Banque
L’ex-France Télécom a fait du chemin. Le 2 novembre, Orange lance sa propre banque, Orange Bank. Un mouvement stratégique sur l’échiquier des opérateurs télécoms et, plus largement, du digital. Stéphane Richard, son PDG, nous détaille les enjeux de ce lancement.

Comment avez-vous eu l'idée de créer Orange Bank?STÉPHANE RICHARD. L’origine de notre démarche c’est l’Afrique, où nous avons créé un nouvel usage en 2008 avec Orange Money, le mobile banking. Cette technologie, assez basique, qui permet de réaliser des transferts à partir de SMS, a rencontré un succès phénoménal avec 34 millions d’inscrits dont 11 millions de clients actifs. Le volume de transactions total est supérieur à ce que la Banque postale ou la Société générale font en France. Et puis, nous avons lancé il y a deux ans en Pologne, Orange Finanse, avec la filiale locale de la Commerzbank. Le service ressemble davantage à une banque car il donne accès à des crédits et des produits d’épargne. Ce test a été concluant car nous comptons 500000 clients. Il y a un peu moins de deux ans, nous avons estimé que c’était le bon moment pour lancer notre banque en France. Le projet est plus ambitieux car nous proposons une vraie banque en ligne. Nous avons racheté Groupama Banque (à 65%), qui reste notre partenaire (avec 35% du capital), et distribuera Orange Bank d’ici la fin d’année dans les 3700 points de vente du réseau Groupama.

Qu’est-ce qui peut être amélioré dans le service bancaire aujourd’hui?Notre conviction est que le paiement se dirige vers le dématérialisé où le smartphone va se substituer à la carte de crédit et aux espèces pour la vie courante. On assiste au décollage depuis un an des paiements sans contact, y compris à partir du téléphone. Orange veut être l’un des acteurs de ces économies «cashless». Avec 21 millions de clients dans le mobile en France et un réseau de 700 boutiques, nous pouvons nous lancer avec un modèle à la fois sécurisant et innovant. Nous voulons proposer aux Français un service agréable, simple, qui permet d’avoir sa banque dans sa poche de façon intégrée. Nous avons essayé de prendre le meilleur de la banque digitale (gratuité, absence de frais de tenue de compte, carte gratuite, etc.), et fait la synthèse de tous les usages expliquant son succès. Nous y avons apporté en plus un modèle mixte, digital et physique, avec 140 boutiques et 900 personnes formées et agréées. Nous sommes les seuls à le faire car les banques en ligne, elles, sont totalement en ligne.

Par quels moyens comptez-vous convertir vos clients actuels?D’abord, le service et la carte sont gratuits. Il n’y a pas de frais de tenue de compte, mais une facturation si les utilisateurs réalisent moins de trois opérations par mois. Bien entendu, nous allons nous adresser de façon privilégiée à nos clients Orange avec des campagnes de marketing et des offres spécifiques. À terme, nous allons créer de la fidélisation croisée. Si vous êtes client chez Orange, vous aurez certains avantages dans la banque, et inversement, on vous proposera de façon privilégiée les services télécoms. C’est un des intérêts de ce projet. Nous avons plusieurs idées, par exemple sur le financement du terminal. Nous pourrons aussi nous inspirer des FinTech. Notre industrie s’est banalisée car la connectivité est devenue le besoin de base. Si nous voulons échapper à la guerre des prix qui fait rage, la clé est de se différencier. Par la qualité du réseau, et les contenus. Nous souhaitons proposer à terme du crédit immobilier. Mais la première brique que nous rajouterons sera le crédit à la consommation.

Après la connectivité et les contenus, vous touchez cette fois au portefeuille. Un graal?Il y a la data, et disons, la connaissance des finances. De par notre métier de telco, nous sommes ceux qui avons le plus de données, beaucoup plus que Google ou Facebook, car tout passe par le téléphone. Mais nous garantissons à tout moment la maîtrise des données personnelles. Notre modèle économique n’est pas basé sur la valorisation des données et nous ne vendons pas de data pour faire de la pub. Cela ne nous empêchera pas d’optimiser la dépense publicitaire, via la publicité adressée. Mais cela reste marginal. En revanche, il y a des choses intéressantes à envisager dans le big data interne, dans la façon dont nous croisons les données entre les usages bancaire et telco, nous pourrions proposer des services additionnels ou mieux, suivre les difficultés pour y répondre, et améliorer le niveau de satisfaction client. C’est plutôt ça qui nous guide que le fait de faire de l’argent sur des données.

Peut-on imaginer du ciblage commercial selon les dépenses au sein de l’environnement Orange?On peut tout à fait imaginer ça.

