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Elles ont marqué notre jeunesse, nous ont fait rire, frissonner, nous ont exaspérés, fait découvrir de nouvelles voix... Les musiques de publicité sont indissociables de la réussite d'une campagne. En seize titres, voyage auditif au pays des tubes de pub.

Dans la bande-son de notre vie, il y a le premier slow, les morceaux sur lesquels on s’époumonait lors des virées en bagnole, les chansons de déprime, écoutées en boucle après un premier chagrin amoureux… Et aussi les musiques de pub, quotidiennes, martelées, imprimées dans notre cerveau - qu’elles fassent vibrer ou qu’elles horripilent. Depuis les débuts de la réclame - Dubo, Dubon, Dubonnet ! -, elles marquent au fer rouge nos oreilles. Normal : c’est fait pour. « Si les musiques de pub marquent autant », estiment Fabrice Brovelli, vice-président, et Christophe Caurret, directeur de création musique de BETC, grands manitous de la bande originale [BO] de pub hexagonale, c’est « parce qu’elles se sont inscrites dans la mémoire collective. On ne peut pas dissocier les images de la musique et émotionnellement, l’une renvoie à l’autre. » 
Pas question de se rater, aujourd’hui plus que jamais, remarque Marine Cremer, music supervisor chez DDB Paris : « Comparé à une dizaine d’années en arrière, la musique n’est plus la cinquième roue du carrosse publicitaire, les annonceurs investissent beaucoup plus. » Car une bonne BO, ça se paie, souligne-t-elle : « Le choix d’une musique est d’abord conditionné par le budget. Le prix d’entrée pour un titre connu, de Queen ou David Bowie par exemple, pour un an de diffusion en TV et sur internet en France, est de 80 à 100 000 euros. Je ne vais pas révéler le montant, mais Under Pressure pour LCL était mon plus gros deal jusqu’à présent. » 
Avant que de parler d’espèces sonnantes et trébuchantes, une musique de pub, rappellent non sans lyrisme Caurret et Brovelli, « on la choisit avec le cœur, tout simplement. » Un cœur qui bat un peu plus vite à l’écoute de certains morceaux. En une playlist de 16 titres, panorama non exhaustif de ces sons qui ont rendu certaines campagnes de pub – encore plus – mythiques.

1969 – Dim - Lalo Schifrin
Ta-ta ta-ta ta-taaaa… Nombreux sont ceux qui s’attribuent les boucles primesautières de l’impérissable campagne Dim. Mais les experts sont formels : à l’origine de la bande-son des pubs Dim, budget fondateur de Publicis, un seul auteur : Lalo Schifrin, par ailleurs grand compositeur de musique de films. Un de ceux qui en parlent le mieux, c’est probablement Alex Jaffray, fondateur de Start-Rec, compositeur, producteur et chroniqueur pour Télématin : « Le plus incroyable avec Dim, c’est que la musique de Lalo Schifrin est originellement composée pour la BO du film The Fox et ne semblait absolument pas taillée pour la publicité à l’époque. Et pourtant… Cela fait plus de quarante ans que le morceau est utilisé. Il provoque une connexion instantanée. Ce qui est sûr, c’est que cette petite mélodie ne sortira pas de notre tête d’ici à notre mort. » Carrément.

1980 - Banga ou Infinitif - Richard Gotainer
Il a autant œuvré pour la chanson loufoque (Le Youki, Le Mambo du Décalco) voire carrément égrillarde (Femmes à lunettes) que pour la publicité. Banga, Infinitif, Belle des Champs, Choco BN… Qu’aurait été la pub des années 1980 sans Richard Gotainer ? « Difficile d’évoquer Richard Gotainer en parlant d’une marque en particulier tant il a œuvré pour de nombreux annonceurs, acquiesce Alex Jaffray. Forcément, certaines publicités comme celles pour Danette - « On se lève tous pour Danette » - ou encore pour Vittel - « Buvez, éliminez » - sont passées à la postérité. Mais il existe au moins une dizaine de pubs françaises des années 80 qui sont rentrées dans l’inconscient collectif sans même forcément que les consommateurs le sachent. » 

1982 - Heineken - Robert Palmer : Every kinda people
Qui aurait cru qu’une bonne vieille binouze pouvait être aussi glamour ? Ce spot des années 1982 pour Heineken donne à voir des jeux de séduction entre femmes ultra-sophistiquées et yuppies impeccablement brushés dans un bar hyper-branché. Ou plutôt « chébran », comme on disait en 1982. Les regards se frôlent à travers la bière ambrée. « Heineken : la bière qui fait aimer la bière », le slogan fleure bon le houblon et les années d’insouciance pré-Loi Évin. Et le chic de l’affaire doit beaucoup à la voix chaude de Robert Palmer, et des rythmes ensoleillés de son hit Every Kinda People. C’est l’une des musiques de pub qui ont marqué Alex Jaffray : « La mélodie de la chanson de Robert Palmer est inexorablement associée aux publicités de la marque dans les années 80, qui s’apparentaient à une ode à la bière. C‘est un véritable marqueur générationnel. » 
 
