mécénat
Ancien directeur du musée d'Orsay puis du Louvre, aujourd'hui conseiller d'Etat, Henri Loyrette a pris en octobre dernier la présidence de l'Admical, association de promotion du mécénat d'entreprise. Ses premières impressions et son plan de bataille pour les mois à venir.

Quel regard portez-vous sur l'état du mécénat aujourd'hui?
Henri Loyrette.
J'ai pu voir le développement du mécénat en France. Lorsque j'étais au musée d'Orsay, le mécénat était déjà dans l'air, mais il était alors très controversé. Jacques Rigaud [fondateur de l'Admical] a joué un rôle déterminant dans son implantation et son acceptation. Il faut se souvenir que jusque dans les années 1990, il était considéré, du côté des institutions, comme illégitime entraînant des dérives commerciales, pas loin du blanchiment d'argent sale. Du côté des mécènes aussi cela à beaucoup évolué, on est passé du caprice du patron à un vrai projet d'entreprise. Tout cela s'est finalement passé dans un laps de temps très court. Un développement considérable notamment avec la création en France des dispositifs fiscaux en faveur du mécénat que je considère comme les meilleurs au monde. D'ailleurs, pour ma part concernant le débat sur la baisse des subventions publiques aux établissements culturels, je n'ai jamais parlé de désengagement de l'Etat, car ce que les pouvoirs publics ont supprimé en subventions, il l'ont redonné en dispositifs fiscaux. Du coup, le retard que nous avions en matière de mécénat a été largement rattrapé: un tiers des entreprises françaises font aujourd'hui du mécénat, ce qui représente un budget de près de 2 milliards d'euros.


Que vous a inspiré justement le débat en 2012 sur une éventuelle réforme des dispositifs fiscaux existants?
H.L. 
L'Etat doit être stable dans la façon dont il considère le mécénat. L'agitation en 2012 autour du mécénat, présenté comme une niche fiscale, a été très déstabilisatrice. On a d'ailleurs remarqué que 25% des PME ont baissé leur budget mécénat en 2013. Ce sont les plus touchées par l'instabilité, ce qui est très dommageable au mécénat dont elles sont les forces vives (93% des entreprises mécènes sont des PME). La stabilité du cadre fiscal est primordiale. Sur ce dossier, le travail de l'Admical a d'ailleurs été admirable.

Quels sont les dossiers sur lesquels travaille actuellement l'Admical?
H.L.
Longtemps le mécénat a été réservé principalement aux entreprises du CAC 40. Il nous faut donc développer davantage le mécénat des PME d'autant qu'il y a un appétit de ce côté là. Il y a des mesures à faire progresser. Par exemple, la limite de 0,5 % du chiffre d'affaires imposée par la loi pour pouvoir réduire l'impôt sur les sociétés à hauteur de 60 % des montants engagés dans le mécénat est un frein pour les PME. C'est pourquoi l'Admical propose une franchise de 10 000 euros au-delà duquel pourrait s'appliquer le seuil de 0,5%. Cette proposition est d'ailleurs favorablement accueillie. Notre action en faveur des PME passe aussi par une plus grande régionalisation de notre action. L'Admical est encore trop parisienne et très centrée sur les entreprises du CAC 40. C'est pourquoi nous allons nous engager davantage pour développer un mécénat de proximité autour duquel il existe une forte attente et ce, pour commencer, sur deux régions test: le Nord-Pas-de-Calais, où il existe une tradition entrepreneuriale et de mécénat notamment social et le Poitou-Charentes.

D'autres chantiers sont en cours?
H.L.
La philanthropie est un autre chantier prioritaire de l'Admical. Il ne faut pas en effet négliger le mécénat privé des entrepreneurs qui n'est plus le seul apanage des pays anglo-saxons. Nous entamons une grande démarche de sensibilisation et d'accompagnement des entrepreneurs au mécénat privé. Une autre question sur laquelle nous travaillons est l'international où nous pouvons apprendre des choses d'autres pays. Mais notre cadre légal en matière de mécénat par exemple peut également être présenté comme exemplaire à l'étranger.

Quelle est l'évolution des actions menées selon les différents domaines investis par le mécénat?
H.L.
Dans un contexte de crise, ce sont les actions sociales, choisies par 36% des entreprises, qui représentent la plus grosse partie du budget (43%, soit 817 millions d'euros). Quant au mécénat culturel qui avait fléchi à un moment donné, il est reparti à la hausse et représente 26% du budget total, soit 494 millions d'euros. Mais on a tendance à trop compartimenter les différents domaines du mécénat. La culture par exemple a longtemps été considérée comme superfétatoire. Une institution comme Le Louvre, que je connais bien, touche à des domaines extrêmement différents dépassant le seul rôle artistique avec des actions sociales et éducatives. Il ne faut pas oublier tous les autres domaines investis par le mécénat, parfois moins visibles mais tout aussi essentiels: le sport, la santé, la solidarité internationale, l'environnement, la recherche...

Avec le recul, quel bilan faites-vous de votre action en matière de mécénat aux musées d'Orsay et du Louvre que vous avez successivement dirigés?
H.L.
Les configurations administratives étaient différentes et les époques aussi. Orsay que j'ai dirigé à partir de 1994 n'était pas un établissement public et n'avait donc pas l'autonomie qui lui permettait de développer une véritable politique de mécénat. Les réactions étaient alors très vives vis à vis des initiatives de ce genre. Au Louvre, établissement public, la situation était différente. Le mécénat y était plus accepté. Quand je suis arrivé en 2001, la subvention publique représentait 75% des ressources du musée, le mécénat ne représentant qu'un tiers des 25% restants. Quand je suis parti, les subventions publiques n'étaient plus que de 47 à 48% (soit à peine l'équivalent du coût de la masse salariale), et sur les 52 à 53% de ressources propres, un tiers venait du mécénat. Entre 2001 et 2013, l'équipe mécénat du Louvre est passée de 3 à 4 personnes à plus de 25. Ma conviction est que quand on a des projets forts, on trouve de l'argent.

Quelle action récente de mécénat vous paraît exemplaire?
H.L.
Je pense à une initiative d'Admical, l'Alliance des mécènes pour l'éducation. Menée avant que je n'arrive, elle consiste à fédérer et mutualiser le soutien de plusieurs mécènes, et l'action du monde éducatif et d'associations de terrain au service d'une cause nationale en l'occurrence la lutte contre le décrochage scolaire. Admical a organisé le rapprochement du collectif de mécènes et mis à sa disposition les ressources, issues du croisement de la recherche et du terrain, leur permettant de co-construire le dispositif. Cette initiative est très intéressante car elle peut être répliquée, notamment dans des domaines encore peu soutenus par le mécénat, comme la dépendance par exemple.

 

(encadré)

 

L'Admical et le mécénat en bref

 

1979. Création sous l'impulsion de Jacques Rigaud (futur président de RTL) de l'Admical, association pour le développement du mécénat industriel et commercial

180 adhérents en 2014 à l'Admical, dont 130 entreprises à Paris

1/3 des entreprises françaises sont engagées dans le mécénat

32% des entreprises de moins de 100 salariés sont mécènes, contre 27% des moyennes et grandes entreprises 1,9 milliard d'euros. Budget du mécénat d'entreprise en France

43%. Part des actions sociales dans le budget total du mécénat, soit 817 millions d'euros (39% dans le sport et 26% dans la culture)

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