Pour récompenser leurs meilleurs collaborateurs, des PME et grandes entreprises choisissent le voyage incentive : une parenthèse de quelques jours pour se ressourcer collectivement et renforcer l’adhésion à la marque employeur.
Vous avez dit « incentives » ? Cet anglicisme évoque les pratiques managériales destinées à motiver les salariés d’une entreprise à atteindre leurs objectifs - des résultats commerciaux, la plupart du temps, mais les objectifs peuvent aussi porter sur la qualité de service. La carotte au bout du bâton. Néanmoins, « les primes n’aident pas à nourrir un sentiment d’appartenance à l’entreprise, ni même à créer la cohésion au sein des équipes », fait remarquer Chloé Gateau, responsable du développement de l’agence événementielle Wagram & Vous, présente à Paris et Bordeaux, avec un effectif total de 26 collaborateurs.
Ainsi, des entreprises, notamment celles du CAC40, ont pris le pli d’offrir des voyages incentives à leurs collaborateurs (ou franchisés), sans que ces derniers n’aient à poser des jours de congé pour partir. Le but est de les remercier pour leur implication professionnelle. D’une durée moyenne de quatre jours, les voyages incentives s’apparentent à des vacances entre collègues. « Les souvenirs se créent grâce au voyage. En faisant vivre à leurs salariés des expériences incroyables, les entreprises renforcent leur marque employeur et retiennent leurs talents », souligne Alexia Passot, directrice marketing et communication de Wagram & Vous, qui a fait de l’incentive une spécialité avec 30 à 40 voyages organisés par an.
Scénario de séjour
« Wagram Voyages a vu le jour en 1976 avec un service de réservation de billets d’avion et d’hôtels. Les années 80 ont vu l’essor des voyages d’entreprise (séminaires, conventions…) et l’agence Wagram & Vous a été fondée en 1990 », retrace Chloé Gateau. Mais quel est l’intérêt de faire appel à une agence spécialisée dans le voyage incentive ? « La force de Wagram & Vous est sa capacité à ouvrir des portes, tout en respectant le montant alloué », estime Alexia Passot. « Nous créons un scénario du séjour avec des happenings, de l’inattendu. L’idée est que l’émotion monte crescendo et que le voyage génère un “waouh effect” », renchérit Chloé Gateau.
Wagram & Vous a ainsi organisé en mars 2024 un voyage de quatre jours (et trois nuits) à Marrakech pour Extime Duty Free Paris. Sont partis les 60 gagnants d’un challenge organisé par cette société de travel retail. Au programme : campement au milieu du désert d’Agafay, veillée autour d’un fire show et, le lendemain, visite de villages berbères de l’Atlas touchés par un séisme en septembre 2023. Les invités ont été accueillis par une habitante qui leur a servi un thé à la menthe pour un moment privilégié et ils ont découvert l’artisanat local. Ils ont repris la route pour Marrakech où ils ont fait plusieurs visites, dont celle de la Villa Majorelle, et ont dîné au Palais Dar Soukkar. En petits groupes, ils ont pu suivre la préparation d’un tajine ou se relaxer en spa. Le séjour s’est conclu dans la cour d’un riad par un déjeuner au milieu des orangers.
Photos de danseuses balinaises, envols de montgolfières, étals de chapeaux de paille, vues aériennes de lagons bleus… Les plaquettes de présentation des agences événementielles spécialisées dans le voyage incentive font toutes rêver. « On part de la demande du client, de ses envies d’activités et idées de destinations, puis on réalise une étude de faisabilité et on revient vers lui avec une shortlist de pays », explique Alexia Passot. « On prend aussi en compte son historique de voyages pour provoquer la disruption. Par exemple, on peut proposer l’Islande, qui est une destination qui ne laisse personne indifférent, à un client qui a plutôt l’habitude d’emmener ses collaborateurs au soleil », complète Chloé Gateau.
Alexia Passot et Chloé Gateau poursuivent le récit de séjours idylliques, ponctués d’activités récréatives et insolites. Pour un client qu’elles ne peuvent citer, et dont le brief indiquait « voyage en Laponie », Wagram & Vous a proposé un séjour à un prix plus attractif. Le voyage a été organisé en Finlande en mars dernier, pour 60 participants, avec plusieurs temps forts : des promenades en chiens de traîneaux et trottinettes des neiges, un concours de sculpture sur glace et, plus incroyable, une plongée en combinaison dans l’eau gelée préalablement cassée par un bateau brise-glace.