1984 - Citroën BX - Julien Clerc : J'aime, j'aime, j'aime
Toutes les années 80 en un spot : Julien Clerc se balade en marcel sur une plage de sable fin lorsqu’une femme surgit de nulle part, à fond la caisse, au volant d’une Citroën BX GT rouge. Le chanteur s’adonne à un numéro de cascadeur charmeur qui ravit la conductrice, gloussant à n’en plus pouvoir. Julien finira, le torse offert, dans l’onde. Une belle démonstration de direction assistée.
 
1987 - Le Trèfle - Comédie musicale
Les Parapluies de Cherbourg… au rayon papier toilette. Dans cette irrésistible comédie musicale publicitaire, un monsieur, entré en trombe dans un magasin pastel, se fait faire l’article des rouleaux de Trèfle Parfumé par un vendeur en verve, alors que son achat a un caractère d’urgence… Ce délicieux hommage, tendre et moqueur, aux films de Jacques Demy et aux chansons de Michel Legrand est signé CLM BBDO, période Philippe Michel. C’est également sous l’impulsion de Philippe Michel que naîtront les inoubliables films Eram, réalisés par Etienne Chatiliez, avec cette signature « Il faudrait être fou pour dépenser plus ! » déclinée sous tous les airs, de la rumba au rock. 

1988 - Schweppes - Chico Buarque : Essa moça ta diferente
Chaleur… Ça sent le sable brûlant, le monoï et surtout le sexe dans ce magnifique film pour Schweppes, au noir et blanc léché. Des Cariocas sublimes se la donnent sur une plage de Rio, au son de Essa Moça ta diferente, tube de 1969 signé Chico Buarque. Plus moite, tu meurs. Le déhanché d’un fessier parfait, généreusement dévoilé par l’échancrure d’un maillot, donne des bouffées de chaleur à la France. Alex Jaffray s’en souvient encore : « Au-delà de la musique qui l’accompagne, c’est aussi le clip en noir et blanc, relativement osé, qui est resté dans les mémoires et fait la réputation de cette publicité, mais aussi de la marque. » 

1990 - Perrier - Screamin Jay Hawkins : I put a spell on you
En 2009, la campagne conçue par Jean-Paul Goude remportait le Grand Prix des Grands Prix Stratégies : comment oublier le choc visuel engendré par le spot « La Lionne » imaginé par Jean-Paul Goude ? Le morceau en forme de cri primal de Screamin Jay Hawkins, I put a spell on you, y est pour beaucoup. Sorti en 1956, il avait choqué les puritaines radios américaines, qui refusaient de la diffuser : on raconte que Screamin Jay Hawkins l’a enregistré ivre… On doit sans doute à ses retors producteurs, qui avaient apporté de l’alcool en studio, la rugueuse animalité du titre, conçu au départ comme une ballade…  
 
1992 - CNP Assurances - Chostakovitch : Valse n°2
La vie est-elle autre chose qu’un plan-séquence ? Presque 30 ans après sa sortie, le film pour CNP Assurances, réalisé par Lars von Trier et intitulé « La rue de la vie », donne encore des frissons. Au rythme des saisons, un petit garçon devient grand, mari, papa, puis grand-père, avant, à son tour, de lâcher la main de son petit-fils pour le laisser emprunter la rue de la vie. Larmes. Relativement méconnue, la Valse n°2 de Chostakovitch devient instantanément un tube. À tel point qu’en 1999, lorsque Stanley Kubrick décide d’utiliser le même morceau de Chostakovitch pour le sulfureux Eyes Wide Shut dont il constitue le générique de début et de fin, on le lui déconseillera, expliquant que cette valse est indissociablement liée à une publicité française. Kubrick n’en aura cure, à raison... 

1999 - Levi's - Mr Oizo : Flat Beat
Il fut un temps où les pubs Levi’s étaient attendues comme le lait sur le feu. Pour ses beaux gosses (Nick Kamen, Brad Pitt…), la qualité de ses réalisations (Michel GondryJonathan Glazer…) mais aussi pour ses bandes-sons, toujours surprenantes, toujours promises à devenir des hits. La plus audacieuse reste sans doute le Flat Beat de Mr Oizo, ses rythmes syncopés, ses distorsions « zarbis ». Il rend surtout mondialement célébre une peluche jaune à l’air un peu débilos, Flat Eric, originellement baptisé Stéphane par son créateur Mr Oizo. Lequel réalise, sous son vrai nom Quentin Dupieux, des films délicieusement barrés comme « Au Poste » ou « Le Daim » et continue à officier derrière les platines sous le nom de Mr Oizo.
  
