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L’IAB France (Interactive Advertising Bureau) organise son colloque annuel jeudi 27 novembre à la Gaîté Lyrique à Paris sur le thème : «New Deal entre création et efficacité». L'association accueille à cette occasion son homologue allemande, la BVDW, présidée par Thomas Schauf. Entretien croisé avec David Lacombled, président de l'IAB France.

Pourriez-vous brosser un tableau de l'état de vos marchés respectifs ?

Thomas Schauf. L'Allemagne est le deuxième plus grand marché pour le display en Europe. La moitié des investissements publicitaires européens en display se font en Allemagne (1,32 milliard d'euros), en Grande-Bretagne (2,19 milliards) et en France (1,02 milliard).

 

L'investissement dans la publicité en ligne en Europe a atteint un nouveau sommet en 2013, avec un volume total de 27,3 milliards d'euros. Et ce, avec une croissance à deux chiffres, ce qui montre que le marché européen de la publicité numérique a su résister malgré les incertitudes économiques dans certaines régions d'Europe. Cela s'explique en partie grâce au grand nombre de formats publicitaires innovants et à la monétisation croissante des plateformes mobiles.

 

Sur les 9,2 milliards d'euros investis en Europe dans le display, les trois principaux marchés européens de la publicité en ligne (Royaume-Uni, Allemagne et France) représentent à eux seuls 49,2% de l'investissement, soit 4,53 milliards d'euros. En incluant l'Italie et les Pays-Bas, ces cinq marchés pèsent pour près des deux tiers (64,9%) du volume du marché européen avec un total d'environ 6 milliards d'euros.

 

Le search a réalisé un taux de croissance de 12% l'année dernière en Allemagne, ce qui équivaut à un volume de 2,56 milliards d'euros, tandis que des annonces en ligne/petites annonces jouent un rôle plus secondaire avec une croissance de 4,9% et un volume de 0,8 milliard d'euros.

 

David Lacombled. Nos deux pays sont très proches en termes de taux de pénétration d'internet. Selon la Banque mondiale, 84% des Allemands sont sur internet contre 82% des Français. Grâce à une population plus élevée de 14 millions d'habitants, nos voisins génèrent 1 milliard d'euros de revenus supplémentaires dans le secteur de la publicité sur internet.


Selon l'Adex Benchmark de l'IAB Europe pour l'année 2013, les annonceurs français ont consacré 3,5 milliards d'euros au Web, alors que les Allemands y avaient alloué 4,7 milliards.
Leur avance est notable sur tous les leviers, que ce soit le display, le search, le mobile ou encore la vidéo. La croissance de la publicité digitale est égale à plus du double de la nôtre. Mais en France, nous avons l'habitude de partir parmi les derniers mais d'arriver parmi les premiers. 

 

Quelles sont les habitudes de consommation multi-écrans en France et en Allemagne ?

D.L. Les Français sont bien équipés en écrans (6,5 par foyers selon Médiamétrie) qu'ils modernisent si l'on prend en considération le fait que les ventes de PC, smartphones et tablettes poursuivent leur croissance. Avec tous ces écrans, nous avons évidemment adopté des comportements «multi-tasking». Bien que chacun d'entre eux est utilisé à des moments distincts, le mobile plutôt pendant les temps de trajet, le PC dans la journée et la tablette le soir, on observe des utilisations simultanées de ces derniers avec la TV.

 

Il faut dire que les réseaux sociaux entrent vraiment dans les mœurs et donc avec eux les comportements mixant TV et tablettes, smartphones, laptops, etc. D'ailleurs, une étude de Millward Brown de mars 2014 révélait que 58% du temps passé devant la TV correspondent à des activités de multi-tasking sur un autre écran.

 

T.S. Le multi-écrans fait désormais partie de la vie quotidienne en Allemagne. Presque chaque internaute utilise les médias simultanément, en particulier avec la télévision. En Allemagne, en Autriche et en Suisse, 37 millions d'internautes lisent des commentaires publiés sur les réseaux sociaux en temps réel portant sur des programmes TV, 21 millions en publient eux-mêmes. 

 

Comment développer la créativité publicitaire sur internet et notamment sur le mobile ?

T.S. Près de la moitié (47,3%) de la probabilité pour qu'un support publicitaire retienne l'attention dépend de la création proprement dite. Le temps passé à regarder cette publicité peut également être largement attribuée à la création elle-même (30,1%). Les créations bien faites sont regardées 5,8 fois plus longtemps que les autres.


D.L. Il faut absolument exploiter les spécificités des devices mobiles pour une publicité plus créative: le slide, le souffle, la rotation de l'écran, le micro, l'appareil photo, tous ces éléments sont de vrais «plus» en termes de richesse d'interaction publicitaire. Il faut également tenir compte de la taille de leurs écrans qui ne permet pas forcément une utilisation aisée des formats dits «classiques» et nous met face à une sur-utilisation de l'interstitiel. Le native advertising peut y trouver toute sa place, au milieu du flux d'information, la publicité est plus visible.

 

Quelle est la place du native advertising ?

D.L. Le native advertising pèse encore peu dans l'ensemble des investissements digitaux. Toutefois, certains éditeurs qui font le pari du tout «native ad» s'en sortent très bien et des fournisseurs de plateformes de technologies spécialisées se font une belle place au sein de notre écosystème. Il faut dire que le native advertising est basé sur une idée de «sur-mesure», d'une collaboration éditeur/annonceur. A priori, une famille de publicité plus difficile à «industrialiser», même si on commence à entendre parler d'achat en RTB.


Des règles de transparence spécifiques au native advertising ont-elles été prises?

