stratégie de marques
Le groupe veut se développer sur un nouveau marché alliant alimentation et santé. Il se dote d'une filiale ad hoc et ouvre un institut.

La conférence de presse du 27 septembre organisée à Lausanne par Nestlé s'annonçait, selon les propres termes du groupe, comme hautement «stratégique». Quelques jours avant l'événement, les rumeurs sont donc allées bon train. Nestlé allait-il faire une déclaration sur sa participation dans L'Oréal? Allait-il signifier le rachat du spécialiste des produits halal Isla Délice ou la nomination d'un nouveau chef de la division nutrition?

Finalement, rien de tout cela. Mais les observateurs n'ont pas été déçus. Le géant suisse de l'agroalimentaire a en effet annoncé la création de Nestlé Health Science et du Nestlé Institute of Health Sciences. L'initiative vise carrément à investir «une nouvelle industrie entre alimentation et pharma [sic]» en vue de prévenir et traiter, via une nutrition personnalisée, des problèmes de santé comme le diabète, l'obésité, les maladies cardio-vasculaires et la maladie d'Alzheimer, «dont les répercussions pèsent sur la pérennité des systèmes de santé mondiaux», rappelle fort opportunément le groupe.

La nouvelle filiale Nestlé Health Science, qui sera opérationnelle en janvier, s'appuiera sur l'activité actuelle de Nestlé Healthcare Nutrition (1,6 milliard de francs suisses de chiffre d'affaires en 2009, soit 1,2 milliard d'euros). Le Nestlé Institute of Health Sciences, quant à lui, est destiné à devenir «un institut des sciences de la santé de classe mondiale». Le groupe prévoit d'y consacrer plusieurs centaines de millions de francs suisses dans les 10 prochaines années. 

Nestlé, qui investit 1,6% de ses ventes en recherche et développement, compte 17 centres de recherche et 3 500 personnes affectées à cette activité, n'arrive pas en novice sur ce marché. Présent dans la nutrition santé depuis 1986, il a acquis ces dernières années plusieurs sociétés dans ce domaine dont Novartis Medical Nutrition et Vitaflo. Autant dire que le groupe prend une longueur d'avance sur ses concurrents, à commencer par Danone, qui a pourtant repris en 2007 Numico, spécialisé dans la nutrition médicale.

Mais le groupe français semble avoir mis un bémol à ses prétentions, notamment en matière d'alimentation grand public. Danone, qui avait annoncé au printemps le retrait dans ses campagnes de toute allusion aux bénéfices pour la santé de ses produits Activia et Actimel, a déclaré le 11 septembre qu'il ne lancerait finalement pas en France sa marque de yaourt Densia censé solidifier les os grâce à une composition riche en calcium et en vitamine D. 

 

 

Avis d'experts

 

Béatrice de Raynal, nutritionniste, Nutrimarketing

 

Oui

 

«Nestlé a intérêt à aller sur le marché des aliments fonctionnels infantiles, médicalisés, etc., dont la valeur ajoutée est forte et offre de meilleures marges que le secteur alimentaire grand public. D'autant que, sur ce marché, les produits sont de moins en moins adaptés aux attentes des consommateurs. Les apports du secteur de l'alimentation fonctionnelle peuvent être intéressants pour Nestlé en matière notamment de nutrigénomique, l'étude de l'interaction entre les gènes et les nutriments. Mais il ne faut pas attendre de résultats économiques rentables à court ou même à moyen terme. En fait, il s'agit surtout pour Nestlé d'un atout marketing et d'image.»

 

Olivier Andrault, chargé de mission alimentation et nutrition à UFC-Que choisir

 

Non

 

«Il est tout de même paradoxal, pour ne pas dire incohérent, qu'un groupe comme Nestlé investisse dans la nutrition clinique alors que nombre de ses produits alimentaires à forts taux de sucres et de gras contribuent activement à des maladies comme l'obésité. Chocapic, pour ne prendre que cet exemple, contient 37% de sucres… Tout est dit! Nestlé n'a pas vocation à développer des aliments médicaux. Il ferait mieux d'améliorer drastiquement la qualité nutritionnelle de ses produits grand public notamment pour les enfants. Comme l'ensemble des industriels du secteur, Nestlé devrait enfin adopter un marketing responsable en direction de cette population.»

 

François Guillon, professeur à LaSalle Beauvais (1) et président de l'Institut pour la recherche en marketing de l'alimentation santé (Iremas)

 

Oui

 

«S'il y a bien une société alimentaire qui est en position de le faire, c'est Nestlé. Dans l'alimentaire, on est encore très loin des coûts de R&D des laboratoires pharmaceutiques (15 à 20%) mais Nestlé, depuis des années, est le groupe qui est le plus gros acteur de la recherche dans l'agroalimentaire privé. D'autre part, Nestlé vend déjà de la nutrition clinique via des produits hyperprotéinés. Au fond, cette annonce n'est qu'un pas de plus pour un groupe qui souhaite devenir une “Health and Well Being Company”. Les retombées en termes de valeur ajoutée et d'image devraient aller bien au-delà des conséquences de tel ou tel échec partiel dans l'un des segments visés.»

 

J ean-Noël Kapferer, professeur à HEC, spécialiste des marques

 

Oui

 

«Le but de Nestlé est la création de valeur pour l'actionnaire. Pour cela, il faut trouver des segments en croissance et en même temps rentables. Or le diabète explose (+40 % entre 2001 et 2007 en France). L'obésité est une pandémie mondiale, les maladies cardio-vasculaires sont la première cause de mortalité dans le monde. Par ailleurs, la Chine et l'Inde seront les pays les plus touchés par la maladie d'Alzheimer. Investissant sur la recherche, Nestlé mettra sur le marché des innovations cautionnées par la marque mondiale de la confiance alimentaire. Danone pourra-t-il suivre? Il vient d'abandonner toute prétention à de vraies promesses de santé. Il reste Sanofi Aventis.»

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