«Redonner du souffle et de l’air à la compagnie.» Le discours de Jean-Marc Janaillac, PDG d’Air France-KLM, n’était pas exempt d’un certain lyrisme lors de la présentation du nouveau plan stratégique du groupe, le 3 novembre dernier, à l’occasion du comité central d’entreprise (CCE). «Trust together» [La confiance, ensemble], tel est le nom du plan de vol d’Air France-KLM. Un signal d’apaisement, après, notamment, la grève estivale des personnels navigants commerciaux (PNC) qui a coûté 90 millions d’euros au groupe.
Avec, à la clé, une annonce de taille: la création d’une compagnie long-courrier à bas coût, d’ici à 2020. Du vol longue distance à prix réduit, voilà qui paraît de prime abord relativement original. Pourtant, selon les experts de l’aérien, l’expérience n’a rien d’inédit. «Dans les années 2000, Air Asia a lancé Air Asia X, des vols Kuala-Lumpur Paris ou Kuala-Lumpur Londres à bas prix. La compagnie islandaise Wow Air propose des vols long-courriers low cost avec des arrêts en Islande pour le ravitaillement carburant. Norwegian, quant à elle, propose du Paris-Los Angeles dans des avions ultramodernes –des Boeing 787», relève Emmanuel Combe, professeur à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), spécialiste de l’aérien et auteur de Le Low Cost (éditions La Découverte). Christian Schmidt, professeur à Paris-Dauphine et spécialiste du domaine aéronautique, évoque quant à lui «Air Caraïbes, une compagnie française qui a lancé en 2016 French Blue, son long-courrier bas coût».
Low cost ou prix réduits? La différence est subtile –mais néanmoins de taille. Chez Air France, on insiste: la nouvelle offre, répondant au nom de code Boost, ne sera pas une compagnie low cost. Les appareils ne comporteront certes pas de première classe, mais une classe affaires dans les standards de confort de KLM. Quoiqu’il en soit, si Air France refuse d’employer le terme «low cost», elle doit bel et bien faire face à l’offensive des compagnies à bas coût, Easy Jet et Ryanair en tête, sur les court et moyen-courriers. Pour ce qui est des vols plus longs, selon Emmanuel Combes, «les clients sont prêts pour le low cost. Les vols à bas coût n’ont plus l’image de produits dégradés, c’est la notion d’option payante qui prédomine. Ce qui choque, aujourd’hui, ce sont les vols “all-inclusive”: les passagers se demandent ce pour quoi ils payent exactement…».
Concurrence du Golfe
Comme prise en tenaille… Air France-KLM doit, en plus du low cost, faire face à de redoutables concurrents: les transporteurs du Golfe sur les long-courriers. «Les compagnies du Golfe sont moins chères, notamment parce qu'elles bénéficient d'un avantage de localisation, un hub à mi-chemin entre l'Ouest et l'Asie», précise Emmanuel Combe. Vols plus économiques, service aux petits oignons… La séduction des Emirates, Etihad et autres Qatar Airways est indéniable. En 2014, le directeur général délégué d'Air France, Bruno Matheu, ne rejoignait-il pas Etihad pour occuper le poste de chief operating officer?
«Air France, c’est un peu comme Renault: une marque patrimoniale qui ne peut décemment se laisser concurrencer. Même si le marché n’a jamais été aussi intense, entre guerre des prix et essor de services premiums», résume Marc Drillech, directeur général de Ionis Education Group et auteur de «Brand Success» (FYP Éditions). Une analyse partagée par Elisabeth Coutureau, coprésidente de l'agence Clai et présidente de la délégation corporate de l’AACC: «Le problème des compagnies aériennes, c’est que l’on est passé d’un marché captif à un marché sous tension. Dans ce contexte, le lancement d’une nouvelle compagnie, plus compétitive, me paraît plutôt judicieux.»
Mais quelle sera la place de cette nouvelle marque, pour l'heure baptisée «Boost», comme «renforcer», mais aussi comme «augmenter»? Augmenter le nombre de marques au sein du groupe –inconsidérément? «Pour moi, cela entraîne un enjeu de portefeuille de marques, lâche Brice Auckenthaler, directeur associé chez Tilt Ideas. Air France, Hop! [vols intérieurs], Transavia [low cost] et maintenant Boost? Ça va commencer à faire beaucoup de marques, avec d’importants moyens marketing à déployer pour ce nouveau lancement… Comment vont-ils gérer cette complexité? Est-ce bien judicieux?»
Problématique RH
Pour Christian Schmidt, la stratégie est justement tout sauf hasardeuse: «Derrière cette création, on trouve l’histoire de la politique interne d’Air France avec ses pilotes et ses PNC. D’un côté, on garde les pilotes –le groupe le plus revendicatif et organisé sur le plan syndical– sous statut Air France, de l’autre, on peut recruter les PNC à l’extérieur, alors que les personnels navigants sont vent debout contre les low cost…»
Une problématique RH qui se double, selon Marc Drillech, «d’une nécessité d’épargner la marque principale, Air France, synonyme de l’art de vivre à la française, celle qui est mise en scène dans les campagnes de BETC». Elisabeth Coutureau, elle, rappelle «les différentes marques de la SNCF, qui jouent non seulement sur les gammes de prix mais aussi le matériel y afférent: TGV, TER, Ouigo… Les stratégies de transports ne sont plus binaires, avec d’un côté la marque historique et de l’autre le low cost… ». C’est d’ailleurs sans doute un symbole: il semblerait que la marque de long-courriers à bas coût d’Air France-KLM comporte, dans son appellation définitive, le prestigieux nom d’Air France…
Quand Boost déploiera ses ailes
La future compagnie aérienne, «compagnie laboratoire d’Air France», selon le PDG d’Air France-KLM Jean-Marc Janaillac, vise «une clientèle business et tourisme». La compagnie sera bâtie «sur le même modèle que Transavia» –sans en porter le nom. Elle devrait exploiter «30% de destinations nouvelles et 70% de lignes déficitaires», lesquelles représentent 35% des lignes desservies par le transporteur aujourd’hui. Sa flotte comptera dix appareils d’ici à 2020.