Communication
La publication de vidéos à caractère sexuel impliquant Benjamin Griveaux ont fait tomber en moins de 48 heures le candidat LREM à la Mairie de Paris. Quelles leçons tirer de cette affaire politique et morale déjà considérée comme un cas d’école ?

Leçon 1 : concilier numérique et vie privée

Rien ne s’efface avec le numérique, même via des services éphémères où les messages disparaissent peu après leur envoi. La campagne de Benjamin Griveaux s’est arrêtée en moins de 48 heures pour des vidéos à caractère sexuel envoyées deux ans auparavant (selon les versions de l’enquête en cours). Le numérique remet en cause notre « droit à être laissé tranquille », une expression qui figure dans un article de 1890 rédigé par les avocats Samuel Warren et Louis Brandeis, intitulé « Le droit à la vie privée ». « Ce texte constitue un précédent important en traçant les limites d’une vie privée où la sexualité pouvait être pratiquée loin du regard et du contrôle de la communauté », explique la sociologue Eva Illouz, dans son dernier ouvrage La Fin de l’Amour (Seuil). Ce temps est-il définitivement révolu ? « Il faut se montrer prudent en tant que personnalité publique, savoir se familiariser et composer avec ces nouveaux outils », avance Pierre Vallet, CEO de l’agence Reputation Age. « Au contraire, il faut assumer. Le numérique va devoir faire partie de la vie, on ne peut pas vivre dans la méfiance et la peur du moindre de ses actes. Les politiques, à l’image de Benjamin Griveaux, auraient dû assumer, pour montrer qu’on doit vivre avec », estime pour sa part un communicant politique. « Vivre avec » sera-t-il l’avenir ? Selon un sondage de l’Ifop, 22% des français ont déjà eu recours à la sexualité virtuelle, dont 44% des 18-24 ans. Mais les enjeux ne sont pas les mêmes pour M. Tout le monde et Benjamin Griveaux.



Leçon 2 : une information débridée

Cette accélération de la vie politique liée au numérique -qu’il s’agisse d’information ou de désinformation- laisse toujours moins de temps pour composer. Une donnée appréhendée d’emblée par les communicants accourus au chevet du candidat Griveaux, afin de désamorcer ce qui s’apparente alors à une potentielle bombe à retardement. « La temporalité politique et le niveau de pression médiatique ne sont absolument pas comparables avec ce que l’on rencontre en termes de communication corporate », confirme en off un communicant réputé sollicité pour gérer ce qui finira par s’appeler le « Griveauxgate ». « La vidéo tourne d’abord uniquement dans le cercle des initiés, ce qui permet plus ou moins de contrôler la situation. Mais avec le relais par des prescripteurs dotés de plusieurs dizaines de milliers de followers sur Twitter le jeudi après-midi, la donne change. On commence à sentir le monstre vrombir, puis la machine à rumeurs s’emballe. L’information, dont la diffusion était jusque-là restreinte, pénètre véritablement le champ public », poursuit-il. En une heure, les vidéos passent de 10 000 vues à 800 000 vues, poussant le candidat LREM à jeter l’éponge le jeudi 13 février dans la soirée. Le vendredi matin, moment choisi par le candidat pour annoncer son retrait, le compteur affiche 5 millions de vues. « Le sujet d’image est devenu un sujet politique », constate le conseiller. Une analyse que confirment les chiffres d’une étude menée par l’Ifop, au terme de laquelle 8% des Français déclarent notamment avoir vu au moins un extrait de la vidéo.



Leçon 3 : les médias, pare-feu insuffisant

« En termes de communication, puisqu’il s’agit d’un reproche moral et non légal, pouvait-il y avoir une autre stratégie ? », interroge Bernard Sananes, président d’Elabe, évoquant « la possibilité de s’appuyer sur la désapprobation majoritaire du monde politique » pour envisager un maintien de sa candidature. « On peut toutefois penser que cette option aurait été intenable. C’est un acte de nature à cannibaliser la suite de la campagne, y compris dans le traitement médiatique à venir », considère le dirigeant, soulignant néanmoins -une fois n’est pas coutume- l’attitude responsable adoptée par les médias. « De la même manière que Mediapart dit avoir refusé de publier lesdites vidéos après avoir été démarché par Piotr Pavlenski, ceux-ci se sont honorés à ne pas rentrer dans ce jeu malsain », complète-t-il. « On a affaire à un système d’information à deux vitesses : les initiés d’un côté et le grand public de l’autre. Les médias ont joué leur rôle de garde-fou car cela faisait déjà plusieurs jours que les rédactions politiques disposaient de l’information », reprend en off un des communicants chargés d’éteindre l’incendie. « Cette barrière a été emportée par la décision personnelle du premier intéressé mais aussi et surtout par le relais qu’en ont fait certains comptes très suivis sur Twitter », estime finalement ce dernier. « Il va de soi que ce type d’informations ne doit pas entrer dans le débat public. La frontière doit rester étanche dans les médias entre ce qui relève de la vie privée et de la vie publique », tranche Bernard Sananes, qui se dit « très inquiet pour l’élection présidentielle à venir » alors que « tous les coups sont désormais permis ».