En confiant une part de la relation client à Watson d’IBM, anticipez-vous une mutation des métiers de la banque vers l'intelligence artificielle ? N’y-a-t-il pas un risque d’incompréhension chez vos clients?Notre conviction est que l’IA ne va pas apporter la réponse à tout et supplanter complètement l’homme, mais elle va changer pas mal de choses dans la relation client. Il faut se demander ce qu’attendent les gens. D’abord, un service 24 h sur 24, 7 jours sur 7 et 365 jours par an. Quand vous avez besoin d’aller dans une agence mais qu'elle est fermée le dimanche et le lundi, ou que vous faites une opération le samedi et qu’il faut attendre le mardi pour avoir une trace… tout cela est complètement dépassé. Cela insupporte les gens. Sans parler des dates de valeur, etc. La disponibilité du service client est quelque chose de majeur. Et la seule façon d’assurer cette disponibilité, c’est l’IA. Un robot ne dort jamais ! Après, les gens veulent savoir qu’ils peuvent être traités par des personnes. Pour cela nous avons prévu deux supports gérés par des humains : téléphonique avec deux centres d’appel de 200 personnes au total, à Montreuil et Amiens ; et les boutiques. Nous sommes une banque digitale, mais avec une présence physique.

Altice compte lancer sa banque en 2019. Faut-il s'attendre à ce que des groupes télécoms rachètent des banques, ou l'inverse?Nous sommes des pionniers dans cette histoire. Le fait que les autres s’y intéressent montre que l’idée n’est pas complètement stupide. Il faut du temps pour développer un produit comme celui-là, nous sommes bien placés pour le savoir. Honnêtement, on a un coup d’avance. D’ailleurs les banques classiques se sont toutes précipitées pour proposer des tas de projets différents suite à l’annonce d’Orange Bank. Le fait d’être un nouvel entrant donne un gros avantage. Est-ce que les télécoms sont l’avenir de la banque ? Ce n’est pas exclu. En tout cas sur une partie de la banque, car je ne pense pas que nous ouvrirons des salles de marché. Mais dans la banque de détail, je pense que l’avenir est plutôt digital, et il n’est pas exclu que de grands opérateurs du digital, que ce soit les telcos ou d’autres comme les Gafa, se lancent. Après, nous ne jouons pas non plus notre avenir là-dessus. L’investissement d’Orange dans la banque est de 500 millions d’euros sur dix ans, à comparer aux 7 milliards investis chaque année par le groupe. On n’arrive pas en fanfaronnant et en disant, vous allez voir ce que vous allez voir, un peu à la façon de certains de nos concurrents dans le mobile.

Vous allez être le Free de la banque?J’avais utilisé cette expression il y a quelques années et on me l’a beaucoup reproché. Je suis très tenté de dire un peu, dans la mesure où on arrive dans une industrie établie avec une nouvelle proposition. Il y a un côté disruptif dans la démarche qui ressemble un peu à la culture de Free, qui a fait bouger les lignes en apportant un produit attractif et utile. Ce côté-là je veux bien le prendre. Là où je ne retiens pas l’exemple de Free c’est dans le style. Je ne vais pas faire de conférence de presse en expliquant aux gens qu’ils sont des crétins ou des pigeons parce qu’ils sont clients d’une autre banque. On est plus respectueux.

Vous sortez de votre métier traditionnel avec Orange Bank. Pensez-vous que le digital lève les barrières et permette de tout faire ? Allez-vous être le hub de tous les flux?Nous sommes le hub de tous les flux, de fait. Tous les services du digital passent par le smartphone, et le smartphone, c’est nous. Le fait de fournir la brique de connectivité fait que nous avons une position critique dans le système. Sur un téléphone, il y a des centaines d’applications. On a beaucoup dit que le hub, c’était Google. Or, c’est de moins en moins le cas. Lorsque vous ouvrez votre téléphone, vous téléchargez directement votre appli. Le seul véritable lien avec l’utilisateur c’est l’interface du téléphone, qui est encore maîtrisée par les opérateurs. Mais il ne s’agit pas de devenir une sorte de conglomérat qui ferait tous les services qu’on peut trouver sur le téléphone.

