Plus de trois ans après son entrée fracassante dans la vie des entreprises, le télétravail est questionné. Va-t-il perdurer ? Dans les conditions actuelles ? Focus sur un sujet qui devrait alimenter le débat en 2024, et 2025, non stop.

« Nous, on fait quoi ? On continue d’avoir peur de dire aux gens qu’il faut revenir au bureau ? […] Je ne suis pas là pour être populaire ». Bribes de l’interview d’Arthur Sadoun, patron du groupe Publicis, sur Le Figaro TV, dans Esprit d’entreprise, le 20 novembre. Est-il allé trop loin ? « Aucune remise en cause du télétravail au sein du groupe Publicis, tient à préciser Valérie Rudler, directrice du marketing et de la communication. C’est une mauvaise interprétation ». Toutefois, les propos du président du directoire, qui démontrait que les géants de la tech faisaient rentrer au bureau leurs collaborateurs pour préserver leurs capacités d’innovation, ont mis le feu aux poudres. Et on voit poindre l’expression « télétravail bashing ».

Plus de trois ans après son adoption brutale, le télétravail alimente donc toujours le débat. « Télétravail : vers la fin de l’open bar », titrait Le Monde fin octobre. « C’est marrant de voir comment les médias s’emparent d’un épiphénomène, commente Caroline Diard, professeur associé à Toulouse business school (TBS). Les interrogations actuelles sur le maintien du télétravail sont parties des États-Unis. Le sujet est à prendre avec des pincettes. »

Le retour au bureau ? C’est le cas pour les salariés de Disney, Meta, Microsoft, Twitter ou bien encore Zoom outre-Atlantique, après des années en « full remote » [à distance à temps complet]. « L’habitude veut que les États-Unis aient toujours un peu d’avance, mais l’adoption en France n’a pas été identique », analyse Flavien Chantrel, directeur de la communication d’HelloWork, groupe qui accompagne toutes les étapes de la vie professionnelle. Agence spécialisée dans les stratégies immobilières, Parella a consulté 300 dirigeants et 500 collaborateurs. Si 55 % des salariés ont accès au télétravail, le taux se monte à 69 % en Île-de-France contre 50 % en province. Et 62 % se trouvent dans des grosses entreprises, contre 38 % pour les petites structures. Au point pour Doriane Bettinger, directrice people & transformation de Parella de parler « d’un monde à deux vitesses », lié à la taille des employeurs et aux temps de déplacement au travail. « Le sujet est francilien. Notre prisme est biaisé ».

1 596 accords de télétravail ont été signés depuis janvier 2020. La formule la plus courante : trois jours en présentiel, les deux autres en télétravail – à domicile ou dans un tiers-lieu. « Comme pour le poison, c’est la dose qui fait le danger, résume Jean-Hugues Zenoni, directeur du développement de Freelance.com. Le télétravail, on a cru que c’était un non-sujet, poursuit-il, parlant de sa précédente entreprise, OpenWork. Je n’ai pas voulu mettre de règles en place. Résultat : cela a fait perdurer le syndrome du covid. Avec des effets de bord. Finalement, le service commercial a été déstabilisé. »

Quête de sociabilité

La vie au bureau reste très majoritaire. « Le taux de présentiel est de 60 %. Avec la mise en place des ʺhospitalitiesʺ, ce taux peut atteindre les 70 % à 80 %, analyse Séverine Pilverdier, présidente de l’Association des directeurs des environnements de travail et également directrice de l’environnement de Travail de BNP Paribas Real Estate. Jamais, on n’a été à 100 %. Les services donnent envie de (re)venir. » Avec une économie en phase de retournement, la mise en place d’activités récréatives est loin d’être gagnée. Mais les collaborateurs sont aussi en quête de sociabilité avec leurs pairs. Toutefois, le télétravail aurait tendance à progresser. Consultant spécialisé, gérant de Citica, expert Préventica, Pascal Rassat accompagne les entreprises, les collectivités territoriales depuis quinze ans. Et de plus en plus l’univers hospitalier. « On essaie d’aller vers des personnels qui n’étaient pas concernés immédiatement. D’élargir le public a priori moins éligible. Je n’ai jamais vu une entreprise l’arrêter », conclut-il.

L'année 2024 devrait marquer le début de la renégociation des accords de télétravail. À durée déterminée pour la plupart, ils ont été signés pour deux ou trois ans. Et pour les chartes, la décision est unilatérale. « Les salariés pensent que c’est un droit, déplore Jean-François Foucard, secrétaire national CFE-CGC emploi formation, ce qui risque de générer quelques frictions. S’ils veulent être indépendants, il y a un statut pour cela. À force de tirer sur la corde de la productivité, cela risque de péter. » Le ton est donné. La thématique risque d’animer l’année qui se profile. Avec la semaine de quatre jours, c’est le sujet sensible par excellence.

Trois questions à Pierre Calmard, président de Dentsu France (1)

Le télétravail a-t-il un impact sur l’innovation ?

Je m’inscris en faux. Je suis convaincu qu’être bien dans sa tête, dans une profession qui n’a pas toujours été au top, permet d’être plus innovant. Avec la nouvelle génération, on ne peut pas rester attaché à un paradigme qui date du XXe siècle. 90 % des collaborateurs de Dentsu ont opté pour deux ou trois jours de télétravail. Dans les faits, ils reviennent davantage au bureau que ne le précise leur avenant. On aurait pu penser l’inverse. Et selon notre dernière enquête mondiale en matière d’engagement, on a gagné 20 points. En 2023, la France est le premier pays au monde. En 2019, le score n’était pas très bon. On se classait dernier en Europe. Tout le monde y trouve son compte !

Pensez-vous comme Arthur Sadoun qu’il faut entamer une réflexion vers un retour au bureau ?

La position de ce concurrent m’apparaît en totale contradiction avec notre expérience. Ce serait sidérant qu’un acteur majeur du marché revienne à des temps ancestraux, à 100 % présentiel. Ce rappel autoritaire est étonnant. Chez Dentsu, chacun choisit librement depuis un an, avec l’accord de son manager. Mais c’est dénonçable unilatéralement. Sur 1 000 salariés, personne n’est revenu sur cet accord.

Pensez-vous qu’il y a un risque sur l’image employeur du secteur de la communication ?

Non, parce que je réagis pour en redorer le blason. Le bien-être a une incidence sur la productivité des talents.

(1) Il va publier en février, aux éditions Eyrolles, un livre sur l’entreprise harmonieuse.

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