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La communication éthique peut-elle être créative? Est-elle plus efficace? À l'approche de la COP 21, l'auteur et publicitaire Thomas Kolster se trouvait en France pour répondre à ces questions.

On aimerait bien voir à quoi ressemblent ses ordonnances. Blouse blanche, stéthoscope autour du cou, l’homme se grille tranquillement une petite cigarette. «Cet homme est l’un des médecins les plus demandés de la ville. Il est un scientifique, un diplomate, mais aussi un être humain amical, empathique, tout cela à la fois, quelque chargé que soit son emploi du temps.» Et, comme, semble-t-il, bon nombre de ses collègues, ce professionnel de la santé ne conseille qu’une seule marque: «Most doctors smoke Camels» [la plupart des docteurs fument des Camels], telle est la signature de cette campagne, qui remonte à 1946.

Un enfumage en règle exhumé par Thomas Kolster, patron de l’agence Goodvertising: «Rétrospectivement, je trouve ahurissant d’avoir pu créer de telles publicités, tout comme le “For a better start in life, start Cola earlier!” [Pour un meilleur départ dans la vie, buvez du Coca le plus tôt possible !] et son bébé buveur», tempêtait le publicitaire danois, qui déployait sa haute silhouette dans l’auditorium de TF1 (partenaire de l’événément), le 30 septembre dernier, pour la présentation de l’adaptation française de son ouvrage, Goodvertising. La publicité créative et responsable (Alisio).

Devant un parterre de publicitaires, d’annonceurs ou de représentants d’instances certificatrices comme l’Afnor, l'auteur danois choisissait, en préambule, de démarrer par une douche nordique: «Je déteste 99% des publicités.» Au gré de la conférence, Thomas Kolster martelait cette phrase fameuse, attribuée à Spiderman… ou à Voltaire, c’est selon: «Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités.» Allant jusqu’à exhorter la salle à scander «We are a part of the problem, we want to be a part of the solution [Nous sommes une partie du problème, faisons partie de la solution]

L'ombre de Volkswagen

En arrière-plan de l’événement le scandale Volkswagen, en ligne de mire la prochaine COP 21, et dans le rétroviseur le Grenelle de 2008. «En France, au moment du Grenelle de l’environnement, la profession n’a guère été épargnée, très culpabilisée par les ONG», se souvient Gildas Bonnel, président de l’agence Sidièse, traducteur du livre de Thomas Kolster et responsable du développement durable à l’AACC (Association des agences-conseils en communication).

À l’aube de la COP 21 qui ouvrira ses portes du 30 novembre au 11 décembre prochain, «les marques se risquent de moins en moins à faire du greenwashing [utilisation abusive de l'argument écologique], conscientes désormais des risques que cela comporte», selon Valérie Martin, chef du service de la communication institutionnelle et de l'information des publics de l'Ademe (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie). À cet égard, le défaut d’informations ne constitue plus une excuse recevable. L’Ademe publie ainsi sur son site une plateforme de communication responsable, conçue avec l’Union des annonceurs (UDA) et le cabinet Ethicity.

Tous les annonceurs ne sont pas égaux face à la communication responsable. «Nous avons un gros travail à effectuer auprès des petits annonceurs, souligne Valérie Martin. L’étude Ademe-ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) “Publicité et environnement” montre que plus aucune grande marque n’est contrevenante», remarque Gildas Bonnel. «Les principaux problèmes, on va les trouver chez le concessionnaire de Montluçon qui reprend des publicités étrangères dans lesquelles une voiture est montrée dans la nature, par exemple –chose interdite en France…»

Tendance à la transparence

Du côté des «grandes» marques, certains secteurs sont notoirement en avance: «Les produits liés à l’hygiène comme Dove ou Body Shop ont depuis longtemps négocié le virage durable. Et même des stars hollywoodiennes, comme Jessica Alba qui a lancé sa marque bio Honest», souligne Elizabeth Pastore-Reiss. La directrice-fondatrice d’Ethicity décèle une autre tendance, la transparence: «le “Venez vérifier” de Fleury Michon vise à recréer un lien avec le consommateur».

Thomas Kolster, lui, cite en exemple absolu P&G avec sa campagne «Like a girl». «Une initiative à applaudir de la part de ce géant de la grande consommation. Les remarquables campagnes pour la chaîne de restauration rapide Chipotle, tout comme le Lion à Cannes du Columbian Ministry of Environment, montrent bien que la communication peut être à la fois responsable et excitante créativement.»

Pas d'outil de mesure

Et aussi efficace commercialement? C’est là que le bât blesse. «Ce que nous déplorons, soupire Dominique Candellier, directrice communication et développement durable de l'UDA, c’est qu’il n’existe pas de mesure d’efficacité de la publicité responsable, même si tout le monde perçoit bien qu’elle est source de création de valeur. Inversement, l’absence de responsabilité est immédiatement sanctionnée, à l’instar de Volkswagen et de sa dégringolade en bourse.»

Comme le rappelle Thomas Kostler, Keith Weed, patron du marketing et de la communication marque d’Unilever, ne déclarait-il pas lors des derniers Cannes Lions«que les marques “durables” du groupe –Dove, Ben & Jerry’s– grandissent deux fois plus vite que les autres marques d’Unilever»?

«Existe-t-il des preuves que le développement durable permet de vendre? Absolument», lançait Keith Weed lors de son allocution cannoise, «et cela va être de plus en plus le cas. Mais nous avons besoin d’adapter nos business modèles. Nous devons rendre la responsabilité “mainstream”». Mais pour que les lignes continuent à bouger, comme l’admet Elizabeth Pastore-Reiss, «il faut continuer à répéter, répéter, et répéter encore». Même la communication durable requiert les bonnes vieilles recettes de la pub.

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