Transports
Avec l’ouverture à la concurrence des lignes à grande vitesse en décembre, la SNCF risque de perdre des parts de marché. Elle organise la riposte et lance Ouigo en Espagne et InOui en Italie.

« La meilleure défense, c’est l’attaque. ». Pour répondre à l’arrivée potentielle de concurrents, y compris étrangers, sur les lignes à grande vitesse françaises à partir de décembre, la SNCF va aller chercher d’autres marchés en Europe. L’Espagne tout d’abord, que le Français va attaquer par le bas avec Ouigo. La campagne de pub a démarré le 23 septembre et la vente de billets en fin d’année. L’Italie ensuite, et le prisé Paris-Lyon-Milan, que la SNCF investira avec son offre plus premium InOui ; une expansion décalée à la fin 2020 en raison du Covid-19. Les deux marques créées pour le TGV ambitionnent de devenir des « mastodontes » européens.

Buzz en Espagne

Sur les réseaux sociaux espagnols, des cheminots de la compagnie ferroviaire locale Renfe partagent des vidéos de l’intérieur des Ouigo, en cours de test. « Nous avons déjà beaucoup de retombées presse en Espagne, sans doute parce que nous sommes le premier à arriver, cela crée un buzz, que l’on orchestre », observe Julien Féré, directeur de la communication Voyages de la SNCF. Si l'offre Ouigo semble attendue dans le pays, c’est peut-être en raison de son positionnement prix. « L’Espagne est dans la même situation que la France avant 2013 avec un produit unique et plutôt haut de gamme, l’AVE, l’équivalent du TGV. Il y a très peu de voyageurs dans les trains et un potentiel de marché inexploité notamment face à la voiture. C’est l’analyse que nous avions faite il y a sept ans avec Ouigo et la démocratisation de la grande vitesse », pointe Julien Féré. La SNCF va donc proposer son Ouigo pas cher, complémentaire à son homologue espagnol Renfe… Renfe qui avait senti le vent tourner, en décembre 2019, et dégainé son low-cost AVLO. À Cela, la SNCF rétorque une offre bien rodée en sept ans, une plateforme de vente digitale et une com affûtée.

Ouigo peut-il faire mouche en Espagne ? Pour Cyril Faure, associé chez Bartle et expert en transports, « cette approche est maligne car la clientèle de la grande vitesse est historiquement premium et le prix des billets est élevé partout en Europe ». Pour se lancer, la SNCF a étudié la possibilité de changer de marque. « Sigo », déclinaison locale de Ouigo, a été envisagé. « Ouigo est imprononçable en espagnol mais ça crée une étrangeté qui fonctionne », concède Julien Féré, qui a en tête l'exemple de la libéralisation des télécoms et la prolifération de marques qui se sont finalement consolidées. Seul changement : les couleurs. Pas de jaune et rouge pour évoquer le drapeau espagnol ni de bleu et rose comme en France mais du blanc sur tout le train ; une contrainte thermique.

Le budget média dépendra des lignes qui seront ouvertes, au-delà du Barcelone-Madrid initial, car chaque euro dépensé doit être collé aux ventes de billets. « Nous savons comment nous avons construit Ouigo : beaucoup de digital et de la performance, car c’est du low-cost, c’est un modèle d’exploitation qui repose sur la fréquence et une utilisation forte du parc, et donc des trains remplis », explique le directeur de la communication. Pour continuer d’économiser – rappelons que la SNCF a été frappée de plein fouet par l’arrêt des voyages lié au Covid-19 –, elle conserve ses agences : Rosapark épaulée par Havas Madrid pour la création et Zenith Espagne pour l’achat média et la performance. Le ton de Ouigo sera le même qu’en France, axé sur la « connivence et le fun ».

Riposte frontale

Côté italien, l’arrivée d’InOui est une riposte plus frontale à l’opérateur local Trenitalia et son produit « très qualitatif, avec une classe business, des sièges en cuir et des salles de réunion », reconnaît Julien Féré. Ici, l’enjeu est le Paris-Lyon-Milan et la clientèle professionnelle. Sur le plan de l’offre, la SNCF ne rivalise pas pour l’instant, même si elle propose déjà son service Business Première avec salon en gare et son Accès Express, évitant les files d’attente. L’idée est aussi de proposer des box de huit sièges dans les rames pour les réunions. Comme sur le low-cost, la compagnie ferroviaire s’inspire de l’aérien pour le premium. Une campagne de com pour la « rentrée des pros », orchestrée par Rosapark et Zenith, est diffusée en affichage et digital depuis le 14 septembre en France. En Italie, les affiches clament « On vous souhaite un bon voyage ». Modeste ? « L’enjeu de ces marques est d’éviter l’invasion du cocorico, nous ne voulons pas être un poids lourd français qui écrase le marché, nous évitons d’afficher le bleu-blanc-rouge, la posture de marque serait maladroite, surtout pour les nationalistes », souligne Julien Féré.

De coopérant à concurrent ?

Après l’Espagne et l’Italie, on ne sait pas encore où la SNCF fera essaimer ses marques Ouigo et InOui. Le Français est pourtant déjà bien implanté en Europe, mais à travers une offre commerciale surtout transfrontalière. « Avant, les territoires étaient protégés, donc les opérateurs ont imaginé des coopérations entre pays et des marques sont nées comme Lyria avec la Suisse ou Alleo avec l’Allemagne », rappelle Cyril Faure, de Bartle. « Si demain nous passons du statut de coopérant à celui de concurrent, nous pouvons imaginer une refonte de la stratégie de marque », envisage l’expert en transports. « Nous ne pouvons encore rien dire mais il y a une tendance à la concentration », indique Julien Féré, côté SNCF. Ainsi, Thalys et Eurostar devraient devenir Green Speed en 2021, confortant la présence d’un opérateur transnational au nord de l’Europe. De quoi bloquer l’expansion des marques InOui et Ouigo dans cette région ? Pendant que la réflexion se limite à l’Europe, Cyril Faure souligne que « la présence de la Chine est de plus en plus visible au rendez-vous annuel du ferroviaire allemand InnoTrans ». Avec « 30 000 km de lignes à grande vitesse construites en dix ans à peine », il imagine la Chine jouer les trouble-fête. En région Paca, le hongkongais MTR a déjà manifesté son intérêt – certes, sur le TER – pour concurrencer la SNCF.

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