Leçon 4 : les réseaux sociaux, coupables idéaux

Dans les jours qui ont suivi la publication des vidéos, les réseaux sociaux ont été la cible de toutes les foudres. Mais quelle responsabilité leur attribuer ? « Twitter -puisqu’on ne parle finalement que de lui- s’est auto-modéré très rapidement et s’est montré bien moins virulent que d’habitude », constate Pierre Vallet, à qui les chiffres donnent en partie raison. Avec moins de 2000 tweets mentionnant l’affaire le jeudi soir selon l’outil de veille Visibrain, on passe à un pic de 20 434 tweets dans le sillage de l’annonce faite par l’ex-porte-parole du gouvernement. L’affaire, quasi-romanesque avec le performer russe et sa compagne Alexandra de Taddeo, fait exploser les compteurs : 444 117 tweets seront ainsi publiés entre le 12 et le 16 février. « Peu importe le nombre », juge Olivia Grégoire, la porte-parole de la campagne de Benjamin Griveaux. « La question n’est pas de savoir si 2000 personnes lambda ont twitté. Mais de savoir quelle audience ils ont. A partir du moment où des comptes à forte audience ont partagé le lien, même quelques secondes, l’impact médiatique n’est plus le même. » C’est la question qu’a voulu porter la députée de la douzième circonscription de Paris en direct sur LCI, faisant naître une nouvelle polémique. « J’ai voulu questionner le rôle de Twitter dans la diffusion à grande échelle d’une vidéo illégale. Mais jamais je n’ai appelé à interdire ce réseau », se défend-elle. Quant à l’anonymat « ce n’est même pas un débat », selon Pierre Vallet.



Leçon 5 : une violence éminemment politique

Alors, d’où vient la violence ayant fait reculer aussi brutalement Benjamin Griveaux ? Car avant même que les trolls se mettent en ordre de marche, la foire aux rumeurs allait bon train dans le milieu politique. « Jeune femme mineure », « non consentante », « vidéos de violences prêtes à sortir »… Autant d’âneries que de versions divergentes de nature à semer le doute et à permettre aux intéressés de positionner leurs pions en cas de défection… Le jeu politique n’est-il pas finalement le plus violent dans l’histoire ? « Il faut historiciser cet épisode. La violence politique a toujours existé, mais notre degré d’acceptation de cette violence a changé », estime Nicolas Castex, fondateur d’Everybody Knows. « On peut constater un glissement dans la société », avance Arnaud Dupui-Castérès, de l’agence Vae Solis. « En mai 1991, Edith Cresson avait déclaré : ''La bourse, j’en ai rien à cirer''. À l’époque, la phrase fait scandale, et pas uniquement sur les marchés financiers. Un premier ministre ne pouvait pas tenir un tel langage ! », rappelle-t-il à propos d’une allusion considérée alors comme sexuelle et totalement déplacée. Autre temps, autres moeurs...

 

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Rappel des faits : 48h chrono

12 février (13h30). Piotr Pavlenski publie sur Facebook un lien menant au site Pornopolitique.com, qui héberge les fameuses vidéos, visiblement en ligne depuis le 1er février sur d’autres sites plus confidentiels.

12 février (19h). Benjamin Griveaux est informé de la diffusion des images. Sonné, il choisit rapidement de ne pas contester les faits en interne.

13 février (11h). Le candidat LREM se livre à l’exercice de présentation de son programme en présence des têtes de liste au cinéma Les 7 Batignolles.

13 février (18h). Le député Joachim Son-Forget ainsi que le fondateur de Doctissimo Laurent Alexandre relaient l’information sur leurs comptes Twitter respectifs. Les vidéos, jusque-là échangées sous le manteau par les initiés, deviennent virales et passent de 10 000 à 800 000 vues en une heure.

13 février (20h) Benjamin Griveaux décide d’arrêter les frais. Il confirme sa décision plus tard dans la nuit à Emmanuel Macron, qui l’assure de son soutien et lui laisse -a priori- le soin de trancher quant au maintien de sa candidature.

14 février (7h45). Le candidat se rend au siège de l’AFP pour annoncer, via une déclaration vidéo de trois minutes, qu’il se retire afin de ne pas exposer encore plus sa famille et lui-même « quand tous les coups sont permis ».

14 février (9h). L’AFP diffuse la vidéo, la campagne de Benjamin Griveaux s’arrête. Le pic de viralité a lieu dans les minutes qui suivent. En milieu de matinée, les vidéos comptent près de 5 millions de vues.

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