Cycle de conférences consacrées à la communication intégrée, «Integraal» entre dans sa deuxième année, en partenariat avec Stratégies. Les promoteurs du projet, Bertrand Beaudichon (Union des entreprises de conseil et achat média), Bernard Gassiat (Club des annonceurs) et Andrea Stillacci (Association des agences-conseils en communication) expliquent les enjeux de la communication intégrée.

La communication intégrée, beaucoup en parlent, mais peu en font vraiment, en France en tout cas. Quelle est votre définition?

Bernard Gassiat. Pour moi, la communication intégrée, c'est vraiment la communication de demain. Le Club des annonceurs vient de réaliser une étude sur le pilotage de la marque dont je retiens qu'il va falloir faire reculer les frontières de la créativité: la communication, ce n'est plus seulement un film de 30 secondes. C'est une problématique de moyens: comment on articule les différents canaux, le long terme et le court terme, ce qui construit la marque et ce qui fait l'efficacité commerciale, comment on enchaîne ces séquences de manière adaptée, comment on développe des messages cohérents. C'est aussi une problématique de compétences: personne ne les a toutes, nous avons besoin d'un ensemble de compétences pour y arriver, comment les agréger, comment les intégrer, cela fait partie de la réflexion. Enfin, c'est une problématique de méthode de travail et de façon de travailler ensemble, annonceurs et agences.

Bertrand Beaudichon. La communication intégrée, c'est quelque chose à la fois de très simple et qui relève d'un Graal. C'est une organisation tripartite entre l'agence de création, celle de médias et l'annonceur autour d'une idée pour faire vivre celle-ci sur l'ensemble des canaux, pas seulement les canaux classiques: cela peut s'exprimer dans le packaging, dans le point de vente… Une idée de communication intégrée va beaucoup plus loin qu'un dispositif classique de communication. Et c'est surtout, comme l'a dit Bernard Gassiat, une façon de travailler ensemble, un processus de cocréation.

 

Quand on dit communication intégrée, on intègre quoi, précisément?

Andrea Stillacci. On intègre les moyens, c'est-à-dire tout l'espace entre une marque et un individu. On intègre aussi les émotions: je pense qu'une marque doit parler au cerveau, mais aussi au cœur; c'est toujours bien de surprendre les gens à qui l'on s'adresse et d'entrer dans leur vie par des points et des façons différents. Au-delà de l'intégration mécanique, il y a l'intégration émotionnelle. C'est sur ce territoire là que l'on voit les choses les plus intéressantes aujourd'hui.

 

La communication intégrée est-elle présente dès le stade des compétitions d'agences ou s'agit-il plutôt de mise en œuvre?

B.B. Il y a malheureusement très peu de «pitchs» qui donnent l'occasion de produire une communication intégrée. C'est une habitude très franco-française que de séparer les volets publicité et médias lors des compétitions. Au fond, cela n'a aucun sens et cela donne des pitchs médias souvent assez ennuyeux et des pitchs créatifs vides de mise en œuvre. Séparer les deux ne durera pas. On est tous absolument convaincus que dans, disons, trois ans, cette séparation n'aura plus de sens.

 

L'idée de communication intégrée repose sur un langage et un fonctionnement communs entre annonceurs et agences. Est-ce réellement le cas aujourd'hui?

B.B. On est de plus en plus dans une réalité fonctionnelle. Si la communication intégrée est un Graal, c'est d'aller chercher tous les points de contact efficaces pour faire vivre l'idée créative. Avec l'explosion des points de contact – jusqu'à cinquante-huit par jour et par personne – et la complexification du paysage médias, l'agence médias a pris un rôle plus important de sélection et d'orchestration des bons points de contact.

B.G. Il faut surtout trouver un sens commun, ce sens qui est défini par la marque et qui permet d'accompagner le changement de l'entreprise. La marque est centrale dans la mesure où elle agrège le sens et les moyens. Mais vous avez raison, il y a des enjeux autour du mieux travailler ensemble et de l'organisation en silos, tant chez les annonceurs que chez les agences. Mais c'est aussi une question de mentalité, d'état d'esprit. On a nous-mêmes à nous gendarmer par rapport à nos cultures et nos habitudes pour changer. Aujourd'hui, personne n'a toutes les compétences, mais on a tous un périmètre de responsabilité directe. Or quand on doit porter la marque, on doit le faire bien au-delà de ce périmètre car celle-ci doit irriguer l'entreprise. Sauf que je ne suis pas le dirigeant de l'entreprise, le directeur des ressources humaines, le directeur du réseau… Je dois donc pouvoir exercer une influence constructive, et non pas manipulatrice, pour faire passer mon message de marque. Cette idée, les annonceurs doivent aussi trouver comment la rendre opérante avec leurs partenaires. Nous avons besoin d'agréger les meilleures compétences possibles et pour cela de donner un sens à nos partenaires; il nous faut créer les conditions d'une écoute chez eux et d'un partage. C'est facile à dire, mais plus difficile à faire. On a encore beaucoup d'étapes devant nous, mais je constate que nous sommes tous dans une phase de prise de conscience de l'importance de ces enjeux.
A.S. Le travail des annonceurs devient de plus en plus difficile. Ils doivent gérer la présence de la marque et la force de l'idée. Au-delà des architectures, des intelligences, de la meilleure façon de travailler qui sont des objectifs pour trouver la meilleure dynamique, il ne faut jamais oublier la force de l'idée. Prenez les papes Benoît XVI et François, et imaginez-les comme des «idées». Les points de contact sont les mêmes, le message est le même, le public est le même, la marque est la même, mais les deux idées ont un «pouvoir de communication» différent: l'un est de niche, l'autre est global. L'intégration est la meilleure façon de créer du sens, de la conversation de marque, mais la «machine» sera toujours plus forte si l'idée est plus forte.
B.G. La marque, c'est la force d'une idée, d'accord. Mais qu'entend-on par idée? L'idée doit être suffisamment haute pour irriguer et pour se transformer en attitude, y compris pour les salariés d'une entreprise qui vont l'exprimer sur le terrain. Si l'on crée un écart trop grand entre ce qu'on donne à voir en communication publicitaire et la réalité de ce que les gens vivront sur le terrain, on se trouvera alors dans un effet de ciseaux redoutable. C'est encore plus vrai depuis l'apparition des réseaux sociaux. Sans marque ni idée fortes, il est clair qu'on ne peut pas fédérer. Mais la capacité à fédérer, à irriguer la marque à tous les niveaux de l'entreprise est un enjeu essentiel.