Quelle est votre conception du métier d’opérateur ? Après la banque, quel autre métier envisagez-vous?Notre stratégie globale est de passer d’un modèle de pur fournisseur de connectivité à un modèle d’opérateur multi-services du digital. L’univers des services étant très vaste, nous allons nous concentrer sur quelques domaines. Après la banque, l’assurance viendra naturellement (ce que nous proposons d’ailleurs dès le lancement d’Orange Bank avec des micro-assurances de moments de vie, pour un voyage, une acquisition, etc.). L’autre domaine est l’internet des objets, qui est vaste, avec l’univers de la maison connectée comme l’audiovisuel et le smart home. L’idée que l’on puisse faire évoluer la box vers un hub de services à la maison qui couvre des fonctionnalités au-delà des médias, est bien engagée. Si vous ajoutez la composante surveillance, sécurité, c’est un marché de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Enfin, si je devais citer un seul autre domaine, ce serait la santé. Pour le patient, entre la dématérialisation, l’IA sur le diagnostic, l’accès aux soins à distance, le digital va apporter des espaces nouveaux, aussi bien en Europe avec les déserts médicaux, qu’en Afrique, où il y a des problèmes d’accès aux soins de base.

Allez-vous proposer Orange Bank en Afrique?Pour l’instant il y a Orange Money, mais bien entendu, à terme, l’idée est d’aller plus haut vers la banque. Nous commencerons avec des pays plus matures, comme la Côte d’Ivoire ou le Sénégal.

Quelles passerelles souhaitez-vous développer avec Canal+ dans les contenus en Afrique ? Peut-on imaginer des offres communes?Le vrai déclic est l’arrivée de la 4G que nous avons commencé à déployer il y a deux ans dans certains pays. Nous avons déjà 10 millions de clients sur le continent. Nous pouvons penser que dans les années qui viennent, avec le très haut débit mobile et fixe, que nous commençons à déployer au Maroc et au Sénégal, la question des contenus va se poser. En matière de contenus, nous sommes très pragmatiques. Nous faisons du cas par cas. Nous avons décidé d’entrer en Côte d’Ivoire en faisant une joint-venture à 50/50 avec Canal+, qui a pris une fréquence de la TNT sur la TV payante. Orange est le plus gros distributeur de Canal+ en Afrique. On a aussi testé des choses dans la SVOD, notamment en investissant dans Afrostream, mais c’était trop tôt et l’aventure s’est arrêtée, mais nous restons à l’écoute. Le premier contenu qui peut atteindre un effet de masse est la musique car cela pose beaucoup moins de problèmes de réseau que l’image. C’est un des premiers contenus sur lesquels on va essayer de se développer, notamment avec Deezer, dont nous sommes actionnaire.L’autre grand sujet, qui est le problème n°1 des acteurs de la télévision payante, c’est le piratage. Il faut arriver à proposer des contenus très bon marché, avec des formats adaptés au smartphone. Nous travaillons avec Canal+ et Warner. Dans les mois qui viennent vous verrez quelques partenariats sur les contenus audiovisuels, peut-être plus surprenants.

Que répondez-vous à Xavier Niel qui affirme dans le JDD qu’un kiosque numérique comme SFR Presse n’est qu’une «magouille de TVA»?Orange n’est pas dans cette démarche avec E-Presse, qui propose 300 titres, car c’est un service payant (10 euros par mois). Nous voulons faire le Deezer de la presse. Il y a un vrai appétit des gens à consommer de la presse sur leur terminal, au-delà des histoires de TVA. De notre côté, nous ne faisons pas de gymnastique fiscale, nous appliquons les règles. Notre produit est plus sain car il n’est pas basé sur l’opt-out et qu’il est payant. C’est un principe plus vertueux.

Le changement c’est « maintenant »Orchestré par Havas Paris, le dispositif autour du lancement d’Orange Bank est piloté par une équipe resserrée autour de Valérie Planchez, vice-présidente de l’agence, Christophe Coffre, président directeur de la création et Antoine L'huillier, en charge de la coordination du compte Orange. Le lancement a été réalisé avec l’appui du village Havas (Havas Events, Fullsix, Digital Factory) et soutenu par un dispositif média signé Blue 449 (Publicis). Tout commence le 20 avril avec la présentation du service par le PDG Stéphane Richard lors du Show Hello, grand-messe annuelle d’Orange. Acte deux, la campagne sociale sur Twitter et LinkedIn pour engager la conversation. Et le 2 novembre, le coup d’envoi du grand plan média. « Comme il s’agit d’une nouvelle marque, nous avions besoin de la TV pour avoir de l’impact », souligne Elisabeth Sabbah, directrice marketing, communication et relation client d’Orange. Tourné façon Mommy de Xavier Dolan, le film est vertical – smartphone oblige – histoire d’affirmer en TV le positionnement mobile de la banque. « On a voulu gommer les différences entre le produit et sa communication », commente Valérie Planchez. La signature d’Orange Bank ? « La banque maintenant », révèle « à la fois son côté actuel et l’instantanéité des opérations dans l’application » explique Elisabeth Sabbah. Le budget média, poursuit-elle, « n’est pas élevé pour Orange, ni pour une autre banque, car nous avons bénéficié d’un relai naturel en RP dû à notre notoriété ».

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