2000 - Air France - Chemical Brothers : Asleep from day
C’est l’un des premiers faits d’armes de BETC, qui, dès la fin des années 1990, allait donner le « la » de la production publicitaire et musicale française. Son film pour Air France, merveille d’épure et de poésie shootée par Michel Gondry, fait connaître au grand public les beats des Chemical Brothers. Peu ou prou en même temps, BETC ressort le « Bye bye baby », susurrée par Marilyn Monroe, avec son film Evian « Les bébés nageurs ».

2006 - Sony Bravia - José Gonzales : Heartbeats
Un rêve de campagne : 25 000 balles multicolores dévalent les rues en pente de San Francisco, sur un morceau ouaté, atmosphérique, de José Gonzales. Vous avez dit « planant » ? La campagne remportera le Grand Prix à Cannes et hante les mémoires de tous les créatifs. 

 

2008 - Apple - Yael Naïm : A new soul
Dans les années 2000, Apple a considérablement œuvré pour la musique de pub, mettant en lumière nombre d’artistes : les Ting Tings, Cansei de Ser Sexy, Feist… Mais être porté à la connaissance du grand public via la pub n’est pas forcément un cadeau du ciel. Moby, essoré jusqu’à l’écœurement au début des années 2000, a certes assuré ses vieux jours, mais ne s’en est jamais vraiment remis. Comme le notent Christophe Caurret et Fabrice Brovelli : « La pub permet à un artiste de toucher une audience plus mainstream et le cas échéant valide un talent mais devenir un “artiste de pub” ne peut être que préjudiciable. » Marine Cremer partage cette analyse : « Yael Naïm, fait partie des artistes révélés par Apple avec son film pour le Macbook Air qu’il n’est plus vraiment possible d’écouter aujourd’hui. » 

2009 - Guerlain (La petite robe noire) - Nancy Sinatra : These boots are made for walkin'
La pub, fontaine de jouvence des chanteurs et chanteuses ? La fille de Frank, Nancy Sinatra, a fait son retour en beauté dans cette campagne pétillante pour La petite robe noire de Guerlain. Classique, remarque Marine Cremer : « La pub donne parfois une seconde jeunesse à des artistes comme Deep Purple, les Pixies ou Nancy Sinatra avec La petite robe noire dans la pub Guerlain, y compris avec le classique comme la Sarabande de Haendel pour Levi’s. »  

2010 - Nike (The Cage) - Elvis Presley : A Little Less Conversation
Non, Elvis n’est pas mort ! Il chante dans les publicités ! Cette réinvention par Nike, dans sa campagne « The Cage », du A Little Less Conversation est portée par Cantona, Totti, Ronaldo, Figo… « Outre son casting cinq étoiles et le côté spectaculaire du film qui n’a pas pris une ride, souligne Alex Jaffray la publicité est portée par une bande son - un remix d’Elvis Presley aux sonorités qui ne vont pas sans rappeler Fatboy Slim - qui colle à la perfection »

2016 - Kenzo World – Sam Spiegel & Ape Drums feat. Assassin : Mutant Brain
Corps désarticulé, rythmes fracassés. Voilà la recette gagnante du film Kenzo World réalisé par Spike Jonze, avec Margaret Qualley, la fille d’Andie MacDowell, en danseuse possédée dans les couloirs d’un hôtel de luxe. Le spot raflera tout aux Cannes Lions de 2017, mais les vrais savent que Spike Jonze nous a ressorti un vieux coup : le film est un décalque de son clip de 2001 pour le « Weapon of Choice » de Fatboy Slim, avec un Christopher Walken déchaîné dans un palace…
 
2017 - Intermarché - Mouloudji : L'Amour, l'amour, l'amour 
Tous se sont mis au diapason. Formats longs, romantisme exacerbé et reprise de vieux standards de la variété française. « Intermarché a marqué les esprits avec L’amour, l’amour, l’amour de Marcel Mouloudji, car ils allaient à contre-courant – c’est aussi ça une bonne musique de pub, salue Marine Cremer. Je vois une tendance au rétro français, comme Gilbert Bécaud dans la campagne #TousAuCinéma de la Fédération nationale des cinémas français. » On citera aussi Hier encore de Charles Aznavour dans la dernière pub Ouigo. Tous s’engouffrent en effet dans cette voie rétro, comme le remarquent Fabrice Brovelli et Christophe Caurret : « On fait partie d’une industrie où tout finit par se ressembler afin de se distinguer et dès qu’il y a un semblant de tendance tout le monde veut en faire une martingale. » Attention à ne pas rayer le disque…

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