D.L. Il était naturel que l'IAB France se penche sur ce nouveau concept, en attente de cadres, d'une grille de lecture. En matière de transparence, les règles existaient déjà, que ce soit au sein du code de la consommation ou via des recommandations professionnelles telles que celles de l'ARPP. Ce qui était attendu, c'est d'expliquer comment ces règles devaient et pouvaient s'appliquer concrètement au native advertising. L'essentiel repose sur la transparence vis-à-vis de l'internaute, la publicité doit avancer à visage découvert et s'annoncer comme telle. Notre livre blanc rappelle qu'il est fondamental d'afficher au moins une mention type «publicité» ou «sponsorisé». Nous recommandons également d'élargir le faisceau d'indices en ajoutant, par exemple, le logo de l'annonceur, son nom... Ou encore d'ajouter des signes distinctifs (couleurs, reliefs), notamment sur mobile du fait de la taille de l'écran.

 

Récemment, la World Federation of Advertisers (WFA) s'est inquiétée du manque de transparence des trading desk d'agences assurant que plus de 50% des budgets reviennent à l'agence et à des intermédiaires et seulement 40% à l'éditeur. Quel est votre avis à ce sujet ?

T.S. Les accords commerciaux en Allemagne sont sur bien des points différents de ceux du marché britannique, par exemple. La principale différence est l'absence d'appel d'offres dans le processus d'achat via des plates-formes. Cela signifie que les agences et les annonceurs utilisent différentes plates-formes pour sélectionner des impressions basées sur la data. Mais en général, le prix en Allemagne est déjà fixé entre l'éditeur et l'agence ou l'annonceur, en particulier pour les grands formats et les grandes campagnes. Si le placement est transparent pour l'annonceur, il varie toutefois selon le client.

En fait, la décision d'un annonceur de réaliser l'achat d'espaces online via ses propres plateformes ou de le confier à une agence dépend avant tout des besoins de chaque client. Cette décision n'est pas motivée par la question de la transparence, mais par les attentes précises du client à savoir la performance et la qualité du placement.

 

D.L. Les annonceurs, en France comme à l'international, sont en attente de plus de réponses de la part des trading desks d'agence. De là à y voir un frein à la croissance du RTB, cela est peut-être vrai pour d'autres pays mais pas en France. Ce mode d'achat se porte très bien chez nous selon l'observatoire de l'e-pub du SRI et de l'Udecam: 12% du display a été vendu en RTB en 2013, ce qui représente une croissance de 71% vs 2012. Toutefois, nous ne pouvons que promouvoir la corégulation, et le maximum de transparence possible dans les relations entre professionnels; le tout sans entraver un mode d'achat qui créé sûrement de la valeur.

 

La moitié du trafic sur internet ne serait pas d'origine humaine, représentant une perte de 6 milliards de dollars par an pour les annonceurs. Que faire contre la fraude publicitaire sur internet ?

D.L. L'industrie se pose de plus en plus de questions sur la visibilité de la publicité et, notamment sur un changement de modèle qui reposerait non plus sur la tarification de la publicité servie mais seulement de celle qui serait vue. C'est un chantier important sur lequel l'IAB France va se pencher dans les mois à venir. Le lancement de nos réflexions s'incarne dans l'une des tables rondes de notre colloque du 27 novembre. Comme nos homologues américains, nous ne pouvons que recommander la mise en place d'outils de détection de fraude au clic.

 

T.S. Il n'y a pas d'informations précises sur ce sujet en Allemagne. Par définition, les robots sur internet ne connaissent pas les frontières. De toute façon, les robots ont toujours un coup d'avance sur les fournisseurs de serveurs publicitaires comme DFP ou Adition. Pour filtrer les bases de données, on peut utiliser la liste IAB & Spider Bot. Ce type de liste prend en compte tous les robots actuels et intégre tous ceux qui commencent à prendre de l'ampleur. En outre, de nombreuses entreprises se sont mises en conformité avec les recommandations de l'IAB. La règle est la suivante: en préalable à toute évaluation commune des «impressions publicitaires» en ligne, le trafic généré par les robots doit avoir été préalablement filtré.

 

Que pensez-vous du succès des Adblockers ?
D.L. Les utilisateurs d'Adblockers représentent entre 10% et 40% des visiteurs des sites français. Si le phénomène était marginal depuis lors, il prend peu à peu de l'importance et nous questionne sur le rapport des Français à la publicité. Charge à nous, professionnels, de respecter la navigation de l'internaute. Il nous faut être toujours plus créatifs pour séduire le consommateur, et il faut également en finir avec les comportements, certes marginaux, qui font du tort à notre profession. Plus nos publicités seront attrayantes, moins nos internautes s'en détourneront.

Il faut également rappeler à l'internaute que la publicité est l'un des business model les plus répandus sur le Web. Elle permet l'accès à un contenu riche et surtout gratuit. Sans elle, serions-nous prêts à payer tous les articles et vidéos que nous consultons? L'interprofession, sous l'égide du Geste, réfléchit aux différentes solutions qui s'ouvrent à nous. Les messages informatifs n'ont pas vraiment fait leurs preuves, le recours à des outils tiers ou la redirection vers des paywalls peuvent être à considérer. Quant à se lancer dans une action en justice comme nos amis Allemands, cela est en réflexion et ne concernerait uniquement qu'Adblock Plus dont nous trouvons la politique commerciale inacceptable.

 

T.S. La publicité est tributaire de l'existence d'environnements ouverts. L'utilisation d'Adblockers nuit au développement de contenus gratuits et à leur diversité. D'où l'intérêt pour toutes les parties concernées d'améliorer l'acceptation de la publicité numérique et de promouvoir la diversité des médias.

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