Automobile
À l’occasion de la présentation de la Mustang Mach-E, le premier véhicule 100% électrique de Ford, Louis-Carl Vignon, président de Ford France, revient pour Stratégies sur les enjeux de ce lancement.

Pourquoi est-ce que Ford lance sa première voiture électrique seulement maintenant, dix ans après la Tesla Model S ?

L’électricité fait partie d’une des priorités stratégiques, c’est pourquoi nous avons annoncé un investissement de 11 milliards de dollars entre 2017 et 2022, devant déboucher sur le lancement de 18 véhicules électrifiés. Ford accorde une importance forte au fait de réduire autant que faire se peut son empreinte carbone. C’est une offensive sans précédent pour nous, qui débutera vraiment en 2020 avec le lancement de 14 véhicules électrifiés. Dans cette stratégie, il y a un point important : nous avons fait le choix de ne pas privilégier une seule technologie, mais d’en embrasser plusieurs pour répondre aux différents usages des clients. Nous prévoyons que 56% de nos véhicules immatriculés en Europe en 2022 seront électrifiés. On me dit souvent que Ford est en retard. Aujourd’hui nous voulons tordre le cou à cette idée car nous avons beaucoup travaillé en coulisses. Nous avons surtout été silencieux.

 

Vous lancez la Mustang Mach-E : pourquoi se mettre à l’électrique avec un SUV, un segment si décrié ?

Il est vrai qu’il existe en France un « SUV bashing », mais j’ai tendance à penser qu’on aime bien combattre ce qui fonctionne… Ça a été le cas avec le diesel, qui pollue pourtant moins, et maintenant le SUV, mais on se trombe de débat. Que demandent les clients ? Un véhicule qui a un look sympa et une position de conduite haute. Comme on ne peut plus conduire vite, c’est l’agrément qui est recherché. Le SUV répond à ce critère d’achat. Et donc en tant que constructeur, nous répondons à la demande. Il faut aussi ajouter qu’il est dur de rentabiliser l’électrique sur les petits prix [la Mustang Mach-E sera vendue à partir de 48 900 euros]. Ce segment est légèrement plus haut que la moyenne des berlines et génère un peu plus de marge. Leur taille permet aussi de placer des batteries plus grandes et de répondre aux attentes en matière d’autonomie [de 450 à 600 km RWD]. Le SUV électrique est la meilleure réponse car il permet de concilier ce qui était impossible jusqu’alors : confort, sportivité et écologie. Quand je vois ceux qui crient à l’hérésie, je réponds que cette Mustang Mach-E est une réinterprétation moderne de la Mustang: elle est insolente car personne ne l’attendait et elle reprend ses éléments forts de design.

 

Finalement vous voulez vendre une Mustang plus qu’une Ford. Est-ce parce que cette marque possède un capital plus intéressant commercialement ?

La valeur de la marque Mustang est très reconnue au niveau mondial pour son côté mythique. Il ne fallait pas pour autant tomber dans le biais de la stratégie purement marketing, mais rester légitime et respecter l’ADN du véhicule originel. La Mach-E a été développée par le même ingénieur qui a supervisé le développement de la Fiesta ST et de la dernière Mustang [à moteur thermique]. Après, il est vrai que le véhicule s’appelle Mustang et va aspirer une clientèle qui ne serait peut-être pas venue sur la marque Ford. Mais nous gardons la cohérence de la promesse : vous n’auriez pas vu le logo Mustang sur une voiture qui ne serait pas performante. Mach-E fait référence à la Mustang Mach 1 sortie en 1969.



En récupérant la marque Mustang pour l’électrique, n’êtes-vous pas en train de tuer la vraie Mustang, celle à essence et à gros moteur V8 ?

