Tendances
L’industrie publicitaire commence à prendre conscience de son propre impact négatif sur l’environnement. Mais pour atteindre l’objectif d’une « éco-communication », elle va devoir remettre en cause bon nombre d’habitudes.

Quatre mille mégots recyclés et transformés en meubles, 8 400 gobelets jetables économisés, 5 620 bouteilles en plastique non consommées, 137 kg de biodéchets recyclés permettant la production de 21 m3 de biogaz, soit 80 douches de 5 minutes chacune… Mieux qu’un Lion d’or à Cannes, voilà le bilan écologique de l’une premières productions « éco-responsables ». Elle a été tournée pendant sept jours en décembre dernier à Aubervilliers par les équipes de Publicis Conseil et de Prodigious (70 personnes) pour le lancement des cosmétiques Garnier Bio. Conseillée par Secoya, une structure qui promeut les éco-tournages, l’agence des Champs-Elysées affiche ainsi pour cette production un bilan carbone de 15 tonnes de CO2 contre 123 tonnes pour une production similaire à l’étranger sans effort sur la responsabilité. « Cela faisait un moment que l’on discutait avec L’Oréal sur ce sujet, raconte Caroline Darmon, directrice RSE de Publicis Conseil. Sachant que la production représente 70 % des impacts environnementaux d’une campagne, on s’est demandé comment parvenir à les réduire. C’était une occasion rêvée, notre client ayant lui-même réfléchi à la formule et au packaging pour être le plus responsable possible. »

Externalités négatives

La prise de conscience des impacts de la publicité est récente. Chez Publicis Conseil, la création d’une direction RSE remonte à 2015. Cela ne fait que deux ans que les publicitaires ont pris à bras-le-corps la question de leurs externalités négatives. « Les médias et les agences ont été les derniers à se soucier des sujets RSE parce qu’ils n’avaient pas conscience de l’impact que pouvait avoir ce qu’ils produisaient », reconnaît Caroline Darmon. Or, ces impacts existent tout au long de la diffusion d’une campagne, y compris lors de sa fin de vie. Les affiches, par exemple, sont-elles produites avec du papier recyclé et des encres végétales ? Sont-elles recyclées lorsqu’on les décroche des panneaux ? Un site internet éphémère lancé pour une opération est-il bien fermé lorsque celle-ci est terminée ? Les agences commencent enfin à se poser ces questions qui tournent toutes autour du sujet de l’éco-communication. Elles n’ont pas le choix. « Les consommateurs demandent à nos clients d’avoir une démarche responsable, et nos clients en retour nous demandent d’avoir ce type de démarche. Alors, nous nous tournons vers nos fournisseurs en leur demandant eux aussi de respecter un certain nombre d’engagements. On est obligés de se transformer, sinon on est exclus de la chaîne », constate Virgile Brodziak, directeur général de Wunderman Thompson, une agence de 140 personnes basée à Boulogne-Billancourt. « Il y a une forte accélération depuis deux ans, confirme Gildas Bonnel, président de l’agence Sidièse, une structure parisienne consacrée aux enjeux RSE. Ça bouge dans les agences parce que ça bouge chez nos clients et dans l’opinion. Cet enjeu environnemental réinterroge le modèle de toutes les industries, y compris la nôtre. » Également président de la commission RSE de l’AACC, qui regroupe 220 agences de communication, Gildas Bonnel ne ménage pas ses efforts au sein de l’association. Un label « RSE Agences Actives » a été créé il y a un an avec l’Afnor. Il permet aux agences qui en font la demande d’obtenir une certification de leurs efforts en la matière. Lors du premier comité de labellisation en novembre dernier (il y a deux sessions par an), onze agences (1) ont obtenu le précieux sésame. « Cela permet aux annonceurs d’avoir un vrai critère pour discriminer positivement les agences et aller chercher les mieux disantes sur les impacts sociaux et environnementaux », se réjouit Gildas Bonnel. Sept agences supplémentaires vont candidater pour ce label lors du second comité à la fin juin.

« Pub verte »

The Good Company, une agence créée en début d’année pour attirer les annonceurs sensibles aux enjeux de responsabilité vient, de son côté, de prendre un « engagement écologique fort », selon son fondateur Luc Wise. Elle s’engage à reverser 1 % de son chiffre d’affaires aux associations environnementales référencées par l’organisation « 1% For the planet ». Cet ancien de Publicis croit lui aussi que les pratiques peuvent être changées pour réduire les impacts négatifs de l’industrie publicitaire. « On peut agir à plusieurs niveaux, dans le type de messages que l’on va délivrer, en essayant de promouvoir non pas la surconsommation mais une meilleure consommation, et dans la façon dont on produit les messages. Il nous faut être le plus responsable possible en matière d’éco-conception », estime Luc Wise. Faut-il continuer à aller tourner en Afrique du Sud et en Argentine parce que les charges sociales y sont moins élevées, au risque d’un bilan carbone désastreux ? Faut-il envoyer à l’autre bout du monde des gens qui n’ont pas forcément besoin d’y aller, au prétexte de les récompenser de leur travail ? N’y a-t-il pas d’autres façons de les remercier ? Autant de questions que pose le fondateur de The Good Company, dont la douzaine de personnes œuvrent sur des budgets comme le livreur FoodChéri ou les espaces de coworking Wojo. L’avenir de cette démarche d’éco-communication tient peut-être à la création d’un label certifiant non plus, comme celui de l’AACC, la politique globale d’une agence, mais chacune de ses productions. Un label « pub verte » pourrait ainsi être accolé sur chaque affiche, annonce presse ou spot « responsables », de manière à ce que les consommateurs, comme ils repèrent en rayons les produits bio grâce au logo AB, sachent comment la pub qu’ils regardent a été produite. « Il faut faire attention à ce que trop de labels ne tuent pas les labels », tempère Caroline Darmon. Ce serait pourtant une belle façon d’encourager les annonceurs qui acceptent de payer un peu plus cher (environ 5 % par exemple dans le cas de L’Oréal pour Garnier Bio) pour une pub plus verte.

Encadré

 

Less is more

L’écologie de la publicité a trait au contenu des messages et à leur production, mais aussi à leur distribution. C’est le sens du livre blanc Écosystème de marque, pour une nouvelle écologie de la communication au service de l’efficacité publié par Yves Simeon, du cabinet-conseil Reload Consultants. Selon lui, le digital a mené à de nombreuses dérives. « On dit à Francine de faire du communautaire, des actions Facebook, mais il n’y a pas de communauté de gens qui adorent la farine », déplore-t-il ainsi. Son idée maîtresse est de revenir à davantage de frugalité, sans perdre en efficacité…

Suivez dans Mon Stratégies les thématiques associées.

Vous pouvez sélectionner un tag en cliquant sur le drapeau.