de temps. Pourtant, les avocats sont de plus en plus présents dans les médias. Résultat : notre offre en matière de soft skills constitue assurément un axe de développement.

Quelles sont les thématiques prisées aujourd’hui ?

Les demandes de formation portent sur les agissements sexistes, sur tout ce qui contribue à la cohésion de l’équipe, dans un métier très individuel, la médiation, la communication… Les avocats n’ont aucun background en marketing, par exemple. Comment ils se font connaître ? Comment ils se présentent sur LinkedIn… Il y a un marché. Notre plateforme de formations en ligne va bientôt s’étoffer.