On ne tue jamais la mère ! Les deux vont cohabiter. La Mustang classique va continuer à exister, d’ailleurs de manière plus vertueuse pour correspondre au cadre réglementaire dans lequel on évolue, avec des cylindres désactivables. Nous avons toujours des clients qui veulent en acheter, même avec le super malus en France. J’en profite pour évoquer l’annonce de Bruno Le Maire voulant déplafonner ce malus. Dans la vraie vie des clients, une Mustang V8 vaut environ 50 000 euros. Dans cette somme, vous avez déjà payé 20% de TVA et demain, 12 500 euros de malus en plus. Un tiers de la somme totale va à l’État. Alors que des clients pourraient s’acheter ces véhicules, ils sont écœurés par le niveau de taxation. Pour autant, ne croyez pas qu’ils vont aller s’acheter de petites voitures vertueuses à la place. Il faudrait plutôt un reward pour acheter électrique comme en Europe du Nord, plutôt que cette politique du bâton [Bruno Le Maire a annoncé le 2 décembre, après la réalisation de cette interview, que l'enveloppe dédiée au bonus automobile pour les véhicules électriques augmentera de 50 % en 2020].



Quels sont les attributs marketing de la Mustang Mach-E ?

Elle coche toutes les cases de la famille Mustang : un capot long et plongeant, des phares acérés, une calandre pleine mais dessinée, des ailes arrière prononcées, des feux arrière à trois barres, la forme du coupé lorsque vous regardé de côté, des performances et un positionnement prix propre à la Mustang.



Pourquoi est-ce que Ford s’impose ce grand écart à vouloir se lancer dans l’électrique avec sa marque la plus complexe à électrifier en termes de positionnement ? Vous passez par la face nord…

Je ne le pense pas non. Pour lancer notre premier véhicule 100% électrique, il y avait deux solutions. La première était la petite voiture. La seconde, à l’inverse, était de commencer par le haut avec la voiture la plus aspirationnelle, et c’était clairement la Mustang. Concernant le bruit de l’auto, un élément identitaire important, on le perçoit un petit peu dans la vidéo de présentation, même si il est masqué par les quatre Mustang traditionnelles qui l’entourent. Les ingénieurs ont travaillé pour redonner cette sensation.



Que pensent de cette Mustang Mach-E vos très nombreux clients américains adeptes des énormes pick-up essence tels que le Ford F150 ?

Sur le marché US, l’accueil a été absolument positif. Il est vrai que ce marché est très porté sur le SUV et en particulier le truck, mais nous travaillons aussi à électrifier le F150. Nous assistons à une convergence de la demande client, des contraintes réglementaires, et de nouvelles solutions technologiques.



Alors que PSA et FCA ont récemment annoncé leur fusion, Ford ne se sent-il pas un peu seul pour affronter les coûteux défis des nouvelles mobilités ?

Il y a deux façons d’adresser les défis automobiles : faire des alliances industrielles, ou des alliances capitalistiques. Chez Ford, nous avons choisi la première. En Europe nous avons créé le consortium Ionity autour de la batterie avec Volkswagen. Comme la coopération se passe bien, nous avons étendu le scope aux véhicules autonomes en investissant en juillet dans la plateforme Argo AI [7 milliards de dollars au total].



Quel est le plan de communication prévu pour le lancement de la Ford Mustang Mach-E ?

Nous allons déployer un thème ombrelle autour de l’hybridation, s’adresser à tous les véhicules que nous lancerons dans les prochains mois à partir de 2020. Cela concerna la nouvelle Puma, le SUV Kuga, la Mondeo… Sur la campagne de marque, c’est un peu trop tôt, mais la Mach-E aura bien sa campagne.



Avec quelles agences travaillez-vous en France et au global ?

Sur la création, nous travaillons avec BBDO et Wieden & Kennedy, Global Team Blue/GTB (WPP) et sur l’achat média, Mindshare (WPP). En France, nous sommes aussi accompagnés de BBDO et de GTB, Ogilvy et Mindshare sur les médias et les relations presse. Pour donner suite à l’appel d’offres en 2018, nous avons intégré BBDO sur la production créative.

 

Alors que le film Le Mans 66 en ce moment au cinéma rappelle combien Ford a utilisé la compétition pour prouver les performances de ses voitures,  n’avez-vous pas besoin de ce genre d’engagement aujourd’hui pour prouver ce dont sont capables les voitures hybrides et électriques de la marque ?

Ford est toujours présent, nous sommes engagés en championnat du monde des rallyes avec la Fiesta, et en Nascar. Nous allons aussi nous lancer dans les 24 Heures du Mans e-sport, mais la Formule E n’est pas prévue. Nous voyons d’autres compétitions se développer, pas forcément sur asphalte, rien n’est pas impossible.

 

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