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En réunissant des chercheurs de renom, des centres d’innovation et des start-up, Montréal a développé ces dernières années un pôle d’expertise sur l’intelligence artificielle. La métropole québécoise entend bien peser sur la scène internationale.

Au Québec, son nom est sur toutes les lèvres pour qui travaille dans la tech. Chercheur à l’Université de Montréal, Yoshua Bengio est l’un des pères de l’apprentissage profond, une sous-discipline de l’intelligence artificielle. À seulement 29 ans, il a créé en 1993 le Mila, pour Montreal Institute for Learning Algorithms, devenu aujourd’hui l’un des plus importants laboratoires d’IA au monde. En 2019, Yoshua Bengio n’est plus tout seul. Son centre d’innovation est au cœur de tout un écosystème qui s’est constitué ces dernières années à Montréal.

L'IA, un « secteur d'excellence »

Parmi les entreprises à avoir installé dans la métropole québécoise un centre de recherche en intelligence artificielle, Google, Facebook, IBM, Microsoft mais aussi Huawei, Samsung, Ericsson ou encore les français Havas Group et Thales. S’ajoutent à ces grands groupes une vingtaine de start-up spécifiquement positionnées sur l’IA, dont la plus connue, Element AI, créée en octobre 2016 et qui a levé plus de 90 millions d’euros mi-2017. « L’intelligence artificielle fait partie des secteurs d’excellence sur lesquels Montréal s’est positionnée. Depuis trois ans, nous avons accompagné une trentaine de projets dans l’IA pour un total de 500 millions de dollars canadiens [332 millions d’euros] d’investissements étrangers », indique Stéphane Paquet, vice-président de Montreal International, l’agence de promotion économique de Montréal. Parmi les dernières entreprises françaises à avoir y ouvert une antenne, l’entreprise spécialisée dans la data Axionable, qui voit notamment dans cette implantation une porte d’entrée vers le marché américain. 

Installé depuis janvier dans le quartier du Mile-Ex, qui hébergeait autrefois des usines textiles, le Mila a la particularité de réunir le monde universitaire (350 étudiants chercheurs, 40 professeurs) et celui des entreprises, avec notamment treize laboratoires corporatifs, dans un objectif de transfert technologique. « Nous sommes sur un modèle ouvert et collaboratif. C’est une des spécificités de Montréal. Des chercheurs en intelligence artificielle chez Microsoft ou Google cosignent régulièrement des publications avec nous », explique Simon Lacoste-Julien, maître de conférences à l’Université de Montréal et au Mila, également à la tête du laboratoire en IA de Samsung.

Spécialiste du deep learning

Même démarche à l’Institut de valorisation des données (Ivado), créé à l’initiative de l’Université de Montréal, HEC Montréal et Polytechnique Montréal, et qui rassemble chercheurs universitaires et professionnels de l’industrie. « Nous offrons des services de liaison entre la connaissance et les besoins de la société. Plus du tiers de notre budget [qui est de 234 millions de dollars canadiens, 155 millions d’euros] va à la recherche collaborative entre nos équipes et les entreprises. Nous mettons à disposition des entreprises des moyens (chercheurs, locaux, etc.), nous ne garantissons pas le résultat », explique Gilles Savard, directeur général d’Ivado et professeur d’université à Polytechnique Montréal.

Rien de surprenant donc à ce que le laboratoire en IA installé par Facebook à Montréal en septembre 2017 soit dirigé par une universitaire, Joëlle Pineau, professeure agrégée à l’université McGill. À 45 ans, elle pilote une vingtaine de chercheurs en recherche fondamentale. Parmi les projets en cours, la reconstitution d’images dans le domaine de la santé ou l’usage de la prédiction en vidéo. « Le programme FAIR – Facebook AI Research – s’intéresse aux questions touchant l’IA à horizon cinq ou dix ans. Nous sommes sur de la recherche fondamentale, les projets de recherche n’ont pas toujours de lien avec ceux de Facebook », raconte la spécialiste.

Autre spécificité de la recherche montréalaise en IA, son caractère ouvert. « Nous travaillons sur un modèle public, nous partageons le code et les idées dans une logique de transparence vis-à-vis de la communauté internationale », insiste Joëlle Pineau, selon qui cette approche peut servir d’« antidote » aux éventuelles dérives de l’IA. « L’intelligence artificielle est un domaine où il y a relativement peu de propriété intellectuelle. En dehors des données utilisées, qui appartiennent souvent à l’entreprise, l’algorithme en lui-même a peu de valeur », renchérit Gilles Savard. Reste qu’en matière d’intelligence artificielle, la concurrence est non seulement nationale (Toronto, Vancouver) mais surtout mondiale. Difficile de faire le poids face à des sociétés comme DeepMind à Londres, rachetée par Google en 2014, ou encore face à la Chine, qui s’est donné jusqu’en 2030 pour devenir le leader mondial de l’IA. « La force de Montréal, c’est le deep learning (l’apprentissage profond) », assure Gilles Savard.

Dans cette bataille, la ville a des atouts de taille, à commencer par ses talents. Avec plus de 300 chercheurs et doctorants en lien avec l’intelligence artificielle et près de 11 000 étudiants inscrits à un programme universitaire spécialisé en intelligence artificielle et en traitement des données, la métropole québécoise revendique la première concentration mondiale de chercheurs en apprentissage profond. Et c’est sans compter l’implication des pouvoirs publics, qui ont mis sur la table plusieurs centaines de millions de dollars canadiens ces dernières années pour financer le développement de la recherche. « Il ne faut pas oublier qu’il y a eu vingt ans de recherche et d’investissements dans l’IA à Montréal avant d’en arriver là », rappelle Stéphane Paquet. Un investissement sur le long terme.

Yoshua Bengio, lauréat du prix Turing

À 55 ans, le Canadien Yoshua Bengio, chercheur en apprentissage profond à l’université de Montréal, a reçu en mars dernier le prix Turing, l’équivalent du prix Nobel en informatique, aux côtés du Français Yann LeCun et du Canadien Geoffrey Hinton. 

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