 

Qui est le chef d'orchestre dans la mise en musique de la communication intégrée ?

B.G. De façon tout à fait claire, c'est l'annonceur. Il y a différents types d'organisation et de besoins dans les entreprises, mais ce qui est certain, c'est que la communication intégrée, la diversité des points de contact font se rapprocher la marque du cœur des enjeux de l'entreprise. La marque est de moins en moins périphérique, de plus en plus stratégique. Il devient de plus en plus essentiel pour l'annonceur de maîtriser cela. J'ajoute qu'il n'y a que lui qui puisse véritablement maîtriser, au-delà de la communication, la façon dont cela se répercute à tous les niveaux de l'entreprise. C'est à l'annonceur de capter, d'agréger et d'orchestrer les meilleures compétences, à lui la responsabilité de bien répartir les rôles entre ses partenaires et de respecter chacun, d'établir des règles claires, de ne pas brider la valeur ajoutée des uns et des autres. Si mon agence médias a une idée intéressante sur le plan créatif, si mon agence créative a une idée intéressante sur le plan des médias, je ne vois pas pourquoi je m'en priverais.

A.S. Il ne faut pas être naïf: c'est l'annonceur qui paye! Imaginez que vous construisiez votre maison de campagne, quelqu'un va-t-il demander: “Qui est le chef d'orchestre de votre maison de campagne?” La marque, c'est la maison de l'annonceur. A lui de choisir les meilleures personnes qui travailleront de façon intégrée.
B.B. La communication intégrée est clairement une façon de travailler ensemble où l'annonceur est dans un rôle de chef d'orchestre et de définisseur de règles. Il fait travailler l'ensemble de ses partenaires de communication au service d'une idée commune et d'un résultat commun. Il y a celui qui conçoit l'idée, celui qui la produit, celui qui la met en œuvre. Il faut que la répartition financière de la valeur soit clairement et correctement faite, et que chacun des corps de métier soit respecté par l'annonceur dans son rôle et dans son savoir-faire, avec une droit de primauté quand il s'agit de son domaine de compétence. Cela, c'est le rôle d'arbitre de l'annonceur.

 

Jusqu'à présent, les cas présentés dans le programme «Integraal» sont internationaux. Est-ce une volonté de votre part? N'y a-t-il pas un cas français susceptible d'être présenté?

A.S. Si, bien sûr. En France, les choses se sont améliorées depuis deux ans, la communication progresse. L'objectif est d'avoir des cas français, mais on ne doit pas «sentir la vente».

B.B. Je dirais que des cas aussi aboutis en France que ceux de Wieden&Kennedy et du Guardian, qui ont été présentés dans le cadre d'«Integraal» l'an dernier, ne sont pas faciles à trouver. Dans le cas du Guardian, c'est d'abord et avant tout un annonceur qui ose. Cette prise de risque, on n'en a pas l'équivalent en France. Pour Wieden&Kennedy Amsterdam, avec leurs campagnes pour Nike ou Heineken, ce sont des exemples où la communication devient presque du cinéma, c'est du vrai «storytelling».
B.G. Je sens pour ma part un bouillonnement, actuellement. En un an, l'évolution de mon métier d'annonceur, le travail réalisé en «brand content» et en architecture de moyens, le temps qu'on y passe, au regard de la situation d'il y a dix-huit mois, tout cela est très important. Ce n'est pas toujours très facile car, les uns et les autres, on essuie les plâtres de nouvelles productions. L'intérêt de l'international, ce n'est pas de se dire qu'on est nuls en France, c'est la possibilité de sortir du cadre, de penser autrement, de repousser les limites de la créativité.
A.S. Wieden&Kennedy, The Guardian… On a commencé par le plus facile, le best of. Mais «Integraal» n'est pas uniquement destiné à célébrer un cas remarquable ou à passer deux heures dans les coulisses d'un projet exceptionnel. Après tout, pour voir les meilleurs cas intégrés, rien de plus simple: je clique «integrated» sur mon moteur de recherche et j'ai tous les palmarès. Avec la Fabrica [l'agence intégrée de Benetton], on va aller un peu plus loin. Nous verrons d'autres façons de voir le métier, l'intégration, le dialogue avec les annonceurs. C'est un terrain de jeu inattendu. Dans le même esprit, j'aimerais beaucoup qu'on parvienne à consacrer une matinée «Integraal» au thème «intégration et data».

 

 

La machine Fabrica

Après Eric Quennoy et Mark Bernath, directeurs de la création de l'agence Wieden&Kennedy Amsterdam, en mars 2013, puis Richard Furness, directeur du marketing de The Guardian, en juillet, le troisième rendez-vous «Integraal» aura lieu mercredi 15 janvier, de 8h30 à 10h30, autour de Gianluca Pastore et de Sam Baron, respectivement directeurs de la communication et de création design du groupe Benetton, qui s'exprimeront sur Fabrica, le laboratoire d'innovation et de tendances de la marque de prêt-à-porter.

Renseignements: www.integraal.net

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