Julien Vaillant, fondateur de Cygne Rouge, revient, lui, d’Athènes où il a organisé mi-mai un voyage pour 130 personnes issues d’un réseau de franchise (la marque ne l’autorise pas à dévoiler son nom dans la presse). « Les clients n’ont pas toujours la notion des prix et ils ont besoin de notre conseil pour rentrer dans leur budget », débute le dirigeant à la tête de l’agence événementielle rennaise Cygne Rouge, qu’il a cofondé en 2017. Les enveloppes du voyage incentive sont très variables, d’après les professionnels de l’événementiel, mais pourraient être de l’ordre de plusieurs centaines de milliers d’euros pour quelque 150 participants : de 200 000 à 500 000 euros pour l’Europe, à partir de 400 000 euros pour des destinations plus lointaines.
« Le voyage incentive représente un quart de notre activité, reprend Julien Vaillant. Mon rôle est d’identifier les bons partenaires à l’étranger car tous n’ont pas les mêmes expertises ni les mêmes tarifs. Nous sommes les maîtres d’œuvre du voyage : nous mettons en face des besoins du client les bons prestataires, puis nous faisons en sorte que tout se déroule parfaitement durant le séjour. » L’agence met en compétition deux ou trois « réceptifs », des prestataires basés dans le pays aussi appelés DMC (destination management companies). L’agence réserve l’avion et la DMC s’occupe des prestations sur place.
« Nous nous chargeons de toute la préparation du voyage avec le client, entre six mois et un an avant le départ, poursuit Julien Vaillant. En général, le séjour se décompose comme suit : l’accueil des participants, la plénière (une prise de parole de l’entreprise), les jeux de teambuilding et, en guise d’au revoir, le dîner de gala. » Les deux associés de Cygne Rouge organisent entre cinq et six voyages par an, en particulier au printemps. « Le voyage incentive est lointain et festif. Le mois de septembre est, lui, réservé aux séminaires de rentrée », ajoute l’expert.
Au sein du groupe événementiel WMH Project (420 collaborateurs), un pôle dédié au voyage incentive existe depuis 2016 et emploie une vingtaine de personnes, réparties entre Lyon et le siège à La Défense. « Parmi nos clients sur le voyage incentive, je peux citer le groupe de fournitures de bureau Lyreco, Dassault System, Renault, Michelin, Axa, Yves Saint Laurent ou encore Dior », présente Marc Fischer, coprésident de WMH Project. Le voyage incentive représente 10 % du business de WMH Project, évalue-t-il. Si le groupe peut organiser des voyages de 30 à 2000 personnes, un voyage type compte en moyenne 200 personnes, d’après le dirigeant.
Évaluer l'empreinte carbone
Deux cents personnes dans les airs. Car pour aller à l’étranger, l’avion reste le moyen de transport privilégié. Un gros poste en termes d’émissions carbone. « On a développé avec FairMoove un scoring des destinations et activités en matière de CO2, explique Marc Fischer. On classe tous les pays du monde au départ de la France en fonction des moyens de transport qui peuvent être optimisés. On regarde également d’autres critères comme la consommation de charbon du pays, sa préservation des forêts et des écosystèmes, les conditions de travail et de rémunération des salariés… » Ainsi, chez WMH Project, chaque fiche destination dispose d’une notation.
La plupart des agences disent évaluer l’empreinte carbone dès le devis. « Deux jours à New York, au client, on sait lui dire “ça, on ne fait pas” », prévient Marc Fischer. Et pour réduire la facture énergétique, WMH Project privilégie les vols sans escale et va jusqu’à regarder le modèle d’avion. Chez Cygne Rouge, on s’attarde surtout sur les destinations accessibles en moyen-courrier. Et chez Wagram & Vous, un voyage mixte entre le train et l’avion peut être la solution adoptée. « On peut aussi privatiser des wagons et créer de l’expérience dès le train », s’enthousiasme Alexia Passot.
Quant aux prestations sur place, les professionnels se montrent regardants envers les réceptifs : l’un cite des safaris en 4x4 électrique, l’autre les repas végétariens. Et tous disent choisir des hôtels qui s’inscrivent dans une démarche RSE : des établissements alimentés à l’énergie solaire, présentant des récupérateurs d’eau ou encore qui ne changent pas les serviettes de bain tous les jours.
« On intègre beaucoup d’activités avec les populations locales, de moments de partage, pour créer du sens au voyage », note également Alexia Passot. Même son de cloche chez WMH Project qui a noué un partenariat avec une école, la Bashay Primary School, en Tanzanie, dont l’entreprise finance trois professeurs. Enfin, toujours dans un souci de réduction de la facture climatique, les entreprises peuvent également envisager de recentrer leurs voyages incentives sur la France. D’autant qu’à partir de 2026, l’affichage environnemental sera rendu obligatoire pour les établissements français hôteliers.