Dans le domaine de l'alimentation et des boissons, des marques mettent en avant ce que leurs produits ne contiennent pas, plutôt que leurs aspects positifs. Une tendance qui correspond à une époque de crises alimentaires à répétition.

L'époque serait-elle à l'hyperlitote ? Pour vanter les mérites d'un produit, on met désormais en avant ce dont il est dépourvu. On appelle cela le marketing du «sans». Les gels douche sans parabène, les déodorants sans aluminium, les pains d'épices sans matière grasse hydrogénée et les pâtes à tartiner au chocolat sans huile de palme emplissent les rayons de la distribution. «Ces allégations négatives sont employées au détriment de celles qui sont positives comme “produit naturel”», définit Sophie de Reynal, directrice marketing du cabinet de veille et d'innovation alimentaire Nutrimarketing. Ce “marketing du sans” entretient une certaine peur chez les consommateurs.»

Si ce type d'approche par la négative possède l'avantage d'être accrocheur et efficace dans un contexte de suspicion alimentaire, il ne contribue pas à l'instauration d'une confiance pérenne entre marques et consommateurs. «Cette forme de différenciation par la négative est délétère et destructrice de valeur à terme, estime Serge Michels, vice-président de l'agence de communication Protéines, spécialisée dans la communication santé grand public et en charge de budgets pour Coca-Cola, Mc Donald's et l'UIPP qui rassemble les fabricants de pesticides. Sur la durée, cela ne tiendra pas. Si les industriels enlèvent une molécule à chaque fois qu'elle est condamnée par une organisation non gouvernementale (ONG), on ne sait où nous mènera ce jeu dangereux.»

Ce type de marketing recèle une dose d'ambiguïté, dans la mesure où lorsqu'un élément est mis en scène avec la préposition «sans», sa nocivité est immédiatement sous-entendue, qu'elle soit réelle ou supposée. «Sans conservateur dans la charcuterie, le risque de botulisme que connaissaient nos grands-mères existe, déplore Serge Michels. On oublie le rôle protecteur de certaines substances à cause de ce marketing de la peur.»

L'univers du marketing du «sans» gravite autour de deux pôles principaux que sont la sécurité et l'environnement. Ses deux plus grandes planètes s'appellent la cosmétique et l'alimentation. «Nous incorporons les aliments et nous mettons les cosmétiques sur notre peau, si bien qu'il existe un rapport à l'intime», souligne Serge Michels. En 2013, ce marketing par la négative a brillé à travers ses propres étoiles, l'aspartame, l'huile de palme et le parabène par exemples.

Trois catégories

On pourrait répartir les objets du marketing du «sans» en trois catégories. La première d'entre elles serait celle des additifs nocifs ou supposés tels, comme les arômes et les conservateurs artificiels. «Auparavant, les “sans” portaient sur une famille générique, observe Serge Michels. Depuis quelques années, les “sans” visent des ingrédients en particulier, le bisphénol A, le parabène etc. »

Ensuite, les ingrédients qui existent dans l'alimentation courante et dont l'excès est néfaste pour la santé, comme les matières grasses, le sel et le sucre. «Fleury Michon a été le premier à opérer un marketing du “moins de sel” voici quelques années avec des produits à -25 %, raconte Xavier Terlet, président du cabinet d'études XTC World Innovation, spécialisé dans les produits alimentaires. Mais le sel est un exhausteur de goût et les consommateurs trouvent fade le goût des aliments sans sel, car il faut du temps pour s'y habituer.»

Enfin, les allergènes alimentaires, comme le gluten ou le lactose pour les deux plus importants d'entre eux. Là, règne un paradoxe. On dénombre de 1% à 3 % de Français qui souffrent d'intolérances médicalement constatées, alors que le marché des produits sans allergènes («sans gluten» par exemple) est composé à 90 % par des gens qui ne sont pas intolérants. Deux raisons expliquent ce phénomène. «Les gens trouvent dans la consommation des aliments sans allergènes un bénéfice immédiat, celui du confort digestif», indique Sophie de Reynal. Les facteurs sociaux jouent également. «Actuellement, les enfants ont tendance à être plus allergiques que ceux des générations passées, relate Xavier Terlet. Si un membre de la famille est allergène, toute la famille adoptera ce plus petit dénominateur commun alimentaire. Ce n'est donc pas un marché de niche.» A Paris, un restaurant appelé Noglu et évidemment sans gluten a ouvert ses portes à la rentrée 2012.

Le langage du marketing du «sans» n'est pas uniforme. Plusieurs figures de style sont ainsi employées par les marques agroalimentaires et leurs agences. La plus directe consiste à mettre bien en évidence l'absence. «Sans conservateurs» peut-on lire ainsi sur des paquets de céréales ou «sans colorants artificiels» sur des yaourts aux fruits vendus en grande distribution. L'approche directe n'est pas sans risques, à l'image de l'enseigne Système U et de sa publicité anti-huile de palme (agence TBWA Paris) retoquée par la justice à la demande de l'association ivoirienne des producteurs de palmier à huile. Aux Etats-Unis, certains produits alimentaires comportaient un temps la mention «China Free», autrement dit sans ingrédients chinois, mais cela n'allait pas sans poser de problèmes politiques.

Angoisse alimentaire profonde

Tendance de l'année 2013 dans le domaine des boissons, la mention du «zéro» est une variante plus sophistiquée du marketing du «sans». Après le Coca Zéro, Schweppes a abandonné cette année la mention «light» au profit du «zéro» pour désigner ses produits sans aspartame et sans sucre.

Autre avatar, encore plus pointu, la technique du «positif-négatif» est employée sous de multiples formes. Le fabricant de glaces Häagen-Dazs a commercialisé une gamme appelée Five, en référence au nombre d'ingrédients qu'elle contient (arôme naturel, crème, lait, œufs, sucre). Dans la même veine, le fait de préciser l'origine géographique des produits (confiture d'abricots de Provence ou la mention «ingrédients de France» par Saint-Michel dans sa gamme Cocottes) est aussi un moyen de dire «sans».

En définitive, le marketing du «sans» tente de répondre à une angoisse alimentaire profonde. «Les consommateurs éprouvent un besoin de sécurité et de naturalité dans ce domaine, considère Xavier Terlet. Ils deviennent de plus en plus soucieux de leurs achats de nourriture.» Tandis que monte un sentiment de défiance envers l'industrie agroalimentaire, Sophie de Reynal et Serge Michels insistent sur le rôle joué par des ONG militantes. «Elles adoptent des postures de combat», pense Serge Michels. L'huile de palme, par exemple, a été mise sur le devant de la scène après un clip viral de Greenpeace. «Il a associé l'idée de déforestation à l'huile de palme», explique Sophie de Reynal. Un combat récupéré par des distributeurs français comme Casino et Système U. «C'est un moyen de différenciation pour eux», note Serge